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Gabon : comment éviter une plus grande radicalisation du corps politique et social ?

En convoquant durant près de deux mois (28 mars-25 mai) à Libreville, à grands frais et en grande pompe, un « dialogue politique inclusif et sans tabou », Ali Bongo Ondimba et son parti, le Parti démocratique gabonais (PDG), espéraient un dénouement heureux à la crise inédite et multiforme que traverse le Gabon depuis la présidentielle ratée d’août 2016.

Or, il n’en fut rien. De ces assises, les annales de la politique gabonaise retiendront comme événement principal la grande absence de Jean Ping et sa Coalition pour la nouvelle République (CNR). Malgré ce désaveu historique du CNR, il faut dire, globalement, que l’idée en soi de réunir la classe politique gabonaise autour d’une même table pour extirper le pays du nœud gordien dans lequel il se retrouve après chaque joute électorale majeure depuis le retour du multipartisme en 1990 a des antécédents. On peut même dire que jusqu’à récemment, une forte tradition républicaine de dialogue et d’entente « cordiale » exista dans le pays entre les principales élites politiques.

Une tradition républicaine de dialogue au profit du statu quo

C’est cette tradition qui fit que par le passé d’importantes rencontres politiques permirent de dépasser les rancœurs et, ainsi, de préserver la paix sociale dans le pays. On se souviendra qu’en 1990, du 1er mars au 19 avril, une conférence nationale, comme partout ailleurs en Afrique, s’était tenue. De même, au lendemain de la présidentielle, très contestée, du 5 décembre 1993, des discussions eurent lieu entre les principaux acteurs politiques gabonais. Le dialogue d’alors, tenu à Paris du 5 au 27 septembre 1994, avait abouti aux fameux « Accords de Paris ». Enfin, d’autres discussions formelles ou informelles de moindre ampleur, principalement les « Accords d’Arambo » de 2006, se succéderont par la suite.

Mais force est de constater qu’au lieu de procéder au nécessaire aggiornamento politique, tous ces différents conciliabules n’auront essentiellement servi qu’à perpétuer l’autoritarisme et le maintien au pouvoir du « clan » Bongo, qui détient les rênes du pouvoir d’Etat depuis 1967. Par exemple, entre 1991 et 2011, la Constitution de 1991, fruit ultime du consensus de la Conférence nationale de 1990, aura été révisée unilatéralement six fois par le parti au pouvoir, cinq sous le défunt patriarche Omar Bongo Ondimba et la dernière fois en 2011 sous son fils, pour prévenir toute alternance démocratique.

L’obstacle premier à tout projet d’affermissement démocratique

De nos jours, en dépit des positions politiques tranchées des uns et des autres, pour bon nombre de Gabonais, le maintien d’Ali Bongo Ondimba à la tête de l’État gabonais demeure bel et bien l’obstacle premier à toute résolution de la crise que traverse le pays. Cette question primordiale, malheureusement occultée durant la dernière grand-messe « pédégiste », reste cependant d’actualité d’autant plus que les résultats de la présidentielle de 2016 ont clairement révélé au grand jour les failles et la faillite générale du projet politique, économique, et social du chantre de « l’égalité des chances ».

Le feu d’antan s’est rallumé et il semble qu’il faudra bien plus qu’un dialogue aux conclusions boiteuses pour l’éteindre
À titre de rappel, en 2009, nonobstant les conditions déjà rocambolesques de son élection, Ali Bongo Ondimba avait tenté de bâtir sa légitimité autour d’un projet moderne et développementaliste. Or, très vite, son programme s’est effondré et ses nombreuses promesses d’un « Gabon Émergent » se sont révélées toutes chimériques. Par conséquent, le capital de sympathie dont il avait bénéficié dans certains cercles en 2009 s’est complètement évaporé depuis lors.

Aujourd’hui, sous les apparences d’un Gabon tranquille et les nombreux satisfecit de l’élite « émergente » au pouvoir, le ras-le-bol du « clan » Bongo est perceptible partout dans le pays et au-delà de ses frontières. Le feu d’antan qui s’est rallumé durant la dernière campagne présidentielle couve toujours et il semble qu’il faudra bien plus qu’un dialogue, dit « inclusif et sans tabou », aux conclusions boiteuses pour l’éteindre.

Un nouveau paradigme de gouvernance républicaine à inventer

Pour conclure, beaucoup d’observateurs au Gabon comme à l’extérieur continuent de décrier l’attitude jugée « intransigeante » du camp de Jean Ping face aux appels répétés à la négociation de celui qui détient encore le pouvoir d’État gabonais comme si cela demeurait la clef de résolution du malaise actuel. Pourtant, le problème s’est toujours situé autre part. En effet, bien loin d’être une crise purement postélectorale, un simple conflit générationnel entre des « caciques » aigris de l’ex-parti unique et une nouvelle génération, ou encore une bataille « d’ex-beaux-frères », comme cela a été avancé çà et là, qui se réglera sous peu pourvu que la concertation prime, la crise gabonaise est beaucoup plus profonde. Elle est existentielle et requiert, donc, de dépasser les vieux schémas pour éviter une radicalisation encore plus poussée du corps politique et social tout entier.

Malheureusement, pendant que l’émirat pétrolier en déclin se trouve à la croisée des chemins, un pan de l’élite politique nationale semble figé dans le temps. A la crise multiforme qui engloutit la société gabonaise, de faux et discrédités remèdes politiques sont offerts comme si le pays vivait en hibernation depuis la fin du parti unique en 1990. Clairement, le Gabon n’est pas statique et l’avenir n’appartient pas au passé. La voie pour espérer créer les conditions de l’éclosion d’une véritable république aux fondements démocratiques et citoyens dans le pays passe non pas par la préservation des systèmes claniques et clientélistes actuels mais, incontestablement, par leur ultime démantèlement.

Par Gyldas Ofoulhast-Othamot
Gyldas Ofoulhast-Othamot est enseignant-chercheur au Département de sciences politiques et d’études internationales à l’Université de Tampa aux États-Unis.

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