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Gabon : le temps des manoeuvres

Si l’opposition n’obtient pas gain de cause devant la justice, elle aura au moins gagné du temps. En attendant, en coulisses, des « médiateurs » discrets préparent la voie au dialogue.

André Mba Obame ne veut qu’une chose : l’annulation de l’élection d’Ali Bongo Ondimba. Il s’explique sur dix-sept pages, dans un dossier transmis le 17 septembre à la Cour constitutionnelle, et qu’il a largement diffusé dans les médias et dans les chancelleries étrangères. Même stratégie pour l’autre poids lourd de l’opposition, Pierre Mamboundou, qui a aussi déposé un recours, à la différence près que ce dernier se fait plus discret. En tout, ils sont dix candidats malheureux à porter l’affaire devant les juges.

Les chances d’obtenir gain de cause sont minimes. La première des exigences d’André Mba Obame est d’ailleurs la demande de récusation de la présidente de la Cour constitutionnelle, Marie-Madeleine Mborantsuo. Il estime que le fait que la magistrate ait eu des enfants avec feu Omar Bongo, et serait donc la mère des frères d’Ali, est un motif pour demander qu’elle soit déchargée du dossier.

Non seulement l’argument est discutable, mais les opposants ne semblent pas tous s’accorder sur les secrets d’alcôves. Ainsi, Luc Bengono Nsi (moins de 1 % des voix) soutient la thèse qu’Ali Bongo Ondimba serait un fils adoptif. Il a même déposé un recours en expliquant que si la rumeur était avérée, l’élection d’Ali devrait être invalidée, puisqu’il ne serait pas gabonais de naissance.

Sur ce thème, il y a peu de chance qu’ils soient écoutés. Sur le fond, en revanche, c’est-à-dire ce qui relève du déroulement du scrutin, du dépouillement et de l’annonce des résultats, certains recours pourraient aboutir. Mais de là à changer la donne…

Ali privé de sorties officielles

Pour le moment, l’opposition a cependant choisi de tenter et de croire à la voie légale. Pour deux raisons. D’abord, comme l’avoue André Mba Obame, à cause d’amicales pressions de « responsables africains et français » qui l’ont poussé à choisir la justice plutôt que la rue. Ensuite parce que, après les événements de Port-Gentil, l’appel à la journée ville morte n’a pas été un franc succès. Inutile de multiplier les manifestations et d’épuiser les troupes, la fronde populaire doit rester l’ultime recours. Si toutefois les partisans ont encore assez de conviction et d’espoir pour aller battre le pavé, et si le front d’opposition a une alternative commune à proposer. Pour le moment, ce n’est pas le cas.

Casimir Oyé Mba, qui avait retiré sa candidature à quelques heures du scrutin, estime quant à lui que la tactique des recours en justice est bien inutile. « Personne n’est assez naïf pour penser que la Cour fera autre chose que confirmer définitivement les résultats », expliquait-il dans une tribune publiée dans nos colonnes (voir J.A. n° 2541). Il n’empêche. La manœuvre porte ses fruits. En déposant sur le bureau de Mme Mborantsuo des piles de dossiers à examiner, les candidats ont au moins marqué un point : ils ont bouleversé l’agenda présidentiel et ont contraint le futur chef de l’État à ronger son frein.

Ali Bongo Ondimba entendait célébrer la victoire dès la fin septembre avec une prestation de serment en bonne et due forme qui lui aurait conféré officiellement le titre de président. Raté. En tout cas, la fête est reportée, le temps nécessaire à l’examen des recours. Il voulait aller à New York, à l’Assemblée générale des Nations unies pour une première sortie officielle dans le grand monde. Encore raté. Sans parler du sommet Amérique du Sud-Afrique, auquel il a aussi dû renoncer.

