Jules Potier Loembé, citoyen gabonais, recevra mardi 30 avril à Paris le diplôme d’administration publique de l’ENA-France au terme du Cycle international long (CIL) de la promotion Jean Zay.
Juriste talentueux dont le mémoire a été publié à la demande du jury, l’enfant de Belle-Vue II se détend en écoutant Oliver Ngoma et en cuisinant le poulet à l’odika. Aux côtés de 27 autres étrangers, il a suivi durant 18 mois la même scolarité d’excellence que les élèves français, alternant stages et formations. Portrait d’un Gabonais au top qui souhaite « consacrer sa vie à l’intérêt général » et rêve de revenir travailler au pays…
Un juriste de haut vol
Un diplôme d’administration publique qui vient s’ajouter à un palmarès académique déjà très impressionnant, celui d’un juriste de haut niveau qui débute par une licence et s’achève par un master II, spécialité « histoire du droit », à l’université Panthéon-Assas Paris II, noté 15/20 en seconde position derrière le major. Pour marquer sa satisfaction, le jury a demandé la publication de son mémoire, le premier en France consacré à « l’administration des droits réunis ».
De quoi s’agit-il ? « L’administration des « droits réunis » désigne une régie financière créée sous l’Empire pour percevoir les impôts indirects, explique Jules Potier Loembé : « J’ai voulu démontrer comment la construction d’institutions dans un pays donné correspond à un contexte historique, politique, social et économique précis, loin du mimétisme auquel les autorités ont souvent recours dans de nombreux pays africains et qui consiste à importer des concepts et des institutions sans s’interroger sur leur sens, leur raison d’être ou leur pertinence dans nos pays ».
Le délégué des élèves
Entre 2011 et 2013, tout en préparant en parallèle un Master en administration publique à Sciences-Po Strasbourg, l’insatiable Jules accompli le parcours du combattant-énarque en suivant, comme les élèves français, les enseignements de méthodologie, de communication, de négociation ainsi que les modules Europe et Territoires.
« Il faut toujours croire en soi et toujours se remettre en question », confie-t-il quand on lui demande quel conseil il donnerait à un jeune gabonais en quête de réussite. Et aussi se vouer à l’intérêt général. Ainsi sera-t-il, au long de sa scolarité d’excellence, le Délégué du Cycle international long, membre de droit du Conseil d’administration de l’ENA. Légitime fierté : « J’ai été élu au terme d’une campagne basée sur un programme présenté aux autres élèves issus des cinq continents ». Une fonction que lui a permis également de devenir membre de la Commission financière de l’école, et ainsi de donner des avis sur les comptes financiers de l’établissement et les mesures budgétaires prises.
Les stages ENA et le bébé qui arrive !
Affecté auprès du Directeur général de l’Agence française de développement (AFD), Jules Potier Loembé a effectué un premier stage ENA au département juridique et travaille sur les contrats de financement des projets situés en Afrique, en Amérique latine et dans les départements français d’Outre-mer. Son second stage s’est déroulé à la Préfecture des Pyrénées-Orientales : « C’est peut-être ce que je retiendrai de l’ENA tant j’y ai appris des choses qui ont une importance majeure pour un administrateur et qui, j’en suis convaincu, m’aideront durant toute ma vie professionnelle. La seconde raison pour laquelle ce stage a été si particulier est que mon fils est né à Perpignan, durant ce stage. Durant la grossesse de ma compagne et après l’accouchement, le préfet, son épouse et le personnel de la préfecture nous ont été d’un grand soutien, à un moment où nous étions loin de nos familles respectives. En tant que stagiaire de l’ENA, je disposais au sein de la Préfecture d’un logement de fonction et le préfet a bien voulu que mon fils y vive ses premiers mois ».
Comme tous les jeunes pères modernes, ceux qui partagent les tâches avec madame !, Jules n’oublie pas cette période : « Il était courant de finir mon travail à 23h, passer des nuits à donner le biberon et changer les couches (pour aider ma compagne qui le faisait toute la journée) et me rendre à 6h au bureau, pour rédiger la note que le préfet devait avoir à 8h ». Et dire qu’il souhaitait, enfant, devenir architecte ! Jules Potier Loembé a appris en même temps l’architecture complexe de la haute fonction publique et celle, non moins complexe, du couple qui accueille un nourrisson.
L’engagement pour la jeunesse africaine
En recevant leur diplôme mardi 30 avril sous les ors du Palais des Affaires étrangères à Paris, les 28 élèves étrangers de l’ENA verront leurs noms s’ajouter à ceux des 3200 anciens élèves du monde entier passés par cet établissement d’élite. La plupart regagnent leur pays pour accéder aux plus hauts postes d’encadrement. Mais Jules Potier Loembé s’interroge : « Vais-je enfin recevoir une réponse aux messages que j’ai adressé dans les administrations gabonaises ? ».
Une question teintée d’inquiétude pour celui qui avoue pouvoir trouver des jobs en or assez facilement en Europe. Un combat intérieur pour ce Gabonais inspiré par le grand Frantz Fanon. En 2010, n’était-il pas le secrétaire général du collectif Oser l’Afrique qui avait pour objectif de faire le bilan des 50 années d’indépendance et de mobiliser les jeunes au service du développement du continent ? N’était-il pas un des rédacteurs du Carnet de la jeunesse pour l’Afrique, où les choses étaient dites clairement : « Toute mobilisation ne se révèlera efficace que si elle se construit autour d’une identité assumée et d’une éthique partagée. Cette éthique devra s’appuyer sur les valeurs d’ouverture car l’Afrique doit regarder non plus seulement vers l’Europe et les États-Unis mais aussi vers les nouveaux foyers d’innovation que sont l’Asie et l’Amérique Latine ; de solidarité car seule l’union fait la force ; d’exemplarité, seule source de légitimité et d’adhésion ; de respect de l’œuvre des générations précédentes ».