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Gabon : portrait de Marie-Madeleine Mborantsuo, celle dont dépend le dénouement de la crise post-électorale

À la tête de la plus haute juridiction du pays, Marie-Madeleine Mborantsuo a traversé plus de deux décennies de contentieux électoraux sans se laisser intimider. Portrait d’une femme secrète qui détient les clés du dénouement de la crise qui secoue le pays.

De cette femme qui tient depuis tant d’années les rênes de la Cour constitutionnelle, on croyait tout savoir. Qu’elle est née à Franceville (dans la province du Haut-Ogooué) et qu’elle a été reine de beauté. Que le volage Omar Bongo Ondimba ne résista pas à ses charmes, qu’elle fut sa maîtresse et qu’il lui fit deux enfants.

Et surtout qu’elle lui doit beaucoup, à commencer par sa nomination à la tête de la plus haute juridiction du pays. Marie-Madeleine Mborantsuo, 61 ans, a pourtant le goût du secret et veille aussi jalousement sur sa vie privée que sur cette institution qu’elle préside depuis sa création, en 1991, à la suite de la conférence nationale de 1990.

À Libreville, qu’Omar Bongo comparait à une « maison de verre » où tout finit par se savoir, les seuls excès qu’on lui connaisse tiennent à son goût pour les jolies toilettes. On ne lui attribue ni frasques ni scandales – et c’est sans doute ce qui lui a permis de traverser sans trop se mouiller les tempêtes de plus de deux décennies de contentieux électoraux.

Détentrice des clés du dénouement de la crise

Les circonstances mêmes de sa rencontre avec l’ancien président du Gabon et l’état de ses relations avec le successeur de celui-ci, Ali Bongo Ondimba, demeurent aujourd’hui encore une inépuisable source de spéculations. Anecdotique ? Certainement pas : c’est elle qui détient les clés du dénouement de la crise qui, depuis l’élection présidentielle du 27 août, secoue le Gabon.

Le 9 septembre, alors qu’il s’était finalement résolu à déposer un recours devant cette Cour constitutionnelle qu’il surnomme volontiers « la tour de Pise », parce qu’elle penche toujours du côté du pouvoir, Jean Ping mettait en garde : « Je crains qu’un nouveau faux pas de la Cour constitutionnelle soit le facteur d’une instabilité profonde et durable du Gabon ! » Une menace à peine voilée, mais Marie-Madeleine Mborantsuo n’est pas femme à se laisser intimider.

Elle n’a pas bronché quand Casimir Oyé Mba, qui était candidat à l’élection présidentielle avant de se désister en faveur de Jean Ping, a promis de réformer la Cour constitutionnelle de fond en comble, arguant que « cela fait trop longtemps que certains juges y siègent ».

Peu lui importe aussi que les réseaux sociaux instruisent déjà son procès, l’accusant par avance de favoriser le président sortant, que la commission électorale a donné vainqueur avec 49,8 % des suffrages. Elle n’a que faire, dans ces tribunaux populaires qui sévissent sur internet, d’être jugée objectivement coupable et potentiellement responsable des troubles que sa décision pourrait occasionner.

Interrogée par Jeune Afrique sur sa proximité passée avec l’ancien président, elle rétorque : « Mes relations avec Omar Bongo seraient la preuve de ma partialité ? Que je sache, certains opposants actuels faisaient également partie de sa famille. Cela ne les a pas empêchés de se dresser contre son fils. »

Interventions sèches et cassantes

Faiseuse de rois, l’ancienne Miss Haut-Ogooué exerce son pouvoir sans partage dans son imposant palais du front de mer, à Libreville. Sous les hautes colonnades de ce blockhaus d’architecture turque au goût discutable, son autorité se met théâtralement en scène. Est-ce parce qu’il lui a fallu des trésors de patience et d’énergie pour s’imposer dans ce marigot peuplé de sauriens sexistes, voire misogynes ?

Dans sa salle d’audience, ses interventions se caractérisent par leur sécheresse. Tout est fait pour que les politiciens s’écrasent devant la prééminence de la Constitution à laquelle cette magistrate hors hiérarchie a fini par s’identifier.

