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Révision constitutionnelle : À rebours de la République

En cherchant à constitutionnaliser la différence entre concordance majoritaire et cohabitation, le Conseil des ministres range le président de la République dans un camp politique. Il soumet le fonctionnement des institutions aux aléas de la conjoncture tout en induisant une confusion entre intérêt général et intérêt particulier.

À la hussarde ? En tout cas, de façon brusque et brutale… Censé clarifier les pouvoirs au sein de l’exécutif «en cas de cohabitation», un projet de révision constitutionnelle a été adopté par le Conseil des ministres le 28 septembre dernier. On en retient essentiellement une chose : un rééquilibrage des pouvoirs afin de permettre au président de la République de garder la haute main sur la conduite des affaires en cas de changement de majorité parlementaire. Malgré l’annonce d’un renforcement des pouvoirs du Parlement, ce projet de réforme traduit une volonté de passer du régime semi-présidentiel à un présidentialisme absolu. Au-delà des gages donnés à la Cour constitutionnelle pour s’assurer de son silence bienveillant, il devrait modifier complètement l’équilibre des pouvoirs. Pis, il pourrait donner naissance à une république modulable au gré des circonstances et majorités politiques. Pour tout dire, il porte en lui les germes d’une instabilité institutionnelle et même d’un changement de régime.

Résonance politique voire politicienne

De fait, à travers une phrase laconique, vaseuse et évasive, le Conseil des ministres a essayé de légitimer son projet. En opportunité, il s’est réfugié derrière la mise en œuvre des recommandations du Dialogue politique tenu du 28 mars au 24 mai 2017. Désireux de noyer le poisson, il en a dit le moins possible sur les rapports entre pouvoirs et institutions, donnant plutôt à lire un ensemble de mesures abordées de manière sommaire. N’empêche, son intention d’adapter les pouvoirs du président de la République au contexte politique porte atteinte à la respectabilité de l’institution. Paradoxalement, le président de la République se trouve ravalé au rang d’acteur politique ordinaire. En cherchant à constitutionnaliser la différence entre concordance majoritaire et cohabitation, le Conseil des ministres l’a rangé. En divisant clairement la vie de nation en deux périodes, il a pris le risque de soumettre le fonctionnement de l’État et des institutions aux aléas de la conjoncture politique. Ce faisant, il a induit une confusion entre intérêt général et intérêt du citoyen porté aux charges de président de la République. Autant le dire : il veut consacrer le poids des intérêts privés et partisans dans la vie publique.

N’en déplaise à ses concepteurs, ce projet de réforme constitutionnelle revêt un côté pervers et contreproductif. Attentatoire au prestige de la fonction de président de la République, il va à rebours de l’idée même de république. Si personne ne peut nier les effets néfastes de la cohabitation, l’esprit de nos institutions permet de les annihiler. Théoriquement au-dessus des partis, le président de la République est tout à la fois gardien de la Constitution, arbitre du jeu institutionnel et garant de la politique étrangère et de la défense nationale. Dès lors, la notion de cohabitation ne revêt aucune pertinence institutionnelle et juridique. Sa résonance est politique et seulement politique voire politicienne. Faute de le comprendre, le Conseil des ministres a choisi de constitutionnaliser la possibilité d’une dyarchie au sommet de l’État. Or, si le Premier ministre est choisi au sein du camp majoritaire à l’Assemblée nationale, il est nommé par le président de la République et par compatibilité avec ce dernier. Légiférer sur une éventuelle cohabitation signifie alors admettre l’éventualité d’une perte d’autorité du président de la République. Surtout, cela équivaut à opposer sa légitimité à celle du gouvernement et, partant, de l’Assemblée nationale. Peut-on s’y résoudre quand on affirme être au service d’un président de la République ? Nenni…

Conservation du pouvoir

Inspirée de la Constitution française de 1958, notre Loi fondamentale établit le président de la République comme clef de voûte des institutions. Elle ne saurait, par conséquent, le transformer en un acteur politique s’adonnant à des combinaisons d’arrière-boutique. «Le président est évidemment seul à détenir et à déléguer l’autorité de l’État. Mais, précisément, la nature, l’étendue, la durée de sa tâche impliquent qu’il ne soit pas absorbé, sans relâche et sans limite, par la conjoncture, politique, parlementaire, économique et administrative. Au contraire, c’est là le lot, aussi complexe et méritoire qu’essentiel, du Premier ministre», expliquait Charles de Gaulle, le 31 janvier 1964. Pour le père de la Ve République française, l’exécutif ne peut être bicéphale. Sauf, bien entendu, si le président de la République perd la confiance du peuple souverain. Dans ce cas de figure, une seule solution s’offre alors à lui : la démission. Est-ce le vœu secret des concepteurs de ce projet de révision constitutionnelle ? Personne ne peut le croire. Ont-ils mesuré la portée juridique et institutionnelle de leur proposition ? On peut raisonnablement en douter.

On le sait : la présidentielle d’août 2016 a ébranlé les certitudes du pouvoir en place. Elle a permis à chacun de se faire une idée de son impopularité. Du coup, la perspective de nouvelles élections l’effraie. Ayant perdu foi en leur capacité à sortir victorieux des prochaines législatives, ses ténors entendent se prémunir d’une éventuelle cohabitation. Peu importe le résultat des élections prévues pour avril prochain, ils espèrent conserver l’effectivité du pouvoir d’État. Ayant fait reporter les législatives à deux reprises déjà, ils œuvrent à d’opportunistes arrangements institutionnels. Seulement, dans un système institutionnel comme le nôtre, leur lecture fait fi de deux éléments constitutifs du pouvoir exécutif : la fonction tribunitienne et le sens de l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Élu au suffrage universel direct, un président de la République peut-il redouter un Premier ministre nommé par ses soins ? Bénéficiant de la confiance du peuple, a-t-il des raisons de se prémunir d’un gouvernement investi par une Assemblée nationale ? À moins de nourrir des appréhensions sur la relation entre le peuple souverain et le président de la République, les manipulations constitutionnelles annoncées ne se justifient pas. Les concepteurs de ce projet craignent-ils de voir l’opinion soutenir le gouvernement contre le président de la République ? Ont-ils des doutes sur sa légitimité ? D’eux, l’opinion attend clarification. Pour l’heure, on leur rappellera cette loi d’airain de la démocratie libérale : la conquête et la conservation du pouvoir passent par le suffrage universel et non par des tripatouillages juridiques douteux.

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