Gabon : La problématique libyenne d’Africa N°1

En proie à des difficultés diverses, la radio panafricaine Africa N°1 pourrait pâtir de la crise actuelle en Libye, pays qui détient 52% de son capital. Les investisseurs libyens n’ont jamais respecté leurs engagements contractuels et la radio est au bord de la cessation de paiement. Le Gabon peut-il reprendre le contrôle de cet outil médiatique qui a fait sa fierté durant de nombreuses décennies ?
L’Etat gabonais va-t-il laisser mourir Africa N°1, la radio panafricaine qu’il a créé en 1981 ? L’interrogation est d’autant plus pertinente qu’au-delà des difficultés de fonctionnement et de la vétusté des installations techniques de cette radio, le fonds d’investissement Libyan-African Investment Portfolio (LAP) qui détient 52% des parts d’Africa N°1 appartient à l’Etat Libyen. Or, ce dernier est actuellement en proie à une révolution et donc à un avenir hypothétique.

Crise libyenne et répercussion sur Africa N°1

Le représentant des intérêts libyens au sein de la radio, Anber Elbashir Ali Abubaker, a annoncé, le 3 mars au cours d’une réunion avec le personnel, que les salaires pourront être assurés jusqu’en mars mais rien n’est sûr pour le mois d’avril et les suivants. Le Libyen soutient que les troubles politiques qu’enregistre actuellement son pays empêchent de procéder à un appel de fonds. Ce qui est d’autant plus alarmant qu’une source proche du dossier assure que la station est en panne de trésorerie : «la dernière injection de fonds est arrivée en 2010 et elle a été dépensée, pour 30 à 40 %, en organisation de multiples conseil d’administrations.» La même source affirme que la station panafricaine comptabilise une dette de 1,221 milliard de francs CFA comprenant le non-paiement des relais et de divers fournisseurs à l’instar de la SEEG qui devrait suspendre ses prestations avec la radio, ce lundi 14 mars. La situation est donc critique et l’intensité de la crise sociopolitique libyenne n’est pas pour arranger les choses.

Selon certaines indiscrétions, le représentant au Gabon du fonds d’investissement libyen a assuré, au cours d’une réunion, le 10 mars, avec le nouveau ministre de la Communication et le directoire gabonais d’Africa N°1, que «le guide de la Jamahiriya Libyenne est encore au pouvoir et, de toutes façons, les engagements pris par son pays seront respectés. Il n’y a pas de raison que les choses changent, même si de nouveaux dirigeants arrivent à la tête du pays.» On peut donc être assurés que les engagements pris par l’Etat Libyen devraient, logiquement, être maintenus. Car, il ne s’agit nullement de l’argent de Kadhafi mais de celui de la Libye.

Engagements libyens non tenus

Pourtant, un membre gabonais du directoire d’Africa N°1 pense tout autre chose : «Si le guide de la Jamahiriya Libyenne quitte le pouvoir, il serait bon que le Gabon mette la pression pour reprendre le contrôle de la radio. Parce que l’entrée de la Lybie dans notre capital est un échec total, comme c’est le cas avec la reconstruction de l’Hôtel Dialogue.»

On note effectivement que depuis la signature de la convention, le 15 juin 2006, entre Africa N°1 et la Libya Jamahiriya Broadcasting (LJB), la partie Libyenne n’a respecté aucun de ses engagements contractuels. Si bien que le redécollage tant attendu de cette radio reste une vue de l’esprit. Les Libyens avaient notamment promis un plan de restructuration garantissant le redéploiement des activités, la remise en état du centre émetteur de Moyabi (engagement majeur pour lequel l’Etat gabonais s’est embarqué dans ce partenariat) pour près de 20 milliards de francs CFA, la réhabilitation et l’extension du réseau FM d’Africa N°1 dans les capitales africaines

Certains membres de la partie gabonaise énumèrent les dégâts consécutifs au dilettantisme des Libyens. Pour exemple, le réseau FM d’Africa N°1 pour l’Afrique et l’Europe comptait 19 stations relais. A ce jour six d’entre elles seulement continuent de fonctionner. Notamment, Douala, Kinshasa, Tripoli et trois fréquences en Île de France. Abidjan est suspendu du fait de l’actuelle crise politique ivoirienne tandis que le Togo a retiré la fréquence attribuée à Africa N°1.

Par ailleurs, faute de subvention en provenance de Libreville, la radio panafricaine a perdu le contrôle de sa station parisienne qui émet désormais 24h/24h alors qu’elle se doit de décrocher sur les programmes diffusés depuis Libreville. D’ailleurs, le label Africa N°1 est actuellement revendiqué par Dominique Guihot, PDG d’Africa N°1 Paris, qui argue que la marque n’a jamais été protégée en Europe. Libreville a saisi à ce sujet le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui lui avait attribué la fréquence 107.5. Un procès en perspective.

Une opportunité pour le Gabon

La partie gabonaise attend toujours le plan de relance promis et, faute de recettes, les deux Etats maintiennent sous perfusion une entreprise privée capable de s’autonomiser financièrement. Un membre de la rédaction d’Africa N°1 ayant ses entrées à la direction générale, laisse entendre qu’en 2009, Laure Olga Gondjout, alors ministre de la Communication, «a rencontré le guide de la Jamahiriya pour demander la reprise du contrôle de la maison par l’Etat gabonais, tout en gardant les Libyens dans l’actionnariat. Mais Kadhafi a refusé.»

Pourtant, l’Etat gabonais a honoré tous les engagements qui constituaient la garantie exigée par les investisseurs Libyens. Notamment, l’épuration d’un passif d’environ 4 milliards de francs CFA, l’établissement d’un bail emphytéotique de 30 ans sur les terrains de Libreville et Moyabi, le payement du plan social (2,6 milliards de francs CFA), l’exonération sur la douane et les impôts durant trois ans.

Etant donné que le contrat passé avec les investisseurs Libyens ne comporte aucune clause de sortie, les plus patriotes des Gabonais du directoire d’Africa N°1 pensent que la crise libyenne est une sacrée opportunité pour que le Gabon reprenne le contrôle des choses, plutôt que de se laisser plomber par un partenaire qui semble ne plus vouloir requinquer cette radio qui a fait la fierté du Gabon près de vingt ans durant.

On se souvient que les Libyens, qui disposent d’un outil similaire (la Libya Jamahiriya Broadcasting) ne sont intéressés à Africa N°1 qu’au moment où le guide de la Jamahiriya caressait le rêve de créer un Etat continental africain. Le contrôle de la radio panafricaine lui aurait alors permis de diffuser son message « révolutionnaire » à ses 20 millions d’auditeurs acquis en deux décennies de succès. L’ambition de Khadafi est alors de la refondre pour créer un groupe diffusant dans toute l’Afrique, sur différentes fréquences en plusieurs langues (français, anglais, arabe, bambara, swahili et haoussa). Les mauvaises langues disaient alors que le prodige de Syrte avait trouvé le moyen inespéré de vulgariser son fameux Livre Vert. L’échec de ce rêve panafricain n’explique-t-il pas la négligence des Libyens quant à la radio panafricaine ? Un technicien d’Africa N°1 est péremptoire : «Au moment du Gabon émergent, il faut pousser l’Etat gabonais à reprendre le contrôle de cette radio que le monde entier nous enviait. Je suis sûr que cela soulagerait les Libyens qui visiblement n’en veulent plus et font tout pour la liquider totalement.»

Exprimez-vous!

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Quitter la version mobile