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Après la Marseillaise sifflée : retour sur l’affaire gabonaise (1958)

Lors du référendum du 24 septembre 1958, les populations gabonaises approuvèrent à 92% l’adhésion du Gabon à la Communauté française. Forts de ce résultat, le Conseil de gouvernement du Gabon et son président, Léon Mba, mandatèrent le gouverneur Louis Sanmarco à Paris, afin de négocier la départementalisation du Gabon. Reçu par le ministre de l’Outre-mer, Bernard Cornut-Gentille, Louis Sanmarco essuya un refus tonitruant.

Contrairement à ce que pourrait laisser à penser la réaction du ministre, la demande de départementalisation formulée par Louis Sanmarco au nom du Conseil de Gouvernement du Gabon n’était pas une lubie sortie tout armée du fantasque esprit africain.

En effet, l’article 76 de la Constitution disposait que :

« Les territoires d’outre-mer peuvent garder leur statut au sein de la République. S’ils en manifestent la volonté par délibération de leur assemblée territoriale prise dans le délai prévu au premier alinéa de l’article 91, ils deviennent soit départements d’outre-mer de la République, soit, groupés ou non entre eux, Etats membres de la Communauté. »

Un rejet anticonstitutionnel

Autrement dit, aux termes de la Constitution, chaque territoire d’outre-mer pouvait soit demeurer un territoire d’outre-mer, soit devenir un Etat lié à la République française au sein de la Communauté, soit enfin devenir un département. La demande de départementalisation du Gabon s’inscrivait donc strictement dans le cadre constitutionnel. Par conséquent, en la rejetant, le gouvernement métropolitain violait la Constitution.

Le général de Gaulle expliqua à Alain Peyrefitte :

« Nous ne pouvons pas tenir à bout de bras cette population prolifique comme des lapins (…). C’est une bonne affaire de les émanciper. Nos comptoirs, nos escales, nos petits territoires d’outre-mer, ça va, ce sont des poussières. Le reste est trop lourd. […] Et puis, vous savez, c’était pour nous une chance à saisir : nous débarrasser de ce fardeau, beaucoup trop lourd maintenant pour nos épaules, à mesure que les peuples ont de plus en plus soif d’égalité. Nous avons échappé au pire ! (…) Au Gabon, Léon Mba voulait opter pour le statut de département français. En pleine Afrique équatoriale ! Ils nous seraient restés attachés comme des pierres au cou d’un nageur ! Nous avons eu toutes les peines du monde à les dissuader de choisir ce statut. »

Sachant que les 450 000 habitants du Gabon, tout nègres qu’ils fussent, représentaient à peine 1% de la population métropolitaine, on peut s’étonner que le gouvernement français ait refusé la départementalisation par crainte du métissage et des dépenses qu’une telle opération aurait impliquées.

Le risque d’une réaction en chaîne

Mais c’est qu’en réalité, sous l’affaire gabonaise perçait la vaste question africaine… De Gaulle, expert dans l’art politique, savait qu’en répondant favorablement à la demande gabonaise en application de l’article 76, il aurait créé un fâcheux précédent.

Paris n’aurait plus été en position de refuser la même départementalisation aux nombreux territoires d’Afrique qui auraient trouvé avantages (économiques, sociaux et politiques) à la réclamer eux aussi. Une telle réaction en chaîne aurait anéanti le projet du Président…

En effet, selon Louis Sanmarco, lors de son entrevue au sujet de la demande gabonaise de départementalisation, le ministre parla d’indépendance alors qu’on était seulement en octobre 1958, date à laquelle l’indépendance des territoires d’Afrique noire n’était pas à l’ordre du jour, officiellement, du point de vue gouvernemental. Au contraire, la Communauté française était censée permettre de maintenir, dans un cadre semi-fédéral, l’unité franco-africaine. S’agit-il donc d’un lapsus ?

