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Dépénalisation de l’homosexualité : Six choses n’ayant pas été relevées

Le processus de dépénalisation de l’homosexualité au Gabon a donné lieu à déferlement passionné d’idées et arguments. Fourretout intégrant le droit, la sociologie, l’anthropologie ou l’histoire, la polémique s’est éloignée des questions essentielles. Flashback sur certains aspects survolés mais permettant de recentrer un débat populaire tournant au charivari.

Adopté le 23 juin à l’Assemblée nationale, la modification de la loi n°042/2018 du 05 juillet 2019 portant Code pénal en République gabonaise a été l’objet d’interprétations diverses. Certains, sur les réseaux sociaux allant jusqu’à insinuer qu’il est désormais permis de «violer un enfant» ou encore que la pédophilie est désormais autorisée. Aucune de ces deux extrapolations n’est pourtant réelle.

1) Homosexualité, pas pédophilie

Nombreux sont les Gabonais qui, visiblement, pensent que «Pédophilie» signifie «Pédérastie», mot dont le radical «Pédé» est un dérivé sémantique. Désignant la pratique homosexuelle entre un homme et un jeune garçon, la pédérastie et la pédophilie (attirance sexuelle d’un adulte pour un enfant et plus généralement la pratique sexuelle avec des mineurs) restent bel et bien interdites au Gabon.

Signataire depuis 1994 de la Convention relative aux Droits de l’Enfant, le Gabon dispose toujours d’un arsenal juridique de protection des enfants contre toute forme de maltraitance, notamment la violence et l’exploitation sexuelle, la prostitution et la participation à toute production pornographique (art. 34 de la Convention). Dans le cadre du droit pénal local, «tout acte sexuel avec un mineur de moins de 15 ans est sanctionné par la loi» (art. 256) et «tout détournement de mineur de moins de 16 ans est passible de peines d’emprisonnement avec amende» (art. 279). Rien n’a changé à ce sujet, les enfants du Gabon ne sont pas impactés par la dépénalisation de l’homosexualité dans leur pays.

2) Atteintes aux mœurs : un seul alinéa touché

L’article 402 du Code pénal était jusque-là libellé tel que suit : «Art.402.- Constituent des atteintes aux mœurs :

1° l’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible au regard du public ;
2° la relation sexuelle, même consentante, hors le cas d’inceste prévu à l’article 403 ci-dessous, entre un homme et une femme parents à un degré prohibitif du mariage tel que prévu par les textes en vigueur ;
3° tout comportement, attitude ou parole assidue ou suggestive répétés, directement ou Indirectement imputable à une personne qui, abusant de l’autorité ou de l’influence que lui confèrent ses fonctions ou son rang social, a pour but d’obtenir des faveurs sexuelles d’un individu de l’un ou l’autre sexe ;
4° tout acte impudique ou contre nature sur un individu de son sexe et mineur de moins de dix-huit ans ;
5° les relations sexuelles entre personnes du nième sexe.»
La modification controversée ne consistait qu’à supprimer du Code pénal un passage, en vigueur depuis juillet 2019, condamnant l’homosexualité. Il s’agit de l’alinéa 5 (cf. ci-dessus) disposant alors que «les relations sexuelles entre personnes du même sexe» constituent des atteintes aux mœurs et sont répréhensibles par la loi. Le reste de l’article 402 n’a nullement été modifié. Le gouvernement et les députés n’ont pas favorisé l’homosexualité. Ils ne l’ont pas légalisée. Ils l’ont dépénalisée. Le nouvel alinéa permet tout simplement que des adultes de même sexe puissent s’accoupler sans appréhender que l’opinion n’y voie un acte condamnable, et sans crainte d’être trainés devant les tribunaux, de payer une amende ou d’être emprisonnés.

3) Déclaration universelle des droits de l’homme et Appel de 2008 à l’ONU

Il en va donc de la liberté de certaines catégories sociales ultra minoritaires, victimes notamment de marginalisation, de discrimination à l’embauche, d’a priori divers, de condamnation et de haine. C’est à cet effet qu’en 2008, une déclaration relative à l’orientation sexuelle et l’identité de genre fut présentée à l’Assemblée générale des Nations unies et signée par de nombreux États. S’appuyant sur la Déclaration universelle des droits de l’homme disposant, en son article premier, que «tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits», l’appel de 2008 réaffirmait «le principe de non-discrimination qui exige que les droits de l’homme s’appliquent de la même manière à chaque être humain, indépendamment de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre». Il condamnait «les violations des droits de l’homme fondées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, où qu’elles soient commises»

Conservateur sinon réactionnaire, le Vatican s’en était mêlé. Indiquant tout de même qu’il préconisait «que tout signe d’injuste discrimination envers les personnes homosexuelles soit évité», la voix du Pape appelait tous les États à renoncer aux sanctions pénales contre ces personnes.

