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Pénuries, faim et pauvreté : les Africains inquiets des conséquences du coronavirus

Selon une enquête menée dans huit pays, 81 % des personnes interrogées se disent confiantes dans la capacité de leurs dirigeants à limiter les effets de la pandémie.

Infiniment moins touchée que les autres continents par la pandémie, l’Afrique se laisse pourtant gagner par l’inquiétude. Sous la crainte d’une propagation du coronavirus se cache une autre angoisse, plus prégnante : celle des conséquences économiques et sociales qui risquent de frapper violemment ses 1,2 milliard d’habitants.

Huit Africains sur dix se disent inquiets de voir l’épidémie continuer de se propager sur le continent et six sur dix redoutent de voir les économies nationales se dégrader. Plus de la moitié d’entre eux s’attendent à un avenir sérieusement malmené pour leur ménage (53 %) et pour les entreprises (54 %), au point que 84 % d’entre eux redoutent même une augmentation de la pauvreté dans leur entourage.
Cette angoisse profonde, 4 017 Africains de huit pays l’ont confiée aux enquêteurs du cabinet Deloitte, de l’institut OpinionWay et de l’agence 35° Nord qui se sont lancés conjointement dans une analyse des opinions publiques africaines, deux mois après les premiers cas de Covid-19. Leurs résultats, que Le Monde Afrique vous livre en avant-première, sont rendus publics ce mardi 2 juin.

Intitulée « Les opinions publiques africaines face à la crise du Covid-19 », l’enquête a permis d’interroger par téléphone, entre le 2 et le 24 mai, un panel « urbain » (60 % des sondés) et « rural » (40 %) d’environ 500 personnes en Algérie, au Maroc, en Egypte, en Côte d’Ivoire, au Nigeria, en Ethiopie, en République démocratique du Congo (RDC) et en Afrique du Sud.

Le souvenir des émeutes de la faim

Sur ce continent qui a toujours sporadiquement besoin d’aide alimentaire, la crainte des pénuries reste évoquée par 54 % des interrogés. Une « majorité » globale qui masque néanmoins une Afrique coupée en deux par le Sahara. Au nord, les Algériens et surtout les Marocains se disent confiants à 67 % et 96 % de pouvoir continuer à remplir leur assiette. Au sud, en revanche, 70 % des sondés redoutent de manquer de produits de base tels que le riz, le maïs, le blé, les farines, les haricots, l’huile.

Les Sud-Africains, même si leur pays est la première économie du continent, sont les plus pessimistes, puisqu’ils sont 82 % à juger qu’ils auront des difficultés à s’approvisionner en denrées essentielles. Leur pays compte de loin le plus grand nombre de personnes atteintes par le virus, avec 34 357 cas déclarés, et cette population a connu les restrictions de libertés les plus dures, avec un confinement et un couvre-feu, allant jusqu’à se voir interdire d’acheter cigarettes et alcool.

En fait, la mémoire des épisodes récents imprègne encore ce jeune continent, comme le souligne Hugues Cazenave, président d’OpinionWay. Pour lui, « le spectre d’un retour des émeutes de la faim de 2008 contribue probablement à renforcer ces inquiétudes ». En effet, cette année-là, Dakar, Abidjan, Ouagadougou, Yaoundé, Nouakchott, Johannesburg et Le Caire avaient connu des manifestations très violentes contre la hausse des prix des produits de base due à la flambée des cours mondiaux des matières agricoles.

Si ces inquiétudes traversent les huit pays africains retenus pour ce sondage, ceux-ci ont pourtant été très différemment frappés par le coronavirus. L’Afrique du Sud, l’Egypte, l’Algérie, le Maroc et le Nigeria, les plus touchés, totalisent à eux cinq près de 66 % des décès et 60 % des contaminations du continent, tandis que le trio Ethiopie, Côte d’Ivoire et RDC ne compte que 117 décès pour 7 534 contaminations.

Des chiffres à remettre dans une perspective plus planétaire, puisque les Africains morts du Covid-19 représentent à peine plus de 1 % des 375 900 décès dans le monde et seulement 2,4 % des 6,3 millions de cas recensés. Avec ses 4 344 morts au 2 juin, l’Afrique tout entière est donc bien loin de la situation critique des Etats-Unis, par exemple, qui ont passé le cap des 100 000 morts la semaine dernière.

Forte adhésion aux gestes barrières

Si le continent est encore susceptible d’échapper au marasme sanitaire, il se prépare bel et bien à subir de plein fouet les retombées négatives du quasi-arrêt de l’économie mondiale durant plus de deux mois. Un effet par ricochet, perçu comme assez inévitable, mais qui n’empêche pas les Africains de rester massivement satisfaits de l’attitude de leurs dirigeants, puisque 81 % se disent confiants dans leur capacité à limiter les effets de la pandémie. Un chiffre qui tranche singulièrement avec l’opinion des Français, par exemple, dont 59 % avouaient à la même période leur peu de confiance dans leurs gouvernants lors d’une enquête similaire effectuée par OpinionWay.

Ce puissant satisfecit panafricain bénéficie aux gouvernements qui ont été « très actifs en termes de communication, aussi bien avec leurs partenaires internationaux qu’auprès de leurs populations, engageant directement le dialogue avec leurs citoyens », explique Philippe Perdrix, de l’agence 35° Nord. Fruit aussi de la diligence des différentes autorités nationales, Maroc et Sénégal en tête, à suspendre de manière préventive leurs liaisons aériennes internationales puis intracontinentales, dès début mars, et à fermer leurs frontières alors que le nombre de cas de contamination était encore marginal et qu’aucun décès dû au Covid-19 n’avait été enregistré.
Mais au-delà de ces mesures précoces, analyse Brice Chasles, spécialiste de l’Afrique francophone au cabinet Deloitte, « cela témoigne d’une résilience africaine remarquable, alimentée notamment par la réactivité de nombreux gouvernements qui ont su mettre en place des plans de soutien aux économies, aux filières les plus touchées, aux entreprises, au secteur informel, et d’accompagnement des personnes les plus vulnérables, avec des distributions d’aides ciblées ».

Contrairement à ce qui a pu être raconté, cette crise sanitaire a aussi révélé une forte adhésion des Africains aux gestes barrières, à l’évitement des rassemblements familiaux, des lieux publics et à l’acceptation du confinement, doublé parfois d’un couvre-feu. Qu’il s’agisse des gestes d’hygiène ou des comportements sociaux de protection, ils sont entre 77 % et 96 % à les avoir adoptés sans réserve.

Sandrine Berthaud-Clair

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