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Gabon : Jean Paul Gonzales du CIRMF lève le voile sur la grippe «porcine»

Invité du journal en ligne Le Monde.fr ce 30 avril, Jean-Paul Gonzalez, virologue à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et directeur du Centre international de recherches médicales de Franceville (CIRMF) au Gabon, apporte un éclairage sur la pandémie de la grippe dite «porcine», dont il rappelle qu’on ne peut pas encore affirmer qu’elle soit «véritablement mortelle». Le virologue dégage la portée d’une telle pandémie, indique les moyens de la prévenir et les conséquences sanitaires et socio économiques encourues, alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) vient de monter l’alerte au niveau 5.

Quelles mesures de prévention pouvez-vous nous conseiller ?

«Les mesures de prévention, ce sont les mesures classiques de prévention contre la grippe saisonnière, celle qui passe dans les pays industrialisés et les pays en développement chaque année. Que fait-on pour se prévenir ? Pour les personnes fragilisées, il existe un vaccin, régulièrement mis à jour car le virus varie. En ce qui concerne la population générale, on évite de s’exposer dans des lieux à risques. Quand on sait que des personnes sont déjà porteuses de la grippe, on évite les contacts. On essaie de rester chez soi. Ce sont des mesures très efficaces, simples, peu coûteuses, qui demandent juste une information et une discipline de la part de la population.

Pouvez-vous nous rappeler quels sont les symptômes de cette maladie ?

Les symptômes de cette maladie sont assez banals : des douleurs articulaires, des douleurs musculaires, qui vont évoluer vers un syndrome pulmonaire. La gravité de la grippe vient des surinfections, qui vont aggraver le tableau.

Pourquoi les jeunes adultes sont-ils les plus touchés ?

Généralement, ce sont les gens qui s’exposent le plus au virus qui sont touchés. Dans le cas de la grippe du Mexique, effectivement, on a de très jeunes personnes qui sont touchées. C’est un peu étonnant, et à mon avis, c’est davantage une question socio-anthropologique qu’une question physiopathologique. Par contre, on sait que les jeunes enfants et les personnes âgées sont plus sensibles généralement au virus de la grippe.

Troisième point en ce qui concerne l’âge : dans les grandes pandémies grippales, ce sont les jeunes adultes qui sont touchés, car c’est eux qui circulent beaucoup. Et c’est leur comportement qui va favoriser le contact et la transmission.

En résumé, il y a deux aspects : l’aspect résistance naturelle ou induite au virus, et l’aspect comportement. Et quand on veut faire de la prévention, on joue sur ces deux domaines.

J’habite à Paris. Dois-je craindre quelque chose dans le métro ? Doit-on porter des masques dès maintenant ?

Effectivement, tous les transports en commun sont des vecteurs de transmission. Aujourd’hui, dans le métro parisien, on s’infecte tous les jours avec des virus qui circulent. Maintenant, comme le virus qui est aujourd’hui responsable ne circule pas dans le métro parisien, il n’y a pas de raison de se protéger davantage.

En revanche, il faut prendre les mesures de prévention normales : quand des gens toussent devant vous, tournez la tête, ou demandez-leur de mettre la bain devant la bouche. Cela fait partie de notre société. Si on tousse et qu’on sent qu’on a un syndrome grippal, on reste à la maison. En bref, dans le métro, on ne va pas porter un masque parce qu’un virus circule au Mexique.

Les médias font toujours des titres accrocheurs… Est-ce vraiment d’une gravité si importante ?

Les médias font toujours des titres accrocheurs, c’est le rôle de 80 % d’entre eux : attirer l’attention du public. Maintenant, pour votre autre question, les scientifiques sont en train de travailler dessus, de comprendre si ce virus est vraiment une menace et quelles sont les précautions à prendre. C’est le travail de l’OMS, justement, qui montre qu’il faut y aller avec précaution, qui augmente le niveau d’alerte, mais se garde une réserve, car on ne sait pas si ce virus est véritablement mortel comme on a pu le dire, ou si c’est un virus avec une mortalité plutôt « banale », qui entre dans le cadre des virus de la grippe.

