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Immunité totale et à vie : Une transgression de plus

La constitutionnalisation de la pleine et entière irresponsabilité du président de la République est une fausse bonne idée.

Annoncée le 28 septembre dernier, la révision constitutionnelle en projet concerne aussi la justice. Si l’on relève d’emblée le retour à la dénomination «autorité judiciaire» en lieu et place de «pouvoir judiciaire», cette réforme envisage la création d’une Cour de justice de la République aux côtés de l’actuelle Haute cour de justice. Juridiction d’exception non permanente, la Cour de justice de la République serait chargée de juger «le vice-président de la République, les présidents et vice-présidents des institutions constitutionnelles, les membres du gouvernement les chefs des hautes cours et les membres de !a Cour constitutionnelle pour les actes commis dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions et qualifiés de crimes ou délits au moment où ils ont été commis, ainsi que leurs complices et co-auteurs en cas d’atteinte à la sûreté de l’État». La Haute cour de justice serait, elle, chargée de juger «le Président de la République en cas de violation du serment ou de haute trahison».

Seulement, le texte précise : «Le Président de la République qui a cessé d’exercer ses fonctions ne peut être mis en cause, poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé pour les faits définis par la loi organique sur la Haute Cour de Justice». De toute évidence, les principaux axes de cette réforme contrastent radicalement avec les attentes des populations. Ils sont, en tout cas, très éloignés des réponses aux défis du moment. L’indépendance de la justice tant réclamée par l’opinion publique ne se reflète nullement dans les propositions de l’exécutif. L’égalité de tous devant la loi non plus. À première vue, ces modifications visent un seul et unique objectif : la consécration de l’irresponsabilité pénale du président de la République. Autrement dit, ces amendements entendent instaurer l’impunité totale et à vie pour toute personne ayant occupé la fonction de président de la République.

L’expression d’un aveu ?

Même si on peut subodorer une certaine continuité derrière ces propositions, elles n’en suscitent pas moins l’étonnement. Face à la demande de liberté toujours plus grande, à l’aspiration à l’égalité toujours plus insistante et à la quête de solidarité, elles détonnent. Aucun responsable politique ou leader associatif ne peut encore prétendre ne pas être au fait des exigences de notre époque. Nul besoin de ressasser des considérations idéologiques, politiques ou politiciennes pour parvenir à ce constat : la proposition de l’exécutif est hors du temps. Il n’est pas nécessaire d’être un grand clerc pour arriver à cette conclusion : elle est politiquement inopportune et techniquement insoutenable. Chacun le sait : l’impunité de fait nourrit l’arbitraire quand l’impunité de droit rompt le principe d’égalité des citoyens devant la justice. L’une et l’autre génèrent un sentiment d’insécurité. Pis, si l’impunité de droit protège de la sanction pénale, elle ne met nullement à l’abri du jugement de l’histoire. Malgré son pouvoir dénégateur, elle ne légitime pas les actions commises. Or, en démocratie, la légitimité de l’action est la quête première de tout leader. Pour ainsi dire, dans un environnement démocratique, la quête d’impunité ne fait pas sens.

Manifestement, la constitutionnalisation de l’immunité à vie pour le président de la République est une fausse bonne idée. Déjà, en l’état actuel des choses, son statut juridictionnel apparaît comme un déni de justice. Doit-on en rajouter ? Est-il nécessaire d’aller au-delà de l’irresponsabilité pénale, civile et administrative ? Faut-il faire du président de la République un citoyen entièrement à part ? Dans quels buts ? Pourquoi doter le «détenteur suprême du pouvoir exécutif» d’une immunité à vie ? Pourquoi ne pas prendre en compte l’exclusivité de sa charge ? Ne faut-il pas contrebalancer ses droits par des devoirs, ses privilèges par des obligations ? Ces dispositions sont-elles impersonnelles ? Visent-elles à prévenir des situations envisageables dès à présent ? En clair, cette quête d’impunité est-elle l’expression d’un aveu ou la manifestation d’une crainte liée à d’éventuelles crimes et délits ? Les initiateurs du projet de révision constitutionnelle gagneraient à répondre à ces questions. Faute de s’y résoudre, ils auront du mal à rallier l’opinion à leur vision.

Principes à la carte

De fait, dans les régimes inspirés de la Constitution française de 1958, le principe général de l’irresponsabilité est décrit tout à la fois comme le legs de la monarchie et le salaire d’un certain effacement du président de la République dans la conduite des affaires publiques. En d’autres termes, l’immunité des présidents de la République en fonction est avant tout la conséquence de l’histoire de France et la contrepartie d’une faible immixtion dans la vie de tous les jours. Or dans le projet adopté par l’exécutif, le président de la République devient le seul et unique détenteur du pouvoir exécutif. Comment pourra-t-il alors agir au quotidien sans devoir répondre de ses actes ? Comment demander aux membres du gouvernement de répondre des actes d’autrui ? Une fois encore, le principe de responsabilité individuelle est mis à mal. Pourtant, la logique aurait commandé de donner toute la responsabilité au détenteur exclusif du pouvoir.

Nonobstant ces évidents constats, le projet de révision constitutionnelle entrevoit l’immunité du président de la République bien au-delà du privilège de fonction. Elle touche aussi aux conditionnalités de sa jouissance. Seulement, sur ce point, la jurisprudence Ngoubou/Ngambia apporte un éclairage nouveau (lire «Ngoubou et Ngambia, simples citoyens ?»). La Cour constitutionnelle ayant décidé de déférer ces anciens ministres devant les tribunaux de droit commun après leur départ du gouvernement, l’exercice de la fonction devient la condition essentielle de l’immunité. Comment, dès lors, maintenir l’irresponsabilité totale pour les anciens présidents de la République ? Sauf à définir des principes à la carte, on ne saurait l’expliquer. Peut-on adapter le droit aux éventuels justiciables ? S’ils montrent peu d’empressement au débat contradictoire, les auteurs du projet de l’exécutif le sous-entendent. Si leur projet revêt l’apparence d’un texte de loi, ils ont malgré tout pris toutes les libertés avec le droit. Les démocrates et professionnels de cette matière ne sauraient rester impassibles devant cette transgression de plus.

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