L’apparente unité de l’opposition, actuellement observée dans l’Union des forces du changement (UFC), résistera-t-elle aux conflits larvés d’égos, aux intérêts personnels et à l’ethnocentrisme ? Le premier test de la solidité et de la pérennité de ce conglomérat arrive avec les prochaines élections locales. Et si le groupe y survit, qu’en sera-t-il, par ailleurs, lors de la prochaine présidentielle ? Petit examen de ce tissu aux fils irréguliers qu’est l’UFC.
Le 8 septembre dernier, à Mouila, les formations politiques membres de la Coalition des partis politiques pour l’alternance (CPPA), les partis membres de l’Alliance pour le changement et la restauration (ACR) et quelques autres mouvements se sont réunis au sein d’une coalition baptisée Union des forces du changement (UFC). Pour l’instant, en dépit du couac du 22 septembre au meeting de Rio – après lequel les leaders ont lavé le linge sale – tout a l’air de bien fonctionner dans cette union que d’aucuns appellent «la coalition Nord-Sud». Mais les craintes – légitimes – d’une désunion ou d’un désaccord sur la stratégie existent parmi leurs militants et sympathisants.
Petit rappel : entre septembre et novembre 2011, la CPPA, l’ACR, et des partis comme le PSD, avaient ensemble fait campagne, avec des mouvements de la société civile regroupés au sein de «Ça suffit comme ça !», pour l’instauration de la biométrie dans le système électoral. Ils affirmaient, ensemble, «dans la caravane du refus», qu’ils n’iraient pas aux élections législatives (du 17 décembre 2011) sans biométrie. Ils affirmaient, ensemble, qu’il n’y aurait pas d’élections au Gabon sans biométrie. Et qu’est-il advenu ? L’unité avait fini par se fissurer. Le PSD (Pierre-Claver Maganga Moussavou), le FAR (Léon Mbou Yembi) et les partis membres de l’ACR ont cassé la dynamique de l’union et pris part à ce scrutin.
«La caravane du refus» des élections sans biométrie devint pour eux «l’alliance pour le refus de la chaise vide». «Nous avons réfléchi, nous pensons qu’il n’est jamais bon de pratiquer la politique de la chaise vide», disaient-ils en chœur. Formidable et charmante mauvaise foi. Résultat des courses : deux élus seulement, mais aucun élu parmi les leaders de ces partis et les promoteurs de cette stratégie. Un gros échec. Le boycott des élections qu’ils avaient prôné lors de «la caravane du refus» s’était retourné contre eux. Ils sont aujourd’hui revenus sur la table qu’ils avaient quittée en décembre 2011. Faut-il croire que les plaies se sont réellement cicatrisées, et que la leçon de ce changement de stratégie a été bien retenue par les promoteurs du «refus de la chaise vide» ?
L’avenir crucial de l’UFC se jouera dans les prochaines semaines, voire les prochains mois. Au moment où tous reprochent au ministre de l’Intérieur, Jean-François Ndongou, de ne pas jouer franc jeu dans la mise en place de la biométrie dans le système électoral, alors que celui-ci le leur avait promis à la veille des dernières élections, l’opinion se demande ce qui va se passer en mars-avril prochain lors des élections municipales et départementales, si la coalition décide, dans une large majorité, de ne pas prendre part à ce scrutin. Jean-François Ndongou ne semble pas très pressé de mettre en place la Commission sur les données à caractère personnel, et ne veut pas non plus ni authentification, ni identification des électeurs. «Le PDG a toujours cette volonté de ne pas jouer franc jeu», avance Pierre-Claver Maganga Moussavou. Mais si la coalition décide de ne pas aller aux élections, que feront les promoteurs du «refus de la chaise vide» ?
Au-delà de la participation ou non aux élections municipales et départementales, la stratégie -arrêtée et inscrite dans le marbre à Mouila- de présenter un candidat unique face au PDG et aux autres partis de la majorité sera-t-elle être respectée ? En fait, les observateurs de la vie politique sont catégoriques ; ils estiment que ce ne sont ni les élections locales, ni même les élections législatives qui pourraient mettre à mal cette stratégie. Il est toujours facile, selon eux, d’élaborer des listes communes pour les élections municipales et départementales et de trouver des candidatures uniques dans chaque circonscription pour les législatives. Ils vont «quadriller» le territoire, en faisant en sorte que chaque entité soit fortement présentée là où elle est bien implantée. Le PSD, le FAR et l’ACR dans le pays Ngounié-Nyanga, dans une partie du Moyen-Ogooué et dans l’Ogooué-Maritime. Les partisans de Zacharie Myboto, André Mba Obame et Paulette Missambo dans le Haut-Ogooué, l’Estuaire, l’Ogooué-Lolo, l’Ogooué-Ivindo, le Woleu-Ntem et dans une autre partie du Moyen-Ogooué. Sur ces candidatures uniques ou listes communes, il ne devrait pas y avoir de risque d’explosion.
Le doute est, en revanche, permis pour la suite. L’élection présidentielle pourrait voir cette belle aptitude à la coopération et à la collaboration voler en éclats. Ce «chef d’œuvre» pourrait se morceler. Qui sera le candidat unique de la coalition ? Dans ce groupe, il y a des stratèges, des tacticiens, des sprinteurs, des marathoniens, des hommes intègres et de grande qualité, mais aussi des personnes engoncées dans leurs certitudes, et des adeptes du repli sur soi. André Mba Obame ou, éventuellement, Casimir Oyé Mba, peut-il être accepté comme candidat unique de l’UFC à l’élection présidentielle (à un tour) par Louis-Gaston Mayila et Pierre-Claver Maganga Moussavou ? Pierre André Kombila, ou éventuellement Mathieu Mboumba Nziengui, peut-il être accepté par Zacharie Myboto ou Jean Eyéghé Ndong ? Jules Aristide Bourdès Ogouliguendé peut-il s’effacer devant Séraphin Ndaot Rembogo ? Peu probable, à notre avis, mais on peut se tromper.
Le propre de l’homme politique est de ne pas connaître et reconnaître ses limites. Et puis, quand on a vu comment ils ont géré leur vie politique dans le passé, nous pouvons être confortés dans notre position. Était-ce une instruction du président Omar Bongo, quand on les a vu gérer leur département ministériel ou leur institution avec essentiellement leurs proches, du point de vue ethnique ou provincial ? Louis-Gaston Mayila a fait la promotion administrative de nombreux cadres Gisir, tout comme Jules Bourdès Ogouliguendé, jusqu’à la présidence de l’Assemblée nationale, a fait la part belle aux cadres Myéné de l’Ogooué-Maritime et de l’Estuaire, et Jean Eyéghé Ndong n’avait d’yeux que pour les cadres du 2e arrondissement de Libreville. Est-ce que ces pratiques qui étaient les leurs sont définitivement bannies ? N’étaient-ce que des accidents de parcours ?
Aujourd’hui, il est vrai, ils apparaissent comme des rassembleurs et des chantres de l’unité nationale. Zacharie Myboto a remis les compteurs à plat avec André Mba Obame. Benoît Mouity Nzamba et Séraphin Ndaot Rembogo se sont rabibochés. Après avoir traité Jean Eyéghé Ndong de «petit chef» et démissionné de son gouvernement en 2007, Louis Gaston Mayila a accepté de fumer le calumet de la paix avec lui. Pourvu que ça dure jusqu’en 2016… Sinon, l’opinion considérera que l’UFC, c’est le «ngounda-ngounda-pour-à-rien», pour reprendre une expression bien connue des Librevillois.



