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«Affaire Péan» : Changer de braquet

Ali Bongo ne peut laisser s’ancrer la thèse selon laquelle des dispositions constitutionnelles auraient été taillées sur mesure.
Ali Bongo ne peut laisser s’ancrer la thèse selon laquelle des dispositions constitutionnelles auraient été taillées sur mesure.
Dans la stratégie d’Ali Bongo, la communication et le juridique doivent céder places à la politique et à l’institutionnel au sens noble, pour que le souverain et la République retrouvent leurs droits.

«On n’est jamais mieux servi que par soi-même», dit pourtant un adage bien connu. Près de 2 semaines après le déclenchement de «l’affaire Péan», le pays a du mal à déchiffrer la stratégie du président de la République, à comprendre son mutisme, sa tendance à faire comme si de rien n’était, à vouloir créer la diversion et à agir par délégation. Ali Bongo doit affronter l’adversité et descendre dans l’arène. Il doit s’exprimer et livrer au peuple gabonais à qui il a juré de «consacrer toutes (se) forces» et qu’il doit «préserver de tout dommage», sa lecture de la situation. Il doit lui fournir des explications et dire comment il entend garantir le «respect de la Constitution, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat» dans un contexte de défiance populaire vis-à-vis des institutions, accusées de partialité.

Non pas que ses collaborateurs n’aient pas le droit de s’exprimer sur la question. Non pas que sa famille ne soit pas légitime à fournir son témoignage. Mais l’amplitude du séisme est si forte, son onde choc si longue et ses dégâts collatéraux si importants pour que le président de la République essaie de se soustraire de la campagne d’explication, de se dérober de son devoir d’exemplarité et de sa responsabilité vis-à-vis du peuple. C’est lui et lui seul qui est mis en cause. C’est lui et lui seul que le peuple veut entendre. Toute autre intervention ne pouvant être que superfétatoire voire improductive ou contre-productive.

Doutes et zones d’ombre

Déjà, à la suite de sa maman il y a quelques années et au nom de sa parentèle, sa sœur aînée s’est résolue à un témoignage. Mais elle s’est égarée dans des détails pas toujours cohérents et surtout dans un parallèle hasardeux avec les symboles de la République. Maniant davantage l’injure et l’anathème que l’argumentation et les faits historiques, le gouvernement et le Parti démocratique gabonais (PDG) se sont livrés à des démentis hors de propos avec des insinuations politiques relevant davantage du procès d’intention, comme si l’essentiel pour eux était de donner des gages, de s’attirer ce que Camara Laye nommerait «le regard du roi». Tantôt scénariste, tantôt metteur en scène voire comédien, le porte-parole de la présidence de la République se démène par monts et par vaux sans convaincre grand monde. Bien au contraire, ses initiatives improvisées, ses circonvolutions rhétoriques, ses déclarations tonitruantes et ses certitudes assénées avec aplomb en rajoutent souvent quand elles ne prennent pas le contrepied des événements. Assurément, il faut changer de braquet.

Pour Ali Bongo, l’heure est venue de prendre la parole, de dire au peuple gabonais ce qu’il en est de l’extrait de naissance querellé, de son origine et de la suite que, personnellement, il entend donner à ces événements. Au-delà, il doit clarifier le rôle de l’officier d’Etat-civil, de l’organisme en charge de l’organisation des élections et de la Cour constitutionnelle. En tant que président de la République, il doit livrer sa compréhension du mécanisme de délivrance des pièces d’identité, sa perception de l’Etat-civil ainsi que sa conception de la différence entre nationalité et éligibilité. Pour le respect des institutions, cet exercice s’impose. En République, le peuple est souverain : c’est à lui qu’appartient le pouvoir, qui n’est exercé par le président de la République que par délégation. Peut-on faire l’économie d’une explication en direct quand on a le sentiment que des doutes et zones d’ombre menacent la relation entre le souverain et celui à qui il est censé avoir délégué le pouvoir ? Rien n’est moins sûr…

Garantir le vivre-ensemble

Jusqu’ici, Ali Bongo s’est tu : persister dans cette option, c’est entretenir un climat de méfiance avec le peuple tout en lui déniant le droit au contrôle, à la sanction en toute connaissance de cause. Sauf à semer le doute sur les relations entre Omar Bongo Ondimba et sa progéniture, son fils aîné, par ailleurs son ancien ministre de la Défense, ne peut décemment laisser s’accréditer l’idée d’un extrait de naissance établi en 2009. Il ne peut laisser s’ancrer la thèse selon laquelle des dispositions constitutionnelles auraient été taillées sur mesure, tel des costumes. Il doit en revanche dire comment l’édifice juridique et institutionnel légué par le fondateur du PDG peut contribuer à conduire le Gabon plus avant sur les sentiers de l’avenir. Mais, pour cela, Ali Bongo doit quitter les habits d’«héritier», de «fils du patron devenu patron» pour emprunter ceux de délégué. Pour tout dire, il doit abandonner la posture de «monarque républicain» pour celle de président de la République qui rend des comptes au peuple au nom de qui il exerce un mandat.

Pour Ali Bongo, l’heure est venue de faire de la politique et de songer au devenir des institutions. Il ne s’agit point de venir au secours de ceux qui confondent politique et communication, mais réfléchir aux conséquences des interactions entre les différentes forces sociales afin de garantir le vivre-ensemble. Il n’est nullement question de rejoindre ceux pour qui les institutions sont au service du pouvoir établi mais de voir comment les mettre au diapason du peuple, au besoin de les amener à intégrer la notion de «devoir d’ingratitude», cette indépendance effective dont parlait Robert Badinter dans une interview au journal Le Monde en 1982.

Jusqu’où va nous mener la judiciarisation de «l’affaire Péan» ? Jusqu’à quand va-t-on prétendre que la communication peut remplacer la politique ? Pendant combien de temps encore allons-nous feindre de confondre enfance et naissance ? Pourquoi devons-nous nous complaire à entretenir l’amalgame entre nationalité et éligibilité ? Il y aura toujours des personnes prêtes à témoigner. Il se trouvera toujours des conseillers, des courtisans pour vanter la force, magnifier le contrôle de l’appareil d’Etat par un camp et prétendre que la situation est «sous contrôle». Mais, le parfum nauséabond de «l’affaire Péan» nous commande une autre démarche, une option empreinte d’humilité et de sens de l’histoire. Pour cela, nos options doivent être d’une autre teneur, d’un autre alliage que celles ayant eu cours jusque-là….

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