4) Autorité morale : la position du Saint-Siège

Dans les faits, le Saint-Siège s’oppose à la légalisation de l’homosexualité par crainte que celle-ci ne débouche sur d’autres droits tels que le mariage gay, l’adoption d’enfants par les couples de même sexe ou la procréation assistée pour les homosexuels. De même et a contrario, il s’oppose à la pénalisation qui amènerait à la condamnation des gens sur la seule base de leur orientation sexuelle.

En mai 2018, recevant Juan Carlos Cruz, victime d’abus sexuels au sein de l’Église chilienne quand il était plus jeune, le Pape François avait lancé une petite phrase ayant fait date dans l’histoire du progressisme au sein de l’Église : «que vous soyez gay importe peu. Dieu vous a fait ainsi et vous aime ainsi». Cela n’a pas d’importance, avait-il déclaré. «Le Pape vous aime ainsi. Vous devez être heureux de ce que vous êtes ».

5) Mariage gay, adoption d’enfants, Gay Pride et distinguo ente Code pénal et Code civil

La confusion entre dépénalisation et légalisation de l’homosexualité est, par ailleurs, l’un des levains de la controverse actuelle. La dépénalisation consiste à ne pas condamner tandis que la légalisation peut induire la reconnaissance d’autres droits d’ordre civil, tels qu’appréhendés ci-dessus par le Saint-Siège. «Au regard du tollé soulevé par la simple dépénalisation, on peut être sûr que ce sera la seule avancée de cet ordre au Gabon. Il n’y aura pas de mariage gay, pas de Gay Pride, pas d’adoption d’enfants pour les homosexuels. Jusqu’ici le Code civil, en son article 237, interdit et annule le mariage des personnes de même sexe. De même, le mariage coutumier, partout au Gabon, se célèbre entre personnes de sexes opposés. A l’observation des mentalités, organiser une Gay Pride à Libreville serait le détonateur pour des batailles rangées, des passages à tabac, voire de grosses émeutes», soutient un sénateur gabonais assurant qu’il votera la dépénalisation, le moment venu au Sénat.

De plus, explique l’un de ses collègues du Sénat, «le débat actuel et la modification l’ayant généré portent sur le Code pénal. Il ne porte pas sur le Code civil qui concerne les mariages, les adoptions, etc. Les deux codes sont différents. Ce n’est pas parce qu’on dépénalise d’un côté, qu’on légalise de l’autre». Par définition, le droit civil organise les relations entre personnes physiques et/ou morales, alors que le droit pénal met l’accusé face à la société lorsque ce dernier enfreint la loi. Il n’y a littéralement pas de peine à prononcer contre l’accusé dans le droit civil alors que le droit pénal confronte un accusé et la société, représentée par le ministère public, avec l’objectif de punir les infractions.

6) Simple retour à la situation anté-juillet 2019

Ce n’est qu’en juillet 2019, il y a donc 11 mois seulement, que le Gabon est devenu le 70ème pays à pénaliser l’homosexualité. Le 5 juillet dernier plus exactement, le pays introduisait en effet dans son Code pénal une disposition permettant de condamner les personnes ayant des relations sexuelles avec une personne de même sexe, à 6 mois de prison et 5 millions de francs CFA d’amende. Avant cette date, la pratique de l’homosexualité n’était pas légiférée.

Les accouplements incriminés étant des secrets d’alcôve, il était bien difficile de prendre les contrevenants en flagrant délit. Le pays ne tolérant ni les spectacles de strip-tease, encore moins les clubs gay, la loi condamnant l’homosexualité était inopérante, ne servant à rien en réalité. Aucune condamnation en ce sens n’a d’ailleurs été enregistrée depuis bientôt un an, comme si le pays fonctionnait sans ce texte de loi. Bien au contraire, la loi en voie d’abrogation contraignait la communauté LGBT au confinement dans la clandestinité, créant davantage de harcèlement et de mal-être pour ses membres. «La police corrompue utilisait maintenant cette excuse pour arrêter les gens et leur faire payer ensuite des pots-de-vin pour être libéré», confie un travesti de Libreville bien connu pour ses lives Facebook.

La dépénalisation actuelle n’est donc que l’annulation d’un alinéa inopérant, un retour au contexte d’avant juillet 2019. Les Gabonais ne s’offusquaient pas outre mesure de la situation légale des homosexuels il y a un an et plus. Comment comprendre leur charivari au moment d’y retourner ?

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