Une désintégration programmée dès octobre 1958

Sans doute. Car à l’aune des événements ultérieurs –en particulier l’effarante et très méconnue loi 60-525, qui, marquée par de multiples violations de la Constitution, permit en mai-juin 1960 de priver in extremis les populations africaines de référendum sur la question pourtant cruciale de l’indépendance, afin de les empêcher d’entraver, par leurs voix, le démantèlement de l’ensemble franco-africain–, il est possible de suspecter que la désintégration de la Communauté était programmée dès octobre 1958, soit dès sa création…

En fait, le largage des populations d’Afrique subsaharienne décidé par le Général découlait de la certaine idée que, de son aveu-même, il s’était toujours fait de la France :

« Un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne »…

Bien que d’une exceptionnelle gravité, ces états de fait ne semblent pas avoir dérangé grand monde dans les milieux politiques et intellectuels français de l’époque. Faut-il croire que, lorsque le consensus est suffisant, on peut passer outre la Constitution et bafouer les principes les plus fondamentaux de la République, sans que personne ne s’en émeuve, ou presque ?

Amer constat, auquel s’en ajoute un autre…

De Gaulle, un « saint républicain »

Cinquante ans plus tard, de tels agissements ne portent nulle ombre sur le général de Gaulle. Année après année, ce dernier continue d’être présenté, par la droite comme par la gauche, avec la complicité du monde intellectuel et des médias, comme une espèce de saint républicain.

Faut-il que le président Sarkozy lui-même soit bien mal conseillé, pour qu’il ait tressé, sans la moindre réserve, sans la plus petite nuance, de formidables couronnes de lauriers au fondateur de la Ve République blanciste, lors de l’inauguration du Mémorial de Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises, le 11 octobre 2008 ? Comme un fait exprès, quatre jours plus tard, la Marseillaise était sifflée et huée au Stade de France…

Coup d’Etat militaire de mai 1958, trahison de la mission qu’il s’était solennellement assignée et au nom de laquelle il avait renversé la IVe République puis obtenu le mandat du peuple, violations multiples et caractérisées de la Constitution, affaire gabonaise, loi 60-525, défiance confinant au mépris pour les populations d’outre-mer… On finit par se demander ce qu’il faudrait mettre au jour et démontrer pour que le Général cesse d’être une idole glorifiée jusqu’au ridicule, et absoute de tous ses manquements, pour ne pas dire plus.

Que les nouvelles générations « tuent le père »

Devant un tel aveuglement de nos contemporains et de nos élites, on peut s’en remettre à la psychanalyse, et rêver que les nouvelles générations « tuent le père » plus facilement que leurs aînés.

On peut aussi emprunter le sourire du sage, en se disant que décidément, cette espèce humaine est bien malléable, puisqu’elle reste fidèle à l’absurde contre toute évidence et y compris à son propre détriment.

Il y aurait tant à dire sur l’histoire fictive (prétendues aspirations des populations africaines à l’indépendance, révoltes nationalistes généralisées, détestation collective de la France, et réciproquement, oblitération de l’aspiration des populations d’outre-mer à l’unité franco-africaine, du sentiment d’appartenance à la République française –ou franco-africaine–, de l’amour fou des Africains pour la France, refoulement de la culpabilité des élites métropolitaines en rupture avec les élites africaines, mais aussi avec les populations ultramarines et métropolitaines, disposées quant à elles à l’égalité politique, etc.) que la Ve République, mobilisant école, université et médias, a répandue pour masquer l’histoire réelle et justifier le divorce franco-africain ; histoire fictive, histoire de haine, dont est pétrie, notamment, la jeunesse des banlieues françaises, en grande partie d’origine africaine et nord-africaine, histoire fictive, histoire de haine qu’elle prend pour vraie et qu’elle endosse avec passion, et qui la conduit à détester la France et à conspuer son hymne… Sans que personne n’y comprenne grand-chose, tant la mécanique du refoulement de l’histoire réelle et du triomphe de l’histoire fictive a brouillé les pistes…

Parmi les gaullistes indéfectibles, combien seraient prêts à approuver tout ce dont le de Gaulle « décolonisateur » s’est rendu coupable ? Pour s’en tenir à deux exemples, quel actuel admirateur déclaré du Général serait capable d’adhérer aux choix et agissements de son idole dans l’affaire gabonaise ou au sujet de la loi 60-525 ?

