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« Bourgi cherche à sauver son fonds de commerce françafricain »

Robert Bourgi a semé la pagaille à droite en accusant Jacques Chirac et Dominique de Villepin d’avoir reçu des financements africains occultes. Vincent Hugeux, spécialiste de l’Afrique à L’Express, a répondu aux questions des internautes de LEXPRESS.fr à son sujet.

Dismoitout: Quel est le but poursuivi par ce monsieur?

Question judicieuse. A tort ou à raison, je ne crois pas au montage machiavélique orchestré depuis l’Elysée. Ou si tel est le cas, il y a lieu de douter du sens tactique de Nicolas Sarkozy et de son entourage. Dès lors qu’un acteur ouvre une telle boîte de Pandore, tout en s’employant avec une insistance maladroite à épargner son ami Sarko, une question affleure: comment croire que la France serait passée du vice à la vertu le jour où l’ancien maire de Neuilly, héritier du système UDR-RPR-UMP, franchissait le seuil de l’Elysée?

A mon sens, Robert Bourgi, dont l’étoile ne cesse de pâlir, cherche avant tout à sauver ce qui lui reste de fonds de commerce françafricain. Au passage, il adresse un missile subliminal à double tête. L’une dirigée vers Sarko himself (N’oublie pas ce que j’ai fait pour toi); l’autre vers Juppé, perçu non sans raison comme un adversaire résolu. Si, ce qui reste à prouver, le patron du Quai « prend la main » sur les dossiers africains, Bourgi n’a aucun avenir sur l’échiquier qui fut si longtemps son bac à sable. Et il le sait.

charafzino: Pourquoi M. Bourgi dit-il avoir été humilié?

Par tradition, par tempérament, voire par souci tactique, Robert Bourgi tend à marier dans ses propos le politique et l’affectif. D’où ce luxe de détails, parfois cocasses, parfois dérisoires, dans le récit livré au JDD. La thématique de l’humiliation appartient à ce registre. Elle renvoie en outre à la « communauté de destin » avec Sarkozy, qui a connu lui aussi une âpre traversée du désert après l’échec de l’aventure présidentielle de Balladur.

A en croire Bourgi, « Sarko » lui aurait un jour confié: « Tu as été humilié, je l’ai été aussi. Mais on les aura. » S’il n’est pas apocryphe, le propos faisait alors référence à l’éviction de Bourgi par Villepin. Plus tard, il y aura bien d’autres « humiliations ». Pour n’en citer qu’une: l’avocat a disparu, à la demande de Juppé selon toute vraisemblance, de la liste des personnalités invitées à accompagner Sarkozy à l’investiture du nouveau président ivoirien Alassane Ouattara, en mai dernier.

juliette: 1. Ces accusations nuisent-elles aussi au président de la République? 2. Ces accusations profitent-elles aux dirigeants africains?

Acte 1. A première vue, non. Puisque le chef de l’Etat apparaît en filigrane dans le costume du chevalier blanc censé avoir rompu avec les turpitudes de la Chiraquie. Mais cet apparent bénéfice me semble hasardeux et fragile. Nicolas Sarkozy est un pur produit du système Pasqua-Chirac. Parrainage acrobatique sur le front africain. L’Elysée aura bien du mal à convaincre que, avec l’arrivée de Sarko au « Château », nous serions passés tout soudain, comme dirait Jack Lang; « de la nuit à la lumière ».

Pour danser le tango postcolonial, il faut être deux

Acte 2. Certainement pas. Les plus exposés peuvent pousser des cris d’orfraie: si le récit de Bourgi est, fût-ce en partie, conforme à la vérité, ils apparaîtront comme les complices actifs d’un système funeste. Pour danser le tango postcolonial, il faut être deux…

charafzino: pourquoi le candidat Sarkozy s’est-il rendu au Gabon pour rencontrer Omar Bongo quelques temps avant son élection en 2007?

Par passion pour l’art africain. Non, je plaisante. Au demeurant, ce passage, dont sauf erreur les sarkozystes ont au moins un temps contesté la réalité, relevait d’une figure de style classique de toute campagne présidentielle. Alors ministre de l’Intérieur, Sarkozy s’était rendu à Bamako et Cotonou, porteur d’ailleurs d’un message de rénovation prometteur. A l’époque, il était question d’en finir avec ces « émissaires officieux qui n’ont d’autre mandat que celui qu’ils s’attribuent ». Au passage, Ségolène Royal, native du Grand Dakar, avait elle aussi sacrifié au voyage initiatique pré-électoral.

