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Gabon: Qui tient les médias ?

Par : Georges Dougueli, envoyé spécial.

Plutôt que d’être (mal) traités par des journalistes de plus en plus irrévérencieux, certains dirigeants politiques ont investi dans la création de supports d’information. Parfois en dehors de toute logique économique.

En lançant Télé Africa il y a vingt-trois ans, Omar Bongo Ondimba n’imaginait pas que cette expérience tournerait court. La première chaîne privée jamais créée au Gabon n’a pas été à la hauteur de l’ambition de son promoteur. Elle n’a jamais couvert que la capitale et sa périphérie. Depuis plusieurs mois, un comité de gestion expédie les affaires courantes, en lieu et place du directeur général écarté. Ses 120 salariés, blasés et démotivés, en sont encore à réclamer une grille salariale équitable pour tout le personnel, des bulletins de salaire en bonne et due forme. Certains ne s’opposeraient pas à un plan de départs volontaires, qui leur permettrait de rebondir ailleurs. Cependant, des rumeurs de reprise par une équipe européenne se font persistantes et invalident l’hypothèse d’une prochaine liquidation de l’entreprise.

Malgré ces mauvais résultats, il n’est pas question d’arrêter les frais. Quelle que soit l’étendue des pertes, il faut payer l’addition. Dans la bataille pour le contrôle de l’opinion que se livrent les puissants, les coûts sont généralement élevés. En effet, en dehors de L’Union, le quotidien de service public, et les deux chaînes de télévision à capitaux publics, RTG1 et RTG2, l’essentiel des médias écrits, audiovisuels ou électroniques du pays a été préempté par des hommes ou femmes de pouvoir, qui ne regardent pas à la dépense. Résultat, dix chaînes de télévision et une multitude de stations radios émettent au Gabon, tandis que les titres de la presse écrite naissent et disparaissent à un rythme effréné. « Ils créent des médias pour régler leurs comptes avec leurs ennemis et manipuler l’opinion dans le sens de leurs intérêts », dénonce un opposant radical basé à Paris.

Pressions sur la vie privée

En réalité, l’intérêt des hommes politiques gabonais pour les médias a une origine plus lointaine. Pour avoir intensifié la pression sur la vie – publique et privée – de l’élite politico-administrative, l’explosion médiatique des années 1990 a effrayé certaines personnalités, qui ne sont pas restées les bras croisés. Comment, en effet, laisser des journalistes de moins en moins déférents à l’égard des puissants semer le désordre dans des domaines qui leur étaient interdits au temps du parti unique ? Certains dirigeants ont donc investi dans la création de « supports » – à quelques exceptions près – en dehors de toute logique économique.

Proche du ministre des Affaires étrangères, Paul Toungui, le site Gabonpage, né au début de l’année 2008, est en sommeil depuis le 31 janvier dernier. La dizaine de salariés embauchés ne sait toujours pas ce qu’il adviendra de la jeune entreprise, qui ne désespère pas d’obtenir une rallonge financière.

L’ancienne secrétaire particulière du chef de l’État, Laure Olga Gondjout, reconnaît que Gabonews, qu’elle a fondé en 2005, perd de l’argent. Si elle s’est retirée de la gestion de l’entreprise après sa nomination au poste de ministre de la Communication en décembre 2007, cela ne l’empêche pas de garder un œil sur un site qui est tout de même devenu le portail le plus visité du pays. À l’origine, c’est « l’absence d’un site de référence qui informe les Gabonais de l’intérieur comme de l’extérieur » sur l’actualité de leur pays qui lui a donné l’idée d’investir dans l’information en ligne. S’il n’est pas économiquement rentable, le site se targue d’avoir contribué à repousser les limites du débat démocratique pour avoir donné la parole aux opposants lors de la campagne présidentielle de 2005, malgré la désapprobation des caciques du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir). Pour cette femme d’influence, c’est bien le signe d’une certaine indépendance. Proche du chef de l’État, elle assure néanmoins que Gabonews ne saurait être au service d’un courant politique. Une vingtaine de salariés sont à l’ouvrage dans cette entreprise pionnière qui s’est diversifiée en éditant un magazine féminin, Le Miroir, dont le septième numéro vient de sortir en kiosque.

Comptes équilibrés

Directrice de cabinet du président de la République, Pascaline Bongo Ondimba a mis la main en 2006 sur la chaîne panafricaine 3ATélésud, basée à Paris, sur fond de rivalités sous-régionale avec le voisin équato-guinéen. Dans cet environnement de plus en plus concurrentiel, la chaîne, désormais installée rue Cognacq-Jay, vise un public « afro-européen, cosmopolite et urbain ». Plombée par des conflits entre actionnaires, elle est déficitaire, mais amorce une relance de ses activités depuis le début de l’année. La direction compte inverser la tendance grâce à la nouvelle grille des programmes et à l’élargissement de la distribution, qui passe par Orange TV depuis le 16 janvier. Toutefois, elle devra batailler, contre Africa 24 notamment, dernière-née des télévisions panafricaines, lancée depuis quelques semaines avec le soutien financier de Malabo.

Cependant, certains politiques ont réussi à mettre en place des entreprises économiquement viables. C’est notamment le cas du ministre de l’Intérieur André Mba Obame et de son collègue de la Défense Ali Ben Bongo Ondimba, qui ont lancé la chaîne généraliste TV+ en 1998. La petite télévision s’est développée au point de se positionner aujourd’hui comme étant le premier groupe privé de communication du pays avec un chiffre d’affaires de 1,22 million d’euros (800 millions de F CFA). Selon son PDG, l’entreprenant Frank Nguema (voir encadré), le groupe dispose également d’une régie publicitaire performante – Régie Africa Networks – et d’une société d’affichage, Médiaffiche, ce qui lui permet d’être entièrement financé par la publicité. « Nos comptes sont à l’équilibre », se réjouit Frank Nguema. Ce dernier contrôle également la station Radio Nostalgie et a participé à la création d’une deuxième chaîne de télévision à vocation internationale, Go Africa.

Certes moins nantis, les hommes politiques issus des rangs de l’opposition essaient tant bien que mal d’exister face à la force de frappe médiatique de leurs adversaires. Privés de moyens d’expression susceptibles d’atteindre le public le plus large, les opposants ont investi Internet, où ils peuvent s’exprimer sans entrave. Jamais en retard d’une outrance, les radicaux du site BDP (Bongo doit partir) pilonnent quotidiennement le régime depuis leur base située aux États-Unis. Pierre Mamboundou, le challengeur d’Omar Bongo Ondimba lors des deux dernières élections présidentielles, n’est pas en reste, avec son site régulièrement mis à jour, où il commente l’actualité et donne son point de vue sur la marche des affaires du pays.

Pour discréditer l’adversaire, tous les coups sont permis, et de nombreux médias sous influence étrillent les hommes politiques au pouvoir. Entre 2007 et 2008, les journaux – imprimés ou en ligne – se sont faits l’écho de rumeurs de toutes sortes, dont certaines ont eu des effets dévastateurs. Au cours des derniers mois, les « buzz » les plus fantaisistes ont ainsi fait état de la « vente » de l’île de Mbanié par André Mba Obame ou de celle de la maison californienne de l’épouse d’Ali Ben Bongo Ondimba… Certains ont même annoncé la préparation d’un coup d’État par deux ministres en fonctions !

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