Formée en droit à l’université de Libreville, puis à la Sorbonne, elle a également soutenu une thèse à la faculté d’Aix-en-Provence et a présidé la chambre des comptes de la Cour suprême gabonaise. L’élégante se montre volontiers cassante.

Guy Nzouba Ndama en a fait les frais et ne l’oubliera pas de sitôt. Moquant « les hauts juristes » dont cet ancien président de l’Assemblée nationale s’était entouré pour contester la recevabilité de la candidature d’Ali Bongo, Marie-Madeleine Mborantsuo le pria « de mieux regarder [son] dossier ». Quelques jours plus tôt, en juillet, c’est l’ancien ministre René Ndemezo’o Obiang, un autre soutien de Ping, qui avait été publiquement étrillé.

La relation floue avec Omar Bongo Ondimba

Sans doute est-ce cette force de caractère qui avait séduit Omar Bongo Ondimba et qui l’avait poussé, des années plus tard, à l’adouber publiquement. Les Gabonais se souviennent encore de ce 17 août 2008, jour de la fête nationale, célébrée cette année-là à Mouila (Ngounié). Toute la classe politique locale est rassemblée pour l’occasion, mais Omar Bongo n’a pas le cœur à la fête. Son épouse, Édith Lucie, est gravement malade – il se murmure alors qu’elle se meurt au Maroc (elle succombera sept mois plus tard).

Pourtant, il choisit d’ouvrir le bal avec Marie-Madeleine Mborantsuo. Une danse qui vaut toutes les annonces, et les invités présents ne s’y trompent pas : sentant sa fin proche, le « roi » vieillissant vient de la choisir comme régente. C’est elle qui aura la charge de veiller sur la transition. Tâche dont elle s’est acquittée avec sang-froid, en août 2009, résistant aux pressions et acceptant le recomptage des voix réclamé par l’opposition.

Sitôt élu, Ali Bongo Ondimba se confronte lui aussi très vite – et à ses dépens – à son intransigeance. En 2010, lors de la cérémonie des vœux à la nation, Marie-Madeleine Mborantsuo morigène le protocole et casse l’ambiance. « Seule la chaise du président doit arborer les armoiries du pays ! Pas celle de la première dame, qui n’est pas reconnue par notre Constitution. »

La chaise de la discorde est changée, l’incident clos. En décembre 2015, Mborantsuo réaffirme son indépendance en faisant annuler une série d’ordonnances signées de la main du président, notamment une portant création d’un tribunal et d’une cour d’appel chargés de réprimer la délinquance financière et économique, les grands trafics, les crimes de sang aggravés avec prélèvement d’organes et autres mutilations des victimes. Motif : ces ordonnances violent la Constitution. Le pouvoir accuse le coup, mais choisit de ne pas faire de vagues.

Liens familiaux

Avant de régner sur la République, madame la présidente assure la police des audiences, notamment dans les rangs de ses juges. Il faut dire que la composition de la collégialité est à l’image des mœurs du pays. Trois membres de la Cour ont ainsi été nommés sur proposition de Guy Nzouba Ndama, avant qu’il ne se rallie à Jean Ping.
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La benjamine des juges, Afriquita Dolorès Agondjo, 49 ans, n’est autre que la fille de feu Pierre-Louis Agondjo Okawé (le fondateur du Parti gabonais du progrès) – autrement dit, la nièce de Jean Ping. Quant à Christian Baptiste Quentin Rogombé, il est le beau-fils de l’ex-présidente de transition, Rose-Francine Rogombé, et le demi-frère de l’actuelle ministre du Commerce, Madeleine Berre… Ici, la consanguinité est étonnante : affinités politiques, intérêts économiques et liens familiaux sont inextricables.

Dans ce contexte, la Cour constitutionnelle parviendra-t-elle à énoncer la vérité, ainsi que l’y exhorte chacun des deux camps ? Fervente catholique, Marie-Madeleine veut y croire, elle qui porte le prénom d’une pécheresse transfigurée par la fréquentation du Christ. Et de conclure : « Nous ne nous attendions pas à autant d’insuffisances dans l’organisation du scrutin. Ce sont les règlements de comptes personnels et familiaux entre acteurs politiques qui ont conduit à cette crise. »

Georges Dougueli

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