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Mise en garde de la présidence de la République: La poussée autoritariste

Alain-Claude-Billié-Bi-Nze-460x190Aucun droit fondamental ne peut être revendiqué hors du respect des autres libertés fondamentales, y compris la liberté d’expression. Dans les mises en garde du porte-parole de la présidence de la république, on retrouve toute la moelle du pouvoir PDG.

«Il est interdit d’interdire», aurait-on, en réalité, envie de dire après les mises en garde de la présidence de la République le 13 février dernier (lire par ailleurs «La mise en garde de la Présidence contre ses diffamateurs»). Jugée outrancière, liberticide, maladroite et contre-productive, cette sortie fait la quasi-unanimité contre elle. Elle résonne comme une vaine tentative d’intimidation. L’opinion s’enflamme et les réseaux sociaux se déchaînent. Alain-Claude Billie By Nzé est accusé de faire du zèle, de porter atteinte à la liberté d’expression et de vouloir éviter au président de la République des explications sur son état-civil et son bilan.

Il y a dans cet oukase toute la moelle même du pouvoir PDG. Mélange d’arrogance et d’exigence de pureté, de mystification idéologique et d’esbroufe, de victimisation et de mauvaise foi, la doctrine PDG a toujours confondu la règle et la loi, l’autorité et l’autoritarisme. On ne se refait pas après six ans de pouvoir solitaire ou 48 ans de pouvoir absolu. Même s’il a toujours prétendu défendre le «dialogue», la «tolérance» et la «paix», le PDG demeure ce parti où la solidarité, la délibération et le vote passent après l’efficacité, l’habitude et l’unilatéralité. Il se révèle à l’opinion comme il n’a jamais cessé d’être : une machine exclusivement conçue pour la conservation du pouvoir d’Etat, un instrument dédié à la gloire d’un homme. «S’en-prendre à la personne du président de la République, c’est un délit puni par les lois de la République», a justifié le porte-parole de la présidence de la République.

Entreprise de musèlement et de négation de la liberté d’expression

De toute évidence, il se référait à l’article 158 de la loi n° 21/63 du 31 mai 1963 portant Code pénal qui punit «l’outrage envers le président de la République ou son conjoint, commis en quelque lieu, en quelque occasion ou par quelque moyen». Or, l’article 130 de la loi n° 07/2001 portant Code de la communication audiovisuelle, cinématographique et écrite précise que cela concerne essentiellement les «tracts, bulletins ou papillons, distribués ou exposés au regard du public ou détenus en vue de la distribution». A aucun moment il n’est question de journaux régulièrement enregistrés et encore moins de presse en ligne ou sites internet. Mieux, si l’article 214 de la même loi sanctionne les atteintes aux institutions de la République, son libellé semble vague, trop vaste. Toute poursuite engagée sur ces fondements-là aurait forcément des airs d’entreprise de musèlement et de négation de la liberté d’expression.

Au vrai, l’outrage à président de la République s’accommode mal de la liberté d’expression et plus largement des valeurs démocratiques. Dans un contexte où le statut juridictionnel du président de la République lui confère une irresponsabilité pénale, civile et administrative, ce délit est perçu comme «la transposition dans le droit républicain du crime de lèse-majesté d’ancien régime», selon le mot du leader du parti français Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon. Autrement dit, en attaquant en justice alors que lui ne peut l’être, le président de la République prendrait le risque de mettre en débat le principe d’égalité de tous devant la loi et l’équité de ces éventuels procès. Or, juridique ou morale, la loi répond d’abord à des préoccupations de justice, d’égalité et de solidarité. Elle vise à défendre des valeurs reconnues par tous et non à garantir l’efficacité d’un système ou le fonctionnement optimal d’un processus. Au lieu de restreindre son champ de vision au fonctionnement des institutions, aux habitudes établies et à la réaffirmation de l’autorité des gouvernants, Alain-Claude Billie By Nzé aurait gagné à promouvoir la construction d’une société plus juste, plus solidaire, plus égalitaire, à militer pour plus de transparence, à œuvrer pour une plus large ouverture au débat contradictoire et à s’interroger sur la réciprocité de la démarche.

Cohabitation entre droits fondamentaux

A peine un mois après la participation d’Ali Bongo à la marche républicaine pour la défense de la liberté d’expression organisée suite aux attentats terroristes contre notre confrère Charlie Hebdo, la présidence de la République relance un débat jamais tranché, mais de fond : la liberté d’expression est-elle nécessairement encadrée, soumise aux restrictions imposées par la loi ? Naturellement, aucune réponse ne peut faire l’unanimité. Dans la plupart des pays, y compris les démocraties, la diffamation, l’injure et le respect de la vie privée constituent des limites à l’exercice de ce droit fondamental. Généralement, ces restrictions trouvent leurs fondements dans l’histoire et le vécu des peuples. Il en va ainsi dans le monde occidental où l’Esclavage, la colonisation, la Shoah ou le Génocide sont tenus pour des conséquences funestes de la libre expression du racisme, des théories sur la supériorité des races ou de l’antisémitisme. Sans convoquer ces expériences extrêmes, la recherche de la paix et la défense de l’intérêt général peuvent constituer des limites à la liberté d’expression.

La cohabitation entre droits fondamentaux suffit donc à limiter la liberté d’expression. Or, tout et chaque jour, le droit au respect de la correspondance est violé par des écoutes illégales, banalisées depuis ; le droit à l’image est mis à mal par la publication de photos de présumés délinquants ; le droit d’aller et venir est malmené par des interdictions de sortie du territoire décerné à tout-va ; le droit de vote est nié par des scrutins truqués, joués d’avance ; la liberté d’opinion est balayée d’un revers de main par des purges au sein de l’administration, du parapublic et même du privé ; la liberté de réunion est sacrifiée sur l’autel de considérations faussement sécuritaires… Dès lors, comment revendiquer le respect de la vie privée ? Les droits civils et politiques s’autorégulent et se neutralisent mutuellement. Pour garantir la paix et préserver l’intérêt général, il suffit de les appliquer en bloc, sans préférence ni restriction. Nul besoin de sacraliser quiconque ou quelque fonction. Totalement superflu d’en référer à une quelconque institution ou autorité.

Le porte-parole de la présidence de la République en avait-il conscience ? A-t-il pris le risque de sacraliser certaines fonctions ? Est-il tombé dans la magnificence de l’arbitraire et de l’autoritarisme ? Tout dépend de l’idée que chacun se fait de notre justice. Mais, pour les militants de l’élargissement des espaces de liberté, la réponse coule de source. A leurs yeux, plier équivaudrait à ouvrir la voie à un processus de restriction continu des droits. La suite ? Elle dépend de l’attitude d’Ali Bongo. A lui et à lui seul de dire s’il est définitivement Charlie….

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