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Lettre ouverte à la jeunesse gabonaise : aux urnes citoyens !

C’est la jeunesse gabonaise qui doit prendre le destin du Gabon entre ses mains lors de ces présidentielles historiques pour le Gabon

Par Daniel Noumbissie Tchamo

C’est à vous qui jouissez déjà du droit de vote et n’ayant connu autre président qu’Omar Bongo Ondimba que je m’adresse. C’est à cette génération qui veut accomplir sa mission de génération et non la trahir que je m’adresse. Partie de la communauté politique, elle-même non homogène, Je suis conscient de ne pas écrire à un bloc monolithique.

Le 30 août 2009, vous participerez activement, je n’en doute, à « l’écriture en gras » d’une page de l’histoire politique gabonaise. Votre mobilisation politique autour de ce scrutin témoigne de la prise de conscience de tous les enjeux de celui-ci et du caractère inédit. Car pour la première fois après 40 ans vous prendrez part à un scrutin présidentiel où le vainqueur n’est pas d’emblée connu voire « politiquement » commis d’office. Du coup ce scrutin qui donnera lieu à l’élection d’un nouveau locataire du Palais du Bord de la Mer ne laisse pas indifférent une frange de la jeunesse africaine en dépit des critiques liées à son organisation.

Au regard du verrouillage de tout processus électoral propice à l’alternance politique au Cameroun, Tchad, Guinée équatoriale, Congo (Brazzaville), pour ne citer que ces pays voisins, sachez, aimable jeunesse gabonaise que vos congénères de l’Afrique centrale (précisément) en âge de voter envient votre position. Surtout votre position active, qui espérons-le, se consolidera au-delà des circonstances électorales ponctuelles. Sauriez-vous traduire en leçon de démocratie cette admiration circonstancielle de vos congénères, dont certains vous sont proches, parce qu’ils participent à la construction de ce pays d’immigration ?

Le droit de vote, comme vous le savez et vous en avez fait l’expérience pendant longtemps, retrouve sa valeur quand le citoyen a l’intime conviction que son usage, si singulier qu’il soit, peut infléchir le cours de l’orientation politique dans le sens souhaité. Celle-là doit être nourrie par les garanties institutionnelles du jeu démocratique. C’est-à-dire « une façon d’élire qui n’afflige personne, [qui] laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir la patrie », comme dira Montesquieu. Je suis d’ores et déjà convaincu que la manière dont vous œuvrerez pour que l’issue de ce scrutin présidentiel soit à l’image de l’avancée démocratique sur le continent africain est non seulement à penser mais à faire par vous-mêmes. Après 42 ans de dictature tarabiscotée, dans les années 90, d’un « habillage démocratique », la tâche est difficile, et l’issue incertaine.

Je vous le concède d’autant plus que beaucoup de leaders d’opinion de la classe politique gabonaise et autres « faiseurs et profiteurs du système des imposteurs» (dont fait partie une frange de votre composante) sont prêts à perpétuer le « système Bongo » au travers de tous les arcanes et rouages du pouvoir où ils sont appelés à servir. Et si impossible n’était pas gabonais ?( pour pasticher vos voisins camerounais). Oui vous pouvez !

Oui, vous pouvez montrer que le Gabon mérite mieux qu’une terre de dictature ou plus largement de « postcolonie » au sens d’Achille Mbembé! Oui, vous pouvez démontrer que la beauté et la prospérité du Gabon sont entre vos mains ! Oui, en pensant en jeunesse active et en agissant en jeunesse pensante, vous pouvez faire parler et exister le Gabon autrement qu’en simple vivier de richesse naturelle à qui l’humanité confrontée aux défis environnementaux doit d’ailleurs beaucoup. Oui, vous pouvez par votre poids électoral donner l’occasion à « l’Afrique qui marche », de citer non sans fierté, l’exception gabonaise. Oui, vous pouvez faire mieux dans la construction d’un peuple gabonais libre ! Oui, vous pouvez faire mieux dans la promotion de la démocratie et l’intégration sous-régionales au travers de ce choix électoral imminent et ceux à venir.