Faute de barrer son accession au pouvoir, l’opposition essaie de trouver les moyens de l’empêcher de gouverner en paix. Et, pour cela, ils ont su unir leurs forces. Les deux ténors, Mba Obame et Mamboundou, 25,88 % et 25,22 % selon les résultats officiels, ont ainsi décidé ensemble de renoncer à demander le recomptage des voix et de se concentrer sur l’annulation du scrutin.

Ils sont d’accords sur un autre point : pas question d’entrer dans un gouvernement d’union nationale, donc, pour le moment, le dialogue, prôné par Casimir Oye Mba, semble vain. Pour Mba Obame, en effet, celui qui rejoindrait le camp Bongo serait voué à une « mort politique assurée ». « L’Union du peuple gabonais [UPG] ne souhaite pas nouer un contact avec le camp des usurpateurs », renchérit Richard Moulomba, secrétaire général du parti et porte-parole de Pierre Mamboundou.

Une union de circonstance

Ce dernier, contrairement à Mba Obame, qui fait une large publicité à chacune de ses démarches, reste terré dans un lieu tenu secret. Il ne sort plus en public que pour rencontrer les autres chefs de l’opposition et laisse le soin à ses collaborateurs de communiquer à sa place.

L’opposition bénéficie aussi d’un outil important, la chaîne de télévision TV+, qui a repris ses émissions depuis le 21 septembre. Appartenant à Mba Obame, elle s’était révélée avant l’élection un vrai enjeu de pouvoir. Fermée par décision administrative à la veille du scrutin, elle peut servir de caisse de résonance au front anti-Ali. En tout cas tant que le front ne se fissure pas.

Sur le plan international, au nom du « Front du refus », Bruno Ben Moubamba, candidat issu de la société civile (moins de 1 % des voix), s’agite, multipliant les conférences de presse devant le siège de la multinationale pétrolière Total en banlieue parisienne. Frappé par une mesure d’interdiction de voyage (suspendue depuis), il n’avait pu quitter le Gabon que grâce à son passeport français. Après la France, il entend se rendre en octobre aux États-Unis pour mobiliser l’opinion internationale contre le « coup d’État électoral ».

Médiations internationales

Ali Bongo Ondimba sait cependant que ces effets de manche restent limités. Notamment parce que l’union de ses opposants est bien fragile. Ils se surveillent, se marquent à la culotte, chacun n’ayant à l’esprit que le but qu’il s’est fixé, sortir du lot et se placer sinon comme vainqueur au moins comme chef de file de l’opposition. Pierre Mamboundou a même envisagé de former un gouvernement parallèle constitué de membres issus de l’Alliance pour le changement et la restauration, la coalition qui soutenait sa candidature.

Dans l’entourage d’Ali Bongo Ondimba, on attend l’issue des recours avec « sérénité », affirme la porte-parole Clémence Mezui. Et elle assure que le « gouvernement d’union nationale » n’est pas non plus une option envisagée. « Les loups sont sortis du bois. Pourquoi faire revenir au gouvernement des gens qui se sont enrichis sur le dos du peuple ? » s’insurge celle qui fut proche de l’opposant Zacharie Myboto avant de rejoindre le camp Bongo. « Nous voulons former un gouvernement de technocrates pour faire avancer les choses », poursuit-elle. Quid alors du dialogue ?

Discrètement, les pays voisins sont intervenus pour chercher une issue honorable pour tous. Le Cameroun a ainsi joué sur deux tableaux. Paul Biya a été le premier chef d’État de la région à féliciter le président élu, tout en permettant à son principal challengeur de se réfugier dans son ambassade. La dernière initiative en date a été lancée, sans tambour ni trompette, par le président congolais, Denis Sassou Nguesso. Il a invité les opposants à se rendre à Brazzaville dans les prochaines semaines pour discuter des voies de sortie de crise. Mais sera-t-il entendu ? « C’est difficile pour les voisins de faire de la diplomatie préventive sans être accusés d’ingérence », soupire un diplomate. « Je crains que nous ne soyons réduits au rôle de pompier… », pronostique-t-il, d’un air sombre.

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