S’agissait-il seulement, pour Sarkozy, de rendre visite au « doyen » Omar Bongo, de solliciter les conseils d’un vieux sage, fin connaisseur des arcanes politiques françaises? Ou aussi de « relever les compteurs »? Je l’ignore. Ce que je sais, en revanche, c’est que le format du premier voyage du président Sarkozy en terre d’Afrique (fin juillet 2007) a quelque peu terni son serment rénovateur. Passons sur l’escale libyenne, dictée par le dénouement imminent de l’affaire des infirmières bulgares. Dakar? Classique et logique. Mais le Gabon, ce musée vivant de la Françafrique… Lors d’un « off » de fin de journée, j’avais eu à l’époque un échange assez vif avec Nicolas Sarkozy, que je raconte dans un ouvrage paru l’an dernier chez Armand-Colin, et intitulé « L’Afrique en face ». Et hop! Un petit coup de pub rétrospectif au passage.

Christophe du LOT: Je trouve curieux que le nom de Le Pen sorte, après que les analystes politiques ont expliqué que la dénonciation de Chirac et de Villepin pouvait profiter au FN et non directement à Sarkozy.

Et pourtant… J’ai la certitude que, dans sa grande sagesse, le madré Bongo a dispensé ses largesses du PS au Front National, même si sa générosité très calculée a prioritairement bénéficié à la nébuleuse néo-gaulliste. Ce qu’il suggère d’ailleurs à demi-mots dans un livre d’entretiens à clés paru en 2000 chez Grasset, et intitulé « Blanc comme Nègre ». Et que deux membres de son entourage m’ont confirmé sous le sceau de l’anonymat.

Son repentir est un tantinet tardif, et singulièrement sélectif

Le doyen Omar entretenait au demeurant des relations cordiales avec Jean-Marie Le Pen, dont il appréciait l’abattage et les talents de bateleur d’estrade. La vivacité de la réaction du président d’honneur du FN aux accusations de Robert Bourgi trahit à mon sens une gêne profonde. Il sera délicat, tant pour sa fille que pour les caciques du PS, d’exploiter durablement le réquisitoire de l’avocat sarkozyste. Gare aux retours de bâton. Pour avoir un peu exploré les « légions blanches » de quelques potentats africains (à commencer par Bongo et Gbagbo), je sais qu’on y croise au moins autant d’aventuriers venus de l’extrême-droite que d’hommes supposés de gauche. Ou de gôche s’agissant de Roland Dumas. Cela posé, il est exact qu’à ce stade, Marine Le Pen apparaît comme la principale bénéficiaire d’un déballage qui dope son discours sur les « tous pourris ».

Désiré: Robert Bourgi croit-il bien faire en étalant maintenant tout le mal qu’il a fait à l’Afrique? Est-ce pas une manière de régler le compte à Sarkozy car j’imagine mal que ces financements occultes s’arrêtent brutalement? Sarkozy n’a t’il pas limogé son secrétaire d’état à la coopération pour plaire à Bongo?

Si Robert Bourgi règle ses comptes, ce n’est pas avec Sarkozy, qu’il épargne pour l’heure avec une touchante obstination, mais bien avec son ex-intime Villepin et avec la Chiraquie. Son repentir est un tantinet tardif, et singulièrement sélectif. De même, il est exact que « l’homme de l’ombre » s’est brûlé au soleil des médias pour se vanter d’avoir été le porte-flingue de « Papa Bongo » lors de l’éviction de Jean-Marie Bockel, coupable d’avoir prétendu « signer l’arrêt de mort de la Françafrique ».

n00w: Pourquoi un type qui fait du business et qui croque de quoi gagner sa vie chichement se met d’un seul coup à tout balancer? Ne serait-ce pas pour lui une façon de se protéger contre une menace qui pourrait peser?

La question du « timing » est évidemment cruciale. Sans céder à une névrose complotiste en vogue, on ne peut que constater la concomitance entre cette sortie à grand spectacle et le calendrier judiciaire.