Le destin d’une partie du continent noir aurait été changé

Or il ne s’agit pas là de points de détail, mais d’épisodes historiques de toute première importance. Car si le Gabon avait obtenu la départementalisation, si les peuples d’Afrique avaient effectivement pu disposer d’eux-mêmes et de leur avenir, c’est le destin de toute une partie du continent noir, et de la France, qui en eût été changé. Et en termes de démocratie, de justice et de sécurité sociale, ce sont des millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui auraient échappé aux affres du néocolonialisme, du sous-développement et de la tyrannie.

Sous nos yeux, les Antilles donnent l’exemple de territoires ultramarins restés dans la République. Certes, tout n’est pas rose aux Antilles. Sans doute le fait que la France ait répudié l’Afrique, ait refusé sa vocation africaine et son métissage en particulier avec le monde noir, ne contribue-t-il pas à mettre les Antillais très à l’aise dans une France blanciste qui leur tourne le dos. Au demeurant, est-il besoin d’aligner les chiffres pour démontrer qu’il fait souvent meilleur vivre dans ces territoires demeurés ancrés dans la République que dans ces Etats africains devenus souverains contre leur gré et qui furent livrés, également contre leur gré, à la dictature et au néocolonialisme –tous scandales que la départementalisation eût interdits.

Aux partisans et autres laudateurs du Général « décolonisateur », libéraux, blancistes, staliniens, trotskistes ou encore simples naïfs, il restait jusqu’à présent la conviction bien huilée selon laquelle les peuples voulaient cette indépendance qui, enrobée dans du papier d’argent, leur fit tant de mal. Démonstration est faite, concernant le Gabon en particulier, que ceci n’est qu’un mythe fabriqué par tous ceux qui, pour des raisons diverses, voulurent séparer ou débarrasser la France de ses territoires et peuples d’outre-mer.

La face obscure du Général

Jusqu’à quand les hommes de bonne volonté, les hommes honnêtes continueront-ils à mentir, à se tromper ou à faire l’autruche ?

Sont-ils donc incapables, tous ces intellectuels et tous ces hommes politiques français, de dire :

« Toutes proportions gardées, il y a eu deux de Gaulle, comme il y a eu deux Pétain. Il y a eu le glorieux de Gaulle chef de la France libre comme il y a eu le Pétain héros de Verdun. Et puis il y a eu l’autre de Gaulle, le de Gaulle obscur, celui de la décolonisation, auteur d’une criminelle imposture contraire aux principes les plus fondamentaux de la République, comme il y a eu le Pétain de Vichy, auteur d’une criminelle imposture contraire aux principes les plus fondamentaux de la République. »

L’urgence est pourtant là, qui commanderait de restituer l’histoire dans sa complexité inavouée, quand l’Afrique n’en finit pas de s’abîmer ou de mourir, et que la désagrégation de la France, jusque dans les plus intimes profondeurs de son cœur, se donne en spectacle sous les regards du monde. Dans le gigantesque stade qui porte son nom.

Exprimez-vous!

  1. Le Gabon est toujours un département français d’outre-mer, mais seulement avec les inconvénients et pas les avantages. Bongo n’est qu’un petit sous-préfet ridicule, qui ne fait qu’exécuter les ordres venus de Paris.
    Le Gabon n’a que 1.300 million d’habitants, avec des richesses incommensurables, comment expliquer que plus de 70% de la population vie en dessous du seuil de pauvreté.
    Bongo est là que pour la photo, pour éviter à Paris une condamnation pour colonialisme, mais sinon, Bongo est rien, il a moins de pouvoir qu’un Maire de Corse, c’est un macaque.

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