Quelques chiffres : il y a eu au Mexique 73 décès de syndrome pulmonaire grippal, et 18 confirmés d’infection par le virus de la grippe porcine H1N1. Dans le reste du monde, on a 105 cas confirmés (infection par le virus H1N1 mexicain), et zéro décès. Cela au 28 avril 2009. Cela exprime l’incertitude sur la dangerosité de ce virus : pour l’instant, on ne sait pas. Quand un virus évolue, il n’y aucune raison qu’il soit plus pathogène ou moins pathogène pour l’homme. L’évolution des virus n’est pas forcément, comme on le souhaiterait, d’aller vers un comportement « plus pathogène ». C’est le hasard de l’évolution. Un virus peut devenir méchant ou pas méchant. Cela, on ne le maîtrise pas.

Quelle est la probabilité de décès suite à la contraction de cette grippe ?

Pour l’instant, il est très difficile de parler en termes de probabilités. La seule approche est en termes de pourcentage. Quand on regarde les cas mexicains de personnes hospitalisées pour un syndrome pulmonaire – la grippe ou d’autres maladies beaucoup plus graves -, on a 2 à 7 % de mortalité. Donc on parle d’environ 600 cas. On sait que les virus de la grippe sont très infectieux, et quand on relève 600 cas, on peut imaginer qu’il y a eu vraisemblablement 60 000 personnes infectées. La probabilité d’être infecté par un virus quel qu’il soit est très élevée. Je veux dire que le virus grippal, quand il circule, on a de très grands risques d’être infectés, et très peu de risque d’en mourir.

Pourquoi la grippe porcine fait-elle seulement des morts au Mexique ?

On peut avoir quelques éléments de réponse : ce que nous ont dit nos collègues mexicains, c’est que les gens qui sont morts étaient malades depuis plusieurs jours et étaient en phase finale de la maladie. C’était des gens qui avaient sans doute un accès limité au système de santé, grand classique dans les pays en développement. Ce qui fait dire aux chercheurs que ce sont toujours les plus pauvres qui paient le plus lourd tribut aux maladies émergentes, pour lesquelles on est de facto mal préparé.

C’est un problème de société. Le système sanitaire mexicain n’est pas aussi fort qu’en Europe ou en Amérique du Nord. C’est un début d’explication. Les 105 cas confirmés dans le monde se trouvent au Canada, en Nouvelle-Zélande, au Royaume-Uni, en Israël, en Espagne, et on ne relève aucun mort. Vraisemblablement du fait d’un accès aux soins efficace et contrôlé.

Les effets du Tamiflu sur les malades infectés seraient positifs à supposer que le traitement soit ordonné et reçu par le patient sous 48 heures. Même si d’après les estimations, la France est le pays disposant du stock le plus important de cet anti-virus au monde, quelles seront les modalités pour qu’un malade infecté puisse en bénéficier ?

Le risque d’utiliser le Tamiflu, c’est de mal l’utiliser. Si on l’utilise de façon incontrôlée, on peut créer des résistances, et le virus va résister au traitement. Pour ne pas créer de résistance, il faut être absolument sûr que le malade en est au début de la maladie, il faut avoir caractérisé le virus, et à ce moment-là, on peut le traiter. Et le traitement ne pose aucun problème en milieu hospitalier, un malade ne peut pas se traiter à la maison. Dans le cas exceptionnel où le malade a été diagnostiqué positivement à domicile, le malade ne bougera pas de son domicile, et son médecin apportera le traitement à son chevet.

Ce sont des choses classiques, connues, immédiatement applicables, en particulier l’INVS [Institut de veille sanitaire] a écrit clairement ce type de recommandations. L’accès au Tamiflu ne posera pas de problème, mais les conditions d’utilisation sont strictes. C’est justement tout l’art du virus : tous les ans, ou tous les deux ou trois ans, il change. Il y en a trois actuellement, et ce virus mexicain est nouveau. Et la caractéristique d’un virus nouveau, c’est qu’on n’est pas prêt à lutter contre lui. Donc maintenant, il faut préparer un vaccin contre cette souche mexicaine. Par contre, les autres vaccins sont disponibles, et il est même souhaitable que les personnes à risque soient vaccinées contre les deux souches de virus grippaux qui circulent actuellement : H1N1 et H3N1.

L’OMS a demandé aux Etats d’activer leurs plans nationaux « pandémie ». Sauriez-vous nous dire en quoi consiste ce plan pour la France ?

Tous les pays ont des plans nationaux, en fonction de leur richesse. Pour la France, l’INVS a activé le « plan blanc », qui a des règles précises et permet d’intervenir rapidement sur des foyers épidémiques, d’informer la population – ce qui est très important -, etc. Il y a toute une série de mesures énoncées, connues du système sanitaire français, qu’il faut appliquer.

