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La mort du président gabonais signe-t-elle la fin de la "Françafrique" ?

Même s’il ne représentait pas à lui seul la « Françafrique », la disparition du président gabonais marque la fin d’une certaine relation franco-africaine.

Avec la mort d’Omar Bongo Omdimba, c’est un pilier de la « Françafrique » qui s’effondre. C’était l’une des figures les plus emblématiques de l’Afrique post-coloniale. Il a été l’interlocuteur privilégié des présidents français depuis plus de 40 ans, même si les relations avec Paris se sont récemment crispées. Doyen des chefs d’Etats africains, son influence tenait avant tout à son ancienneté: 41 ans de pouvoir.
Agé de 73 ans, il avait accédé au pouvoir en 1967, avec l’aval de la France. Il est le président resté le plus longtemps au pouvoir. Pour le journaliste Antoine Glaser, rédacteur en chef de la Lettre du continent il « était le gardien d’un demi-siècle de secrets de la présence française en Afrique ». « Approvisionnement énergétique, mercenariat, opérations secrètes… Des années 60 aux années 90, il a servi la diplomatie d’influence de la France en Afrique. Et la plate-forme de la France, gendarme de l’Afrique, c’était Libreville », poursuit-il.

Une expression est née


C’est l’ancien président de la Côte d’Ivoire, Felix Houphouët-Boigny, qui inventa l’expression France-Afrique, en 1955. Il voulait définir ainsi les bonnes relations qu’entretenait la France avec ses anciennes colonies. L’expression « Françafrique » a ensuite été forgée par François-Xavier Verschave, ancien président de l’association Survie. Il a ainsi voulu désigner les réseaux occultes qui unissaient la France à l’Afrique.
Dans son livre, « La Françafrique, le plus long scandale de la République » (Stock, avril 1998), il écrit : la Françafrique est « une nébuleuse d’acteurs économiques, politiques et militaires, en France et en Afrique, organisée en réseaux et lobbies » qui « est hostile à la démocratie ». L’Angola, le Togo, le Congo-Brazzaville, la République démocratique du Congo, le Rwanda, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Tchad, les Comores, le Gabon, le Burkina Faso, Madagascar, le Bénin, la Tunisie, le Maroc, le Niger, Djibouti, le Mali, la Centrafrique, la Mauritanie, la Guinée Equatoriale et l’Algérie feraient partie de ce cercle d’initiés.

Une sphère d’influence


Corruption, accords secrets, soutien militaire indirects en sont les caractéristiques. L’objectif français aurait été de maintenir une sphère d’influence importante en Afrique et d’exploiter la richesse des matières premières. Une « cellule Afrique » composée de plusieurs diplomates a été constituée sous l’autorité du général De Gaulle. Jacques Foccart en a été le principal dirigeant jusqu’en 1974. Cette cellule aurait, selon certains, soutenu des dirigeants, déjoué des coups d’Etat et fomentés d’autres. L’ancien président de la République Valéry Giscard d’Estaing a ainsi affirmé au lendemain de la mort d’Omar Bongo, que le président gabonais avait soutenu « financièrement » Jacques Chirac pendant la campagne présidentielle de 1981.

Le discours de Cotonou


Un lien, donc, fondé sur des intérêts croisés, y compris avec Nicolas Sarkozy, qui avait pourtant promis de rompre avec la « Françafrique » et de « définitivement tourner la page des complaisances, des secrets et des ambiguïtés », lors de son discours de campagne en 2006 à Cotonou (Bénin).
Il promettait alors de ne plus soutenir les chefs d’Etat corrompus. Et pourtant.
Après son élection, il fait étape à Libreville au cours de sa première tournée africaine. Autre signe de la persistance de ces relations particulières, Omar Bongo a obtenu en 2008 le départ du secrétaire d’Etat à la Coopération, Jean-Marie Bockel, qui l’avait profondément irrité en annonçant vouloir « signer l’acte de décès de la Françafrique » qu’il reconnaissait « moribonde ». Des déclarations jugées arrogantes pour le Gabon, qui, se sentant visé, a déclaré préférer « trouver des partenaires plus respectueux ».

« La France sans le Gabon, c’est une voiture sans carburant »


Le Gabon était aussi le bastion originel d’Elf, la compagnie pétrolière française créée en 1967, dont l’ex-PDG, Loïk Le Floch-Prigent, reconnaîtra plus tard qu’elle servait de « diplomatie parallèle » et finançait les services secrets français… « Le Gabon sans la France, c’est une voiture sans chauffeur. La France sans le Gabon, c’est une voiture sans carburant ». Ainsi Omar Bongo décrivait-il, dans les années 80, les relations entre Paris et son ex-colonie, riche en pétrole, manganèse et bois.

L’affaire des biens mal acquis


Les tensions sont montées d’un cran après la diffusion, par la chaîne de télévision publique France 2, d’un reportage consacré aux biens immobiliers luxueux du clan Bongo en France. Les associations Survie, Sherpa et la Fédération des Congolais de la diaspora portent alors plainte pour « recel de détournement de biens publics et complicité » auprès du tribunal de Grande Instance de Paris contre cinq chefs d’Etats africains dont la famille d’Omar Bongo. Selon elles, ces biens ont été acquis avec de l’argent public détourné. Une enquête policière pour « infraction insuffisamment caractérisée » est ouverte par le parquet de Paris en juin 2007, puis classée sans suite en novembre 2007. Au Gabon, l’opinion gabonaise se range derrière son chef d’Etat et dénonce les accusations françaises. Le 2 décembre 2008, Transparency International France, l’Association Sherpa et un citoyen gabonais Grégory Ngbwa Mintsa déposent une nouvelle plainte assortie d’une « constitution de partie civile » visant entre autres Omar Bongo, ainsi que son entourage pour « recel de détournement de fonds publics ». Dans les milieux diplomatiques, on a alors expliqué que la rupture ne devait pas passer en force, et que Nicolas Sarkozy voulait « éviter tout problème » avec l’Afrique.

Très peu de chance pour un procès


« La disparition du président Bongo ne change rien aux poursuites en cours dans l’affaire des biens mal acquis », a indiqué l’avocat Me William Bourdon à l’agence de presse AFP, en rappelant que « plusieurs membres de sa famille » sont également visés par une plainte devant la justice française. « Une enquête de police a montré que les détournements de fonds dénoncés par Tranparency Internationale France sont imputables à une entreprise familiale », explique l’avocat de l’association anti-corruption. « Les opérations de succession sur les biens mal acquis ne peuvent être aujourd’hui que très compliqués et la disposition des biens d’Omar Bongo (distribution des biens à ses héritiers) ne peut, à mon sens, qu’être suspendue de fait, compte-tenu de la procédure en cours », a-t-il ajouté. La date d’audience n’a pas encore été fixée.

Un allié encombrant ?


La disparition d’Omar Bongo, même si elle ne fera pas taire les associations, permet au gouvernement français de se débarrasser d’un allié gênant. Selon Antoine Glaser « c’est emblématique de la fin d’un certain type de relation entre l’Afrique et la France ». « C’est une page qui se tourne car c’était le dernier doyen de toute une période historique ». Et si l’opinion française est favorable à une enquête concernant les biens mal acquis, il y a peu de chance d’aboutir à un procès. Surtout si la suppression du juge d’instruction voulue par le chef de l’Etat est effective. « Je vois mal comment le Parquet pourrait initier une enquête », s’inquiète William Bourdon. (Nouvelobs.com)

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