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Obama, un rêve inaccessible au continent noir

Obama
Barack Obama


Les Africains fêtent l’arrivée au pouvoir du nouvel élu. Pourtant l’accession à la présidence d’un tel homme serait impossible dans cette partie du monde, estime l’écrivain mozambicain Mia Couto.

Les Africains ont jubilé lors de sa victoire. J’étais l’un d’eux. Après une nuit blanche, dans la pénombre irréelle de l’aube, j’ai pleuré lorsqu’il a prononcé son discours de vainqueur. J’étais également à ce moment un vainqueur. J’avais ressenti la même joie à la libération de Mandela, en 1990. La nuit du 5 novembre, le nouveau président américain n’était pas seulement un homme qui s’exprimait. C’était la voix assourdie de notre espoir qui reprenait des forces et se libérait. Mon cœur avait voté, même sans permission. Habitué à peu demander, j’ai fêté une victoire multidimensionnelle. Je suis sorti dans la rue, et ma ville, Maputo, était devenue Chicago, où Noirs et Blancs respiraient et communiaient dans une même heureuse surprise. Parce que la victoire d’Obama n’est pas celle d’une race sur une autre, car sans la participation massive des Américains de toutes origines, les Etats-Unis ne nous auraient pas donné d’occasion de fête.

Les jours suivants, j’ai prêté attention aux réactions euphoriques dans les coins les plus divers de notre continent. Des personnes anonymes, des citoyens voulaient tous témoigner de leur joie. J’ai pris note, avec quelques réserves, des messages solidaires des dirigeants africains. Presque tous appelaient Obama « notre frère ». Je me suis alors demandé si tous ces dirigeants étaient sincères. Obama est-il proche de personnages politiques si différents ? J’ai des doutes. Parce que nous voyons des préjugés seulement chez les autres, nous ne sommes pas capables de voir nos propres xénophobies. Parce que nous condamnons l’Occident, nous oublions d’accepter les leçons qui nous viennent de cette partie du monde.

Et si Obama avait été africain et candidat à la présidence d’un pays africain ? Si Obama avait été africain, un de ses concurrents au pouvoir aurait inventé une révision constitutionnelle pour prolonger son mandat. Et notre Obama aurait alors dû attendre quelques années avant de se représenter. L’attente pourrait être longue si l’on tient compte de la permanence d’un même président au pouvoir en Afrique – 41 ans au Gabon, 39 en Libye, 28 au Zimbabwe, 28 en Guinée-Equatoriale, 28 en Angola, 27 en Egypte, 26 au Cameroun. Il y a plus de quinze présidents qui gouvernent depuis plus de 20 ans. Mugabe aura 90 ans au terme du mandat par lequel il s’est imposé contre le verdict populaire. Si Obama avait été africain, le plus probable serait qu’étant candidat d’un parti d’opposition il n’aurait alors pas eu d’espace pour faire campagne. Il aurait été traité comme au Zimbabwe ou au Cameroun : il aurait été agressé physiquement ou arrêté et on lui aurait retiré son passeport. Les Bush africains ne tolèrent pas les opposants et ne tolèrent pas la démocratie. Si Obama avait été africain, il n’aurait pas été éligible dans la plupart des pays africains parce que les élites au pouvoir ont conçu des lois restrictives qui ferment les portes de la présidence aux fils d’étrangers et aux descendants d’immigrants. Le nationaliste zambien Kenneth Kaunda est aujourd’hui mis en cause, dans son propre pays, du fait de ses origines malawites. On a découvert que l’homme qui a conduit la Zambie à l’indépendance et qui a dirigé les pays pendant plus de 25 ans était un enfant du Malawi et avait ainsi dirigé « illégalement » le pays. Arrêté pour coup d’Etat, Kenneth Kaunda, qui donne son nom à l’une des plus nobles avenues de Maputo, s’est vu interdire de faire de la politique et le régime a ainsi écarté un opposant.

Soyons clairs. Obama est noir aux Etats-Unis. En Afrique, il serait métis. Si Obama avait été africain, il aurait vu sa race opposée à son visage. Non pas que la couleur de la peau soit importante pour les peuples qui espèrent de leurs dirigeants compétence et travail sérieux. Mais les élites prédatrices feraient campagne contre quelqu’un que l’on qualifierait de « non authentique Africain ». Le même frère noir qui est célébré comme le nouveau président des Etats-Unis aurait été vilipendé ici comme représentant des « autres », des autres races, d’un autre drapeau (ou d’aucun drapeau). S’il avait été africain, notre « frère » devrait justifier devant les moralistes de service la mention, dans son discours de remerciement, de l’appui de la communauté homosexuelle. Péché mortel pour les avocats de la « pureté africaine ». Pour ces moralistes – plusieurs fois au pouvoir –, l’homosexualité est un vice mortel inacceptable, étranger à l’Afrique et aux Africains. S’il avait gagné les élections, Obama aurait probablement dû s’asseoir à la table des négociations et partager le pouvoir avec le vaincu, dans un processus de négociation dégradant qui montre que, dans certains pays africains, le perdant peut encore négocier ce qui paraît sacré : la volonté du peuple exprimée par le vote.

A ce moment-là, Barack Obama se serait assis à une table avec un Bush quelconque pour d’infinies négociations avec des médiateurs africains qui nous enseignent que nous devons nous contenter des miettes des processus électoraux lorsqu’ils ne sont pas favorables aux dictateurs. La vérité est qu’Obama n’est pas africain. La vérité est que les Africains ont fêté avec toute leur âme la victoire américaine d’Obama. Mais je ne crois pas que les dictateurs et les corrompus de l’Afrique aient le droit d’être invités à cette fête. La joie que des millions d’Africains ont ressentie le 5 novembre est née parce qu’ils ont vu en Obama exactement le contraire de ce qu’ils connaissent avec leurs dirigeants. Bien qu’il nous soit difficile de l’admettre, une minorité d’Etats africains connaissent ou ont connu des dirigeants qui se préoccupaient du bien public. Le jour où Obama a remporté la victoire, les journaux internationaux ont rapporté des nouvelles terribles venant d’Afrique. Le jour de cette victoire, l’Afrique a continué à subir la mauvaise gestion et l’ambition démesurée de politiques avides. Après avoir tué la démocratie, ces politiques tuent la politique. Il reste la guerre, dans certains cas. Ailleurs, le renoncement et le cynisme.

Il y a une seule façon de célébrer Obama. C’est de lutter pour que plus d’espoirs puissent naître sur notre continent. C’est de lutter pour que des Obama africains puissent aussi gagner. Et nous, Africains de toutes les ethnies et races, nous gagnerons avec ces Obama et célébrerons chez nous ce que nous fêtons chez les autres.

Mia Couto
Angolens

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