L’inconnue est de savoir si cette grippe porcine mexicaine peut s’étendre de façon extrêmement rapide dans un pays comme le nôtre où les barrières sanitaires sont importantes. On ne le sait pas, mais on pense que ces barrières permettront de réguler, de diminuer la diffusion du virus. On a dit que la France était moins ou plus prête que l’Italie ou l’Allemagne, mais chaque pays a ses propres outils et sa façon de lutter contre les épidémies. Mais on est quand même dans un contexte européen et il est certain que la solidarité se mettrait en place en cas de pandémie de grippe porcine mexicaine en Europe.

Vous venez de dire qu’en France, « les barrières sanitaires sont importantes ». Concrètement, qu’est-ce qui empêcherait le virus de se propager dans notre pays ? Que signifie « barrières sanitaires » ?

Les barrières sanitaires sont multiples. Très simplement : l’infirmière au lit du malade va dire à la famille « on ne fait pas de visite aujourd’hui, on parle au malade à travers la vitre ». Autre barrière : les guichets, fermés par une vitre avec un hygiaphone, qui permet d’éviter le contact. Quand un médecin signe un arrêt maladie, c’est une barrière sanitaire. Si c’est une maladie infectieuse, il va lui dire de rester dans sa chambre et d’éviter les contacts intimes avec sa famille. Le grand classique, c’est de se laver les mains. Après, porter un masque, c’est une barrière sanitaire. Plus important : le masque doit aller d’abord au malade, car c’est lui qui envoie les virus. Et en second lieu, on protègera les non-malades.

Tout ce bon sens, ce savoir-faire face à quelqu’un qui tousse, par exemple, ce sont des barrières sanitaires. Evidemment, au niveau national, on a des systèmes de barrière sanitaire : par exemple, pour une épidémie, déclarer une vaccination immédiate, enregistrer les gens qui sont sur le territoire…

L’OMS a élevé son niveau d’alerte à 5. Quelles seraient les conséquences en France et dans le monde de l’élévation au niveau 6 ?

La première conséquence, ce serait l’arrêt de la circulation des transports internationaux et nationaux, avec évidemment un ralentissement énorme du commerce à tous les niveaux, une économie ralentie, etc. C’est la chose la plus sage, et on le sait depuis le Moyen-âge. Si vous êtes malade, vous arrêtez de bouger, de favoriser la transmission. Cela fait partie des barrières sanitaires : le malade s’isole, ne bouge plus, institue autour de lui une barrière sanitaire.

Ce qui empêcherait le virus de se propager dans le pays, ce sont les mesures de protection prises au niveau national : quand on a des gens suspects, on les isolera à domicile ou en milieu hospitalier, on fera des diagnostics rapides, on prendra des mesures au niveau des écoles, on ne rassemblera pas les gens dans des endroits à risques. Ces outils permettent de bloquer la dispersion du virus. Et surtout sa transmission.

Peut-on sérieusement penser qu’une pandémie de très grande ampleur, comme ce fut le cas avec la grippe espagnole, puisse de nos jours se développer ?

C’est surtout le terme « sérieusement » qui m’interpelle. Qu’est-ce qui est sérieux ou pas ? On a vu que ce n’était pas très sérieux de dire que la grippe aviaire allait faire plusieurs dizaines de millions de morts. Aujourd’hui, je pense qu’il est sérieux de dire qu’on a un virus de la grippe, qu’on connaît les outils, la façon de lutter contre ce type de virus. Ce qui est sérieux, c’est de mettre en place ces outils et ces stratégies.

Et si on le fait, dans un monde qui a évolué et n’est plus le monde de 1918, on ne reverra pas cette grande pandémie grippale. Le monde a changé. Même si on est plus nombreux, les systèmes de santé se sont développés, l’information auprès du public est de plus en plus importante, donc l’efficacité contre une pandémie est cent fois plus élevée qu’elle ne l’était au siècle dernier.

Combien de temps la pandémie peut-elle durer ?

La pandémie ne fait que débuter. On ne sait pas combien de temps elle va durer. En ce qui concerne la dernière pandémie de grippe aviaire, il y a aujourd’hui encore deux cas en Egypte, et elle continue, mais sans bruit. On n’en parle plus. Si un événement d’actualité plus médiatique apparaît, la pandémie va virtuellement disparaître. Mais elle ne va pas disparaître en quelques jours, c’est certain».

Publié le 01-05-2009 Source : lemonde.fr Auteur : Gaboneco

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