L’urgence de la lutte contre les crimes dits rituels, soulignée par le président de la République, le 20 avril, a débouché, quelques jours après, sur un contrôle intensif des véhicules à Libreville, comme par le passé avec les différentes opérations Nguéné, si infécondes. Pourquoi donc répéter à l’infini une méthode qui n’a nullement fait reculer la criminalité ? Les forces gabonaises de l’ordre sont-elles donc incapables d’une autre stratégie ?
Après la réunion spéciale, organisée le 20 avril à la présidence de la République, entre le président Ali Bongo, le ministre de la Justice, le procureur de la République et les commandants en chef de la gendarmerie et de la police, la capitale gabonaise était littéralement quadrillée par la gendarmerie et la police, le lundi 22 avril dans la soirée. Equipés d’armes à feu, les agents des forces de l’ordre contrôlaient tous les véhicules pouvant tomber dans les rets tendus à travers les artères de la ville. L’opération visait, ainsi que l’on indiqué certains policiers et gendarmes, la traque des manœuvriers des crimes rituels.
De nombreux quidams contrôlés se sont, à juste titre, demandé si le contrôle des véhicules en circulation est la solution idoine pour éradiquer le phénomène des crimes dits rituels. Ces faits macabres sont pourtant connus pour se dérouler hors des zones à forte fréquentation ainsi qu’en témoignent les articles de presse, souvent plus fournis que les rapports de police. Est-ce donc seulement en contrôlant les pièces d’identité des piétons et des passagers des automobiles que les «crimes rituels» seront prévenus ?
Le public ne croit plus, en effet, à cette méthode tenant surtout de la dissuasion, sinon de la diversion. Qui peut croire, en effet, qu’un trafiquant de «pièces détachées», entendez organes humains, peut se livrer tranquillement à une transaction lorsqu’il est averti d’un déploiement musclé des forces de l’ordre dans les rues ? Qui peut penser que les pièces détachées se livrent en empruntant des taxis ? Les nombreuses opérations Nguéné (du nom d’un serpent venimeux local) organisées depuis 1996, ont-ils donné des résultats probants quant au recul de la criminalité au Gabon ? Rien de bien remarquable, constate l’opinion publique. Pour mémoire, l’opération Nguéné lancée pour un mois en octobre 2003, s’était soldée par l’interpellation de 1866 personnes en situation irrégulière, 3 militaires gabonais en désertion et 2 militaires français en civil à bord d’un véhicule volé et 3 décès au titre des bavures, selon le bilan livré par Gervais Oniane, alors porte-parole du ministère de la Défense nationale. De recul du banditisme, que nenni ! La criminalité est plutôt allée crescendo.
Peut-être procède-t-on à ce déploiement parce que la police gabonaise n’a pas la réputation d’avoir des fins limiers dans ses rangs. Plus basique, lorsqu’une alerte lui est donnée au téléphone, elle se heurte bien souvent au manque de carburant pour les véhicules devant transporter les agents sur les lieux du crime. Il n’y a donc ni logistique, ni volonté véritable de combattre la criminalité. Et, lorsque des enquêtes aboutissent, le résultat est bien souvent dû à la délation ou à la torture d’un délinquant connu pour pratiquer telle ou telle méthode ou connaissant tel réseau de bandits qui opère de telle manière. L’affaire Amadou Yogno, Camerounais tué et dépecé près de Ndjolé en janvier dernier, en fait foi : n’eut-été l’enquête perspicace menée par la communauté Bamoun de Libreville, la dépouille du malheureux Yogno n’aurait jamais été retrouvée, encore moins ses présumés assassins. La Police judiciaire n’est d’ailleurs connue que pour son volontarisme lorsqu’il est question du vol d’une grosse somme d’argent, comme on l’a vu avec le braquage de 100 millions de francs CFA chez Ndong Ntem, ex-directeur général du Budget. Seuls 8 millions, sur ce pactole, ont été ramenés par les enquêteurs auprès du Procureur. Les agents de la gendarmerie et ceux de la police chargés de l’enquête s’étant sucrés au passage. Il en sera certainement ainsi pour les crimes rituels : censés être riches, les commanditaires, peuvent mouiller toute la chaîne de l’enquête et l’amener à être bouclée avant conclusions.
Une chose est sûre : le déploiement des forces de l’ordre dans les rues de Libreville, n’est pas une méthode efficiente pour éradiquer les crimes rituels. Car, plutôt que de chercher systématiquement, dans les voitures, des glacières contenant des organes humains, les forces de l’ordre devraient patrouiller dans les rues et arrières-rues des quartiers mal famés, contrôler les véhicules sortant des forêts à la périphérie des villes, mener de vraies enquêtes autour des personnes suspectées ou citées… Bref, à chacun son métier.
La criminalité au Gabon n’est pourtant pas la plus dure à combattre dans le monde. Des résultats remarquables ont été notés dans des villes et des pays autrement plus dangereux que Libreville ou le Gabon. Si on ne saurait suggérer d’importer et d’adapter au Gabon la méthode «Tolérance zéro», appliquée dans les années 90 à New York par le maire Rudolph Giuliani, on pense tout de même que le problème au Gabon est la difficulté de poser en vrai diagnostic sur cette criminalité d’un autre âge : comment choisir le traitement approprié si on ignore la maladie ? Un remarquable travail a été fait, semble-t-il, pour le renseignement politique et la contre-ingérence au Gabon. À quand un vrai renseignement criminel dans le pays, comme cela existe dans le monde anglo-saxon, en Belgique ou en Italie ? Il serait peut-être temps de faire de la lutte contre la criminalité, en général, une priorité nationale. Ainsi, après son programme d’armée en or, le président Ali Bongo devrait instituer celui d’une police en or.



