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L’ Amérique va-t-elle vivre sa « révolution » du 4 novembre ?

Mardi soir, une ère sera close : celle de la présidence Bush – même si la passation de pouvoir à son successeur n’interviendra que le 20 janvier 2009. Une présidence que le New York Times a jugée « la pire de l’histoire américaine » : sur le plan de l’économie, de la sécurité nationale, du respect de l’état de droit… Jamais, depuis que ces sondages existent, la cote de popularité d’un président n’était tombée aussi bas : 25 % d’opinions favorables, 68 % de défavorables. Rien d’autre n’explique que Barack Obama ait fait du « changement » le mot-clé de sa campagne. Et que, dès sa désignation, son adversaire, John McCain, ait lui aussi revendiqué ce slogan. Pour autant, l’humiliante agonie du « bushisme » est insuffisante pour donner la mesure du « moment » que les commentateurs s’évertuent à désigner comme « exceptionnel ». L’Amérique blessée de l’après-11 septembre 2001 était celle des certitudes. L’Amérique de novembre 2008 est celle des interrogations, des convictions ébranlées.

« Nous sommes bons », avait dit George Bush avant d’attaquer l’Irak. Les Etats-Unis étaient la seule hyperpuissance et ses ennemis désignés : le Mal. Le néoconservateur Paul Wolfowitz élaborait un monde où son pays aurait assuré sa sécurité et ses approvisionnements énergétiques pour cinquante ans. Le conseiller en politique intérieure de George Bush, Karl Rove, voyait son camp dominer la carte électorale pour longtemps.

Ces visions se sont fracassées sur des réalités non conformes aux assurances des idéologues. Mais aucune réponse univoque n’a émergé pour les remplacer. Par son charisme et sa capacité rhétorique exceptionnels, le candidat démocrate Barack Obama a suscité une mobilisation sans précédent autour de deux mots : « espoir » et « changement ». Et il en a esquissé les grandes lignes : la fin de l' »unilatéralisme » américain adossé à sa puissance militaire dans les relations internationales ; le retour de l’Etat dans la régulation de l’économie, de son investissement dans les grandes infrastructures : environnement, santé, éducation.

Mais il suffit d’interroger ses partisans de tous âges et toutes origines pour constater combien leurs attentes peuvent être parfois divergentes, et leurs interrogations plus nombreuses que leurs certitudes. Ils savent ce dont ils ne veulent plus. Mais le « comment » – comment faire autrement – reste souvent sans réponse. De même, il suffit, sur certains dossiers – du retour de la croissance à l’énergie, de l’Afghanistan au conflit israélo-palestinien – de constater combien ses conseillers ont des conceptions diverses, parfois divergentes, pour saisir l’étendue des questions qui taraudent l’Amérique une fois la page Bush tournée. La même chose est vraie côté républicain.

L’image convenue consiste à évoquer l’affrontement de « deux Amériques ». La jeune contre la vieille, la blanche contre la métissée, la conservatrice contre la progressiste, l’Amérique paupérisée des classes travailleuses contre celle des financiers et des nouveaux riches ou, enfin, l’Amérique traditionnelle, que Sarah Palin, la colistière de M. McCain, incarnerait, contre la nouvelle, celle de Barack Obama. Ces clivages, indubitablement, existent. Mais ils ne résument pas l’affrontement du 4 novembre.

SENTIMENT D’URGENCE

Sinon, comment expliquer que nombre d’ouvriers voteront McCain, quand tant de brokers voteront Obama ? Que Francis Fukuyama, néoconservateur bon teint, réinventeur du concept de la « fin de l’Histoire » – la victoire définitive du capitalisme démocratique comme seul modèle universel – se retrouve désormais du côté de M. Obama ? Et que Joe Lieberman, candidat démocrate à la vice-présidence en 2000, soit désormais un homme-lige de M. McCain ?

Comment expliquer, surtout, la montée en force spectaculaire du nombre des électeurs « indépendants », sinon par l’absence de réponses satisfaisantes apportées à leurs interrogations. Et celle, non moins spectaculaire, de la participation électorale attendue, sinon par le sentiment d’urgence à obtenir des réponses ? Comment expliquer enfin que, si la cote de M. Bush est au plus bas, celle du Congrès, pourtant dominé depuis deux ans par les démocrates, l’est encore plus : 17,3 % d’opinions favorables sur son activité, 74,7 % de défavorables.

La désaffection vis-à-vis du « bushisme » s’accompagne d’une remise en cause globale de la gestion politique du pays. M. Obama, par son originalité intrinsèque, y puise sa force. M. McCain s’est vite positionné comme un « franc-tireur », promettant de « réformer Washington ». Pour caricaturer, l’un promet de tout changer, la forme et le fond ; l’autre de tout changer pour que rien ne change, pour préserver la « véritable Amérique », dirait Sarah Palin.

La campagne avait débuté sous l’ombre des difficultés américaines en Irak. Une seule question a dominé sa dernière phase : l’état de l’économie et sa relance. En filigrane, une autre l’a constamment accompagné : la « question raciale ». Un Noir peut-il être président ? Mais des questions apparues essentielles en début de campagne ont quasi disparu avec le temps : ainsi la relation avec la Chine ou l’immigration.

Ces deux questions sont pourtant directement liées à l’économie et à la place de l’Amérique dans la mondialisation. Or cette place n’a été évoquée quasiment qu’en termes de sécurité nationale (Iran, Russie, terrorisme) ou, à quelques rares occasions, d’équité commerciale. M. McCain a promis chaque fois de « préserver le leadership de l’Amérique » ; M. Obama a évoqué la nécessité de le « restaurer » car il a été terni sous M. Bush.

Mais l’un comme l’autre ont tenu pour évident que ce leadership était naturel. Il l’est aussi pour l’opinion. Or celle-ci, entre l’impossibilité de remporter la « victoire » en Irak et en Afghanistan, l’incapacité à faire reculer l’Iran sur la question nucléaire, l’effondrement des repères économiques reaganiens qu’elle tenait pour éternels, l’émergence de la Chine et de l’Inde, perçoit confusément que c’est l’avenir de l’Amérique dans le monde qui est en jeu. Certes, l’éventualité qu’un Noir y accède à la présidence confère en soi à ce scrutin un caractère unique. Mais ce questionnement – l’Amérique restera-t-elle l’Amérique ? – évoqué dans des colloques, des débats télévisés durant la campagne, constitue l’arrière-fond du sentiment partagé par tant de ses citoyens de connaître cette année une élection « exceptionnelle ».

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