Mais aimable jeunesse gabonaise, j’en appelle à votre sens de lucidité, responsabilité et d’intelligibilité pour désactiver tous les pièges qui jonchent le long chemin de la liberté sur lequel vous vous êtes engagés. Car si vous le voulez, rien ne sera plus vraiment comme avant. Dites vous que l’ère de l’opposition du triptyque : la liberté, justice et du développement, au diptyque : paix et stabilité, est révolue.

L’histoire du néocolonialisme africain est l’histoire de cette incompatibilité simulée et cyniquement affichée. Ce n’est pas une surprise si partout les néocolonialistes d’hier et d’aujourd’hui se montrent essentiellement comme les « bâtisseurs de paix et de la stabilité». Vous le savez, on dira trivialement, à Likouala, Owendo, Cocotiers, Rio etc. « on ne mange pas la paix » ! Car ce qui est plus important, c’est la juste valeur de la paix. Or, c’est cela qui fait défaut partout où cette rengaine politicienne est évoquée pour masquer les échecs des leaders politiques qui, après plus de deux décennies de pouvoir, trouvent des arguments pour s’y maintenir.

Aimable jeunesse gabonaise, le Gabon est sur bien des plans un Etat souverain. Pourquoi la jeunesse gabonaise, l’âme vivante du « corps électoral », ne le sera pas ? Moult de vos critiques contre la France sont légitimes. Beaucoup pensent d’ailleurs comme Eva Joly que « la France a une grande dette envers le Gabon pour avoir maintenu au pouvoir pendant toutes ces années M. Bongo ». Néanmoins, à chacun sa part de responsabilité. Pas de dictature durable sans complicité du peuple.

Or, ce peuple politique, ce peuple de droit, qui est-il ? C’est aussi vous, la jeunesse gabonaise, celle qui, en majorité électorale et par son comportement politique a d’une manière consciente ou non contribué à entretenir les conditions de possibilités de la dictature. Et c’est parce que le plus souvent ces conditions survivent aux dictateurs, que les dictateurs meurent mais la dictature continue. Vous n’ignorez pas ce proverbe Bantu : « c’est la patate douce qui avait voulu qu’on la mangeât crue ». Cependant le Gabon peut en sortir. Et désormais l’élection présidentielle se gagnera à Libreville et non à Paris ! La jeunesse gabonaise, comme partout ailleurs, désire la démocratie et la liberté qui, à mon sens, sont les fruits juteux de tous les climats et de toutes les saisons. Vous le savez, comme moi, on ne libère pas un peuple mais un peuple se libère. Et si on ne recouvre jamais la liberté, comme dira Rousseau, on peut néanmoins l’acquérir.

Aimable jeunesse Gabonaise, ne vous croyez pas vaincus, osez faire le choix du bien commun et des meilleurs moyens de le réaliser qui puissent servir à tous et de manière juste et équitable. Car le Gabon mérite mieux qu’un espace à mi-privé mi-public de trafic de liberté publique où l’un ( « opulent ») achète, l’autre (« gueux ») vend. J’en viens ainsi concrètement aux pièges à éviter sur ce long chemin de la liberté dont ce moment des élections présidentielles à un tour en fait partie.

Le piège de la corruption morale et matérielle n’est pas l’apanage seul du Gabon, encore moins de l’Afrique. Mais, le problème c’est que chez nous, elle prend des proportions gravissimes qui travestissent des élections libres et transparentes. Les victimes deviennent les aliénés voire des mercenaires politiques qui constituent un danger pour l’espace public libre ouvert à la discussion, au débat, aux désaccords, aux délibérations. Il suffit d’un peu de volonté pour que ceux et celles d’entre vous qui s’y sont fait prendre plusieurs fois en sortent cette fois-ci ; et les citoyens qui l’ont évité jusqu’ici, y résistent et maintiennent une certaine intégrité morale et un désir de vertu publique.