En plein procès Chirac et à trois jours du verdict en appel du procès Clearstream, qui pourrait blanchir pour l’essentiel Villepin. Comme je le suggère dans une réponse antérieure, il est très probable que Bourgi, qui redoute de disparaitre de la scène, allume ainsi des contre-feux et rappelle à qui de droit la persistance d’une capacité de nuisance, fût-elle résiduelle. Quant à savoir si Me Bourgi, cet avocat qui ne plaidait jamais, vivait « chichement »… Quelques témoins jurent l’avoir vu garer sa Ferrari dans le cour de l’Elysée. Et il lui arrivait de quémander auprès de « Papa Bongo » une rallonge, invoquant notamment les frais liés à son statut de tuteur légal d’une fille née de la liaison entre Omar Bongo et Chantel Myboto, héritière d’un cacique du Parti démocratique gabonais, l’ex-parti unique, saisi en 2005 par le démon de la dissidence.

bribelle: Je ne comprends pourquoi Mr Bourgi serait un émissaire officieux de « la Sarkozie » en Afrique!

Il l’était. Tenons-nous en aux faits. Fin septembre 2007, fraîchement élu, Sarkozy épingle en personne au revers du veston de Bourgi les insignes de chevalier de la Légion d’honneur. Dans son discours, fort élogieux, le chef de l’Etat dit « pouvoir compter sur [ta] participation à la politique extérieure de la France, avec efficacité et discrétion ». Pour l’efficacité, les paris sont ouverts. Pour la discrétion, c’est raté. De la sorte, Sarkozy remet en selle un émissaire dont l’influence s’étiolait sous Chirac. Du fait notamment de son divorce avec Villepin, en 2005.

La question du « timing » est évidemment cruciale

Dès lors, Bourgi va « initier » aux mystères du bois sacré subsaharien le président, et plus encore le secrétaire général de l’Elysée de l’époque, Claude Guéant, saisi par l’Afrique comme Le Trouhadec le fut par la débauche. Enfin, Bourgi a convoyé des messages et joué un rôle -moins décisif qu’il le prétend d’ailleurs- dans une tentative de rapprochement entre Paris et l’Ivoirien Gbagbo. De même, il a parfois figuré sur la liste des invités officiels de l’Elysée lors de voyages africains. Pour ne citer qu’un exemple, je l’ai vu à Brazzaville à l’arrivée de l’avion de Sarkozy. Pour l’anecdote, il se tenait alors au côté de Bruno Joubert, ce conseiller Afrique du « Château » dont il obtiendra à l’usure la tête. Et qui sert aujourd’hui comme ambassadeur de France à Rabat (Maroc).

wilfried125: Bonjour, comme il n’y a pas de preuve quelle peut être la suite de cette affaire en terme juridique?

Question pertinente. En l’absence, par exemple, de reçus, de pièces comptables ou de bordereaux de virements bancaires -là est tout le charme de la mallette-, l’instruction ne pourrait s’appuyer que sur des aveux, improbables, et des témoignages, forcément fragiles.

toto: Bourgi lui-même risque-t-il d’être inquiété par la justice?

En théorie, il peut l’être. Encore faut-il pour cela que les plaintes déposées -notamment par des ONG de type Sherpa ou Transparency International- soient, sur le modèle de l’affaire dite des « Biens mal acquis », jugées recevables. En clair que le Parquet, soumis à la tutelle du pouvoir politique, n’entrave pas la procédure. A ce stade, il ne semble d’ailleurs pas particulièrement pressé d’engager les opérations. Peut-être devra-t-il s’y résoudre, notamment si l’émoi suscité par l’affaire perdure ou s’amplifie.

Maints acteurs politiques, notamment au sein du PS, réclament la création d’une commission d’enquête parlementaire. Requête fondée à coup sûr, mais dont le succés interdirait l’engagement simultané d’une instruction.

Avicenne: Est il vrai que Karim Wade a sollicité Robert Bourgi pour faire intervenir l’armée Française à Dakar, lors des manifs de Juin dernier à Dakar?

Bourgi le jure. Les Wade père et fils le nient. Une certitude: le lien, hier très privilégié, entre le tandem Abdoulaye-Karim et « l’ami Robert », natif de Dakar, rejeton d’une fameuse dynastie libano-sénégalaise, n’a cessé de se dégrader au fil des mois. Les affirmations de Bourgi lui ont porté le coup de grâce.

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