Interdiction d’exporter le bois non transformé, création d’une société pétrolière nationale, entrée dans le capital d’Eramet, renégociations avec les Chinois… L’État reprend la main sur les traditionnels secteurs clés du pays. Pour quels résultats ?
Dans le jargon médical, cela s’appelle un traitement de choc. Depuis le 15 mai, la filière bois – qui représente 4 % du produit intérieur brut (PIB) et constitue le deuxième employeur du pays (30 000 personnes) après la fonction publique – connaît une réforme radicale, avec l’interdiction d’exporter le bois en grumes et, donc, l’obligation de lui faire subir au moins une première transformation sur place.
Annoncée le 5 novembre 2009, la mesure a fait grincer des dents les opérateurs du secteur, largement dominé par des entreprises étrangères, dont le français Rougier. Pour le gouvernement, resté ferme sur sa position malgré les risques de suppressions d’emplois massives et les prévisions d’une perte de 25 milliards de F CFA (38 millions d’euros) en 2010, l’objectif est clair : il faut industrialiser la filière pour qu’elle génère plus de valeur ajoutée.
Tirer profit des matières premières
Cette mutation vers une économie à forte valeur ajoutée, promise par le chef de l’État pour parvenir à l’émergence, consiste à faire en sorte que le pays ne soit plus un simple réservoir de matières premières et tire un meilleur profit de ses ressources agricoles, forestières, minières et pétrolières, en assurant tout ou partie de la transformation localement.
Sur le front forestier, le gouvernement a concédé une dérogation à l’interdiction totale d’exporter le bois brut et proposé un échéancier. La proportion de bois transformé sur place devrait être portée d’environ 25 % du total des troncs bruts à plus de 60 % dès cette année, puis à 75 % en 2011 et à 80 % en 2012. Parallèlement, le volume des exportations de grumes devra baisser pour passer de 1,2 million de m³ en 2010 à 800 000 m³ en 2012.
Certes, la nécessité de cette réforme est reconnue et acceptée par tous les acteurs de la filière, mais la rapidité de son exécution en a ému plus d’un. Les opérateurs n’auront eu que six mois pour mettre en application les nouvelles mesures. Quand il faut un an et demi pour construire une scierie… Mais du côté du Palais du bord de mer, pas question de faire machine arrière. Une nouvelle étape a été franchie le 23 septembre : le ministre des Eaux et Forêts, son homologue du Travail et les opérateurs ont tenu une première réunion relative au lancement de l’industrialisation de la filière bois et sont tombés d’accord pour créer un comité de mise en œuvre et de suivi du processus. Par ailleurs, un fonds spécial est octroyé pour soutenir les différents acteurs.
Or noir et gant de velours
Concernant les hydrocarbures, le virage n’est pas encore franchement amorcé. Depuis l’annonce, le 4 mars, de la création d’une compagnie pétrolière nationale, la Gabon Oil Company (GOC), les choses n’ont pas beaucoup avancé.
Le Gabon, qui se classe au quatrième rang des pays producteurs de pétrole en Afrique subsaharienne après le Nigeria, l’Angola et la Guinée équatoriale, est le seul à ne pas posséder sa propre compagnie pétrolière nationale. Conséquence : la part de la production qui lui revient est gérée par les sociétés exploitantes, ces dernières prélevant au passage une commission. Un manque à gagner que Libreville souhaiterait récupérer.
Par ailleurs, tout producteur de brut qu’il est, le Gabon dépense chaque année plus de 30 millions d’euros pour ses importations de produits pétroliers… Les autorités souhaitent donc également combler les lacunes du pays en termes d’expertise pétrolière en aval de la chaîne de production.
Mais, pour l’heure, le secteur, à l’origine de plus de 60 % des recettes publiques du pays, reste largement tenu par des groupes étrangers – en particulier les français Total et Maurel & Prom, le néerlandais Shell, l’italien ENI, le canadien CNR. Ces derniers pourraient geler leurs investissements s’ils sentaient leurs intérêts menacés. Le moindre faux pas pourrait donc sérieusement pénaliser le budget de l’État. D’autant que la production est en perte de vitesse (250 000 b/j en 2009, contre plus de 350 000 b/j en 1997) et que le secteur a besoin de nouveaux investissements, que seules ces sociétés internationales sont capables d’apporter.
Conditions fiscales avantageuses
« Les autorités doivent mener une campagne de communication pour rassurer ces compagnies étrangères », indiquait, sous le couvert de l’anonymat, un fonctionnaire du ministère des Mines, du Pétrole et des Hydrocarbures. « L’État limitera sa part de la production pétrolière dans les blocs d’exploration qui seront bientôt ouverts en mer à 62,5 % », rassurait en avril Louis Gaston Aubame, le directeur des affaires économiques au même ministère, ajoutant que le Gabon allait essayer d’offrir de meilleures conditions fiscales que ses concurrents régionaux, en particulier le Cameroun et la Guinée équatoriale.
Si la GOC n’a pas encore vu le jour, le président du groupe chinois Sinopec – qui négocie une participation dans les 42 blocs d’exploration offshore mis en vente par le pays – a également manifesté, lors d’un séjour à Libreville début septembre, son intérêt pour une prise de participation dans la future compagnie nationale et pour accompagner sa mise en place.
Le troisième secteur revisité par le Gabon « émergent » d’Ali Bongo Ondimba est celui des mines. En mai, le chef de l’État a entamé lui-même, à Shanghai, la renégociation avec les Chinois du contrat d’exploitation du gisement de fer de Belinga, dans le nord-est du pays.
Des mines revisitées
L’objectif de ce nouveau round de discussions est, là aussi, d’éviter que la production de cette mine soit destinée aux seules exportations. Par ailleurs, les investissements, estimés à 3 milliards d’euros, sont jugés « exagérément lourds » par Ali Bongo Ondimba.
Autre ambition minière du Gabon : la prise de participation par l’État gabonais de 10 % à 15 % du capital du groupe minier français Eramet, ainsi que l’augmentation de 25 % à 33 % de ses parts dans la Compagnie minière de l’Ogooué (Comilog), filiale gabonaise d’Eramet. Le tout pour un montant de quelque 600 millions d’euros.
De ce côté, les négociations vont bon train, le groupe minier français ayant déjà donné son accord de principe en juin. Le contrat final devrait être signé très prochainement.