Certains rétorqueraient, en faisant référence à Saint Augustin, qu’il faut un minimum de bien-être matériel dans la pratique de la vertu (publique). Mais sachez que la Révolution française de 1789 s’est faite avec les pauvres (matériellement). Que ceux qui, des villes et des campagnes, sont prêts à vendre l’avenir du Gabon pour un tee-shirt confectionné à Paris ou les cuisses, les ailes et les croupions de dindons ou de poulets importés d’Europe ou même pour quelques milliers de francs CFA local le sachent ! Et si l’essentiel était de river les yeux sur le cap de l’idéal ?

Le piège du vote communautaire et du « vote-maison » comme on dit à Libreville n’est pas le moindre. Ce piège est d’autant plus étanche que l’influence du groupe sur notre mode d’action est une donnée en psychologie sociale. Faire comme ma communauté (religieuse, professionnelle, etc.) ou ma famille parce que c’est une « tradition » ou la « voie du salut » n’est pas compatible avec l’autodétermination de la volonté qui concourt à un choix responsable, parce que libre. Ne passez donc pas à côté de l’usage public de votre raison !

Le piège de l’ethnie ou de son instrumentalisation par les politiciens. Ce que je viens d’écrire précédemment est aussi valable ici. Puis, je m’inscris en faux contre la thèse selon laquelle l’ethnie est un problème pour la démocratie en Afrique. S’il en est un, c’est moins l’ethnie en soi que l’usage qu’on en fait. Quand j’entends certains jeunes gabonais dire qu’ils voteront X candidat tout simplement, mais essentiellement parce qu’il est de leur ethnie. Ou quand je lis sur certains forums de discussion que Y candidat ne sera jamais Président au Gabon tout simplement, mais essentiellement parce qu’il n’est pas Fang (Ethnie majoritaire).

Alors là, Je vous dis, le problème ce n’est pas l’ethnie mais son usage ou l’idée qu’on se fait. Mon ethnie est un fait et la manière de conduire ma vie dans la cité, un art qui dépend de moi et moi-même. Je suis à la fois attaché et détaché à mon ethnie. Attaché par la nécessité des choses que je n’ai pas choisie et, détaché par mon droit à disposer de mes choix. C’est fort de cela que si je ne choisi pas mon ethnie (comme mes géniteurs d’ailleurs), en revanche, j’ai le droit politique de choisir celui qui va me représenter dans la haute sphère de la gestion de la chose publique. Voilà pourquoi la démocratie n’a pas de patrie ! Le Cameroun avec ses 240 ethnies a prouvé lors des élections présidentielles de 1992, (« l’élection volée » de Ni John Fru Di) qu’on peut en sortir. Les exemples ne manquent pas dans « l’Afrique démocratique » qui avance malgré tout.

Aimable jeunesse gabonaise, soyez fiers de vos ethnies mais n’en faites point le facteur déterminant de vos choix socio-politiques. Que votre ethnique politique soit désormais l’ethnie des valeurs qui vaillent ! Ainsi vous protègerez-vous contre toute instrumentalisation de l’ethnie naturelle qui ne sert que les ambitions et intérêts égoïstes et claniques des marchands d’illusions ou des populistes qui n’aiment ni le Gabon ni l’Afrique. Encore que ni le Gabon ni l’Afrique n’ont pas besoin qu’on les aime en ces termes-là mais qu’on leur rende justice : Justice politique, justice sociale.

