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Bongo : biens mal acquis profitent encore

L’affaire du patrimoine du président gabonais en France a rebondi hier. L’avocat chargé de défendre l’auteur d’une plainte contre le pouvoir à Libreville a été privé de son visa. Sans que Paris trouve vraiment à y redire.

On connaissait le cas du greffier réveillé en pleine nuit à la demande des autorités françaises pour pouvoir remettre en liberté un hiérarque congolais placé en détention par un juge d’instruction quelque peu téméraire. C’était en 2004, dans le cadre de «l’affaire du Beach», du nom de ce port fluvial de Brazzaville où plusieurs centaines de réfugiés avaient disparu dès leur retour d’exil, probablement liquidés par la police locale. Une enquête avait alors été ouverte en France en vertu de la loi sur la compétence universelle.

Deniers. Depuis hier, les annales judiciaires de la Françafrique se sont enrichies d’une nouvelle variante: l’avocat empêché par la police aux frontières de monter dans un avion à destination du Gabon, où il devait s’atteler à la défense de ses clients.

Me Thierry Lévy était en salle d’embarquement à Roissy, hier en fin de matinée, quand les policiers sont venus lui annoncer que son visa de quatre jours, délivré la veille, venait d’être annulé par les autorités gabonaises, l’empêchant de monter dans l’avion. «C’est sans précédent» , fulminait son confrère, William Bourdon, de l’association Sherpa, très impliquée dans ce dossier. Celui des «biens mal acquis».

L’affaire a démarré en mars 2007, à Paris, par le dépôt d’une plainte par une poignée d’ONG ciblant plusieurs dirigeants africains. Soupçonnés d’avoir détourné les deniers publics à des fins personnelles, les présidents du Gabon, du Congo-Brazzaville et de la Guinée équatoriale disposent d’un patrimoine immobilier impressionnant en France, singulièrement dans la capitale française et sur la Côte d’Azur. Une enquête préliminaire a révélé que la famille d’Omar Bongo, le président gabonais, possédait 39 résidences dans l’Hexagone et 70 comptes bancaires. Estimant l’infraction «non caractérisée», le parquet a pourtant classé la plainte sans suite.

Ecroués. C’était compter sans la détermination des associations françaises de lutte anti-corruption. Le 2 décembre dernier, la section française de Transparency international déposait une nouvelle plainte avec constitution de partie civile devant le Tribunal de grande instance de Paris. Portée par un citoyen gabonais, Gregory Ngbwa Mintsa, cette plainte devrait, si elle est jugée recevable, entraîner la désignation d’un juge d’instruction. Et relancer du même coup l’enquête sur le patrimoine de Bongo en France.

Visiblement, le régime de Libreville prend la menace très au sérieux. Fin décembre, Gregory Ngbwa Mintsa est arrêté par la police, en même temps que deux activistes anti-corruption et deux journalistes. Durant plusieurs jours, les cinq hommes sont placés en garde à vue sans motif officiel. Mercredi, quatre d’entre eux, dont l’un – Marc Ona, considéré comme le porte-parole de la société civile gabonaise -, se déplace en chaise roulante, ont été écroués à la prison centrale de Libreville. Pour une raison encore inconnue, un gendarme les y a rejoints.

Cette fois, les autorités gabonaises ont été obligées de justifier leur décision : «Détention d’un document en vue de sa diffusion dans un but de propagande» et «propagande orale ou écrite en vue de l’incitation à la révolte contre les autorités». Le document en question est une lettre ouverte au président, Omar Bongo, publiée en décembre par Bruno Ben Moubamba, le responsable en Europe du réseau d’ONG gabonaises Acteurs libres de la société civile. Il y demande notamment «des comptes sur la gestion financière du pays depuis quarante ans».

Une question pertinente. Dans ce pays d’1,3 million d’habitants grand comme la France, on exploite du pétrole depuis 1956. Mais seule une petite classe dirigeante s’est considérablement enrichie, tandis que le tiers de la population vit toujours sous le seuil de pauvreté. Le réseau routier est quasiment inexistant.

Etouffer. Au pouvoir depuis 1967, où il a été propulsé par Paris, Omar Bongo aime à se faire appeler «le doyen». Mais cet allié indéfectible de la France, toujours prêt à rendre service ou à faire bénéficier de ses largesses ses amis politiques français, faiblit. Agé de 73 ans, il a récemment connu de sérieux problèmes de santé, et les spéculations vont bon train à Libreville sur sa succession. Son fils Ali Bongo, actuel ministre de la Défense, qui paraît le mieux placé, doit compter avec d’autres prétendants. Cette guerre de succession larvée attise-t-elle la volonté farouche du régime d’étouffer toute forme de contestation ?

Hier, Paris a déclaré «suivre attentivement» cette affaire : «Il est essentiel que les procédures légales, et en particulier les droits de la défense, soient respectés. A cet égard, il faut que les accusés puissent avoir libre accès à leurs conseils» , a déclaré le porte-parole du Quai d’Orsay, Eric Chevallier. Une profession de foi qui n’engage pas l’Elysée, où les relations avec les alliés africains de Paris demeurent le «domaine réservé» par excellence.

Omar Bongo se flatte de connaître Nicolas Sarkozy depuis les années 80 et raconte que ce dernier l’a appelé, au soir de sa victoire, en mai 2007, afin de le remercier pour ses précieux «conseils». La France, qui dispose d’une base militaire permanente au Gabon, peut compter sur le «doyen» en cas d’urgence sur le continent. Bref, Bongo a su se rendre indispensable.

William Bourdon note que les militants gabonais incarcérés «portent le même discours que les grandes institutions internationales sur la bonne gouvernance, dont ils sont en quelque sorte les mandataires ». La France est le premier pays du G8 à avoir ratifié la Convention de l’ONU sur la lutte contre la corruption qui prévoit la restitution des biens et de l’argent détournés. La fidélité à Bongo ou à ses engagements, il va falloir choisir.

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