Le piège de l’illusion de changement. Le mot « changement » est le mot valise le plus usuel dans la sémiotique politique de notre temps. Que veut dire changement ? L’offre politique des partis politiques dans l’opposition, quand elle n’est pas saupoudrée de populisme, dans les « grandes démocraties », par exemple, présente de moins en moins des différences fondamentales par rapport au parti au pouvoir. C’est pourquoi, arrivé au pouvoir, le changement qu’il prônait n’est qu’illusoire. Ce qui tient non seulement à la paresse intellectuelle et à la starisation de la politique mais aussi du fait que nous soyons arrivés au crépuscule des « idéologies » et des idoles politiques démiurges. Néanmoins, le mot changement dans l’escarcelle politique des communautés politiques en construction comme au Gabon peut avoir un sens. C’est-à-dire une vraie transformation sociale et politique portée par un projet de société innovant ou refondateur bien qu’il existe des fortes interférences globales négatives ou positives.

Mais est-il raisonné d’attendre ce changement des candidats qui ont occupé des hautes responsabilités au sein du Parti Démocratique Gabonais ou dans le sérial politique du « système Bongo » pendant plus de dix ans au moins sans démontrer aucune « posture d’homme d’Etat » ? Est-il raisonné d’attendre ce changement de certains qui se réclament du « Bongoïsme » qui n’a rien fait pour penser et préparer le Gabon-après-pétrole ? de même que le « TSA » (« Tout Sauf Ali ») qui circule dans le pays d’Azingo national n’est pas un projet de société de même que la jeunesse gabonaise doit avoir la lucidité de sanctionner par la voie des urnes ( par l’autre « TSA »- « Tout Sauf les Armes ») le ou les candidat(s) qui semble(nt) prendre les institutions gabonaises, fussent-elles précaires, pour leur paillasson ou leur costume sur mesure.

Mais l’argument selon lequel on ne veut pas d’Ali Bongo tout simplement, mais essentiellement parce qu’on ne veut pas faire du Gabon une monarchie est simpliste et préjudiciable à la qualité du débat politique. L’élection de George W. Bush succédant en qualité de président à George Bush (son père) après le double mandat de Bill Clinton n’a pas fait des Etats-Unis une monarchie. Une telle idée ne frôlera jamais l’imaginaire populaire dans ce pays-là. C’est dire combien l’élévation du niveau des débats dans nos sociétés en de pareilles circonstances est importante pour la culture politique démocratique de la masse à éduquer.

Que dire de la demande du report des élections ? Elle est certes « manifestement fondée » bien qu’elle soit soutenue avec beaucoup de maladresses par une « opposition » hésitante qui panique. A présent, cette dernière gagnerait à penser aux procédures de garanties de l’authenticité les procès verbaux et leur traçabilité (en vue de faire valoir ce que de droit). Malgré tout, J’ai l’intime conviction que le jeu « démocratique » moins truqué, en amont, comme auparavant, en vaut la peine maintenant. L’électorat décidé à faire entendre sa voix, en tant qu’artisan de la volonté générale, me conforte dans cette opinion.

Aimable jeunesse gabonaise, et si chacun(e) par son vote se demandait le Gabon, la sous-région, l’Afrique, le monde qu’il veut, pas pour un moment électoral, mais pour sa génération et la prochaine ? Et si vos bulletins de vote pouvaient être, pour des bonnes raisons, des pistolets chargés contre la dictature, en dépit de l’offre politique minable? Vous faites bien d’attirer l’attention de l’« Etat encore privatisé» (dont la séparation de pouvoir est une arnaque politique) sur le fait que la désobéissance civile sera votre ultime recours car « en résistant à l’injustice dans les limites de la fidélité à la loi, elle sert à empêcher les manquements vis-à-vis de la justice et à les corriger s’il s’en produit.

Que les citoyens soient prêts à recourir à la désobéissance civile justifiée conduit à stabiliser une société bien ordonnée ou presque juste. [Mais] la désobéissance civile, [telle que Rawls la définit], n’exige pas d’être fondée sur les croyances sectaires, elle dérive de la conception publique de la justice qui caractérise la société démocratique. » ( John Rawls, 2007 : 422-423).

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