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Analyse de la décision de la Cour constitutionnelle en date


I-Décision du 31 Octobre 2011

Par requête en date du 14 octobre 2011 reçue au Greffe de la cour constitutionnelle le 19 octobre 2011, le CDJ et l’UPG ont demandé à la cour constitutionnelle d’annuler les décisions de la CENAP prises les 3 et 6 octobre 2011.

A-Fondement de la demande des requérants.

La CENAP a pris le 3 octobre 2011 la décision portant nominations des présidents des commissions électorales locales et le 6 octobre 2011 la décision portant fixation de la date des élections législatives au 17 décembre 2011.

Ces deux décisions de le CENAP ont été prises en application de l’ordonnance N°009/PR/2011 du 11 aout 2011 modifiant, complétant et abrogeant certaines dispositions de la loi N° 7/96 du 12 mars 1996 portant disposition communes à toutes les élections politiques.

Or, le 6 octobre 2011, il  a été établi sans aucun doute possible que ladite ordonnance n’était pas encore publiée (voir les sommations interpellatives par voie d’huissier).

B- La règle de droit.

L’article 52 in fine de la constitution dispose que : «  les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication ».

Cela signifie que l’existence juridique d’une ordonnance commence avec sa publication. En d’autres termes, tant qu’une ordonnance n’est pas publiée, elle n’existe pas juridiquement. Ce qui signifie également que c’est uniquement la publication qui confère à l’ordonnance son existence juridique.

C- La décision de la cour constitutionnelle.

La cour constitutionnelle a décidé que : « …il ressort de l’instruction que l’ordonnance querellée a été publiée le 5 octobre 2011 ainsi que l’atteste le bordereau de livraison versé au dossier ; que dès lors, la simple transmission formelle de cette ordonnance à la commission électorale nationale autonome et permanente par le Gouvernement le 12 aout 2011 ne vaut pas publication au sens des dispositions sus rappelées de l’article 52 de la constitution »

A partir de ce raisonnement, la cour constitutionnelle a considéré que la décision de la CENAP du 3 octobre devait être annulée parce qu’à cette date l’ordonnance n’était pas encore publiée. Mais la cour a considéré toutefois que  cette ordonnance a été publiée le 5 et la preuve de cette publication est attestée selon elle par le « le bordereau de livraison  versé au dossier».

 

D- Observations

 La publication consiste dans le fait de rendre public quelque chose, de porter quelque chose à la connaissance du public.

L’article 52 in fine de la constitution dispose clairement que les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication au journal  officiel ou dans un journal d’annonces légales. Cet article ajoute qu’en cas d’urgence la publication de l’acte peut se faire par tout moyen.

 Cela signifie  que la publication est le seul moyen par lequel une ordonnance entre en vigueur. En temps normal, cette publication se fait par le Journal Officiel ou par un journal d’annonces légales. Mais en cas d’urgence, cette publication  peut ne pas se faire par le Journal Officiel ou par un journal d’annonces légales, mais par tout moyen susceptible de porter à la connaissance du public l’ordonnance  considérée.

 En décidant que la publication de l’ordonnance querellée est établie par  un « bordereau de livraison »,  la cour constitutionnelle aurait dû  au préalable démontrer en quoi ce bordereau de livraison  a  effectivement porté l’ordonnance querellée à la connaissance du public  gabonais en lieu et place du Journal officiel ou d’un journal d’annonces légales.

Mais elle ne l’a pas fait.

 Or, il est établi  sans aucun doute possible que jusqu’au 12 octobre 2011 l’ordonnance querellée n’était disponible nulle part pour le public. Ce qui signifie clairement que ladite ordonnance n’était pas du tout publiée à cette date, soit une semaine après la date du 5 à laquelle la cour prétend que « le bordereau de livraison » atteste de la publication de l’ordonnance querellée.

Il est établi, que ce soit en droit interne ou en droit international des droits de l’Homme, qu’une loi n’est applicable qu’à compter de son entrée en vigueur, c’est-à-dire à compter de sa publication.

En conséquence, la cour constitutionnelle, en acceptant l’application de l’ordonnance querellée, alors qu’elle n’était pas encore entrée en vigueur, a violé cette règle universelle.

D’autre part, il est important de faire observer que l’article 85 de la constitution oblige la cour constitutionnelle, lorsqu’elle est saisie d’un recours, à respecter la procédure du contradictoire.

La procédure du contradictoire ou la contradiction est connue en droit interne sous le nom des droits de la défense qui sont d’ailleurs garantis par la constitution.

 En droit international des droits de l’Homme, cette procédure s’appelle le droit à un procès équitable. Il s’agit d’un droit fondamental, inviolable et inaliénable.

Ce droit est multiple et divers. Nous allons en examiner certains aspects que nous considérons que la cour constitutionnelle a violé.

1-Le droit à un procès équitable oblige le juge, quel qu’il soit, à entendre les parties avant de prendre sa décision.

La cour constitutionnelle n’a jamais entendu  le CDJ et l’UPG avant de prendre sa décision du 31 octobre 2011.

Apres le dépôt de leur requête le 19 Octobre 2011, les requérants ont été surpris de recevoir à leur siège la notification de la décision de la cour qui a été rendue le 31 octobre 2011.

Or, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples,  qui fait partie du Préambule de la constitution gabonaise,  considère que le droit à être entendu équitablement par une juridiction est un droit fondamental.

En rendant sa décision, sans entendre le CDJ et l’UPG, la cour constitutionnelle a violé les dispositions de la Charte.

2-Le droit à un procès équitable oblige également le juge, quel qu’il soit, à soumettre aux parties au procès tout élément qu’il a relevé d’office.

La Charte dispose en effet qu’un procès équitable est fondé sur : « la possibilité de bien préparer sa défense, de présenter ses arguments et des éléments de preuve et de répondre aux arguments et aux éléments de preuve de l’accusation ou de la partie adverse »,

La cour constitutionnelle a fondé sa décision du  31 octobre 2011 sur l’existence d’un« bordereau de livraison versé au dossier », sans le soumettre préalablement  à l’appréciation des requérants  d’autant que ceux-ci ne savent même  pas comment elle se l’est procuré.

Elle a ainsi violé le droit à un procès équitable du CDJ et de l’UPG.

3-Le droit à un procès équitable exige que la juridiction qui rend la décision soit une juridiction indépendante.

La question est de savoir si la cour constitutionnelle peut être considérée comme une juridiction indépendante.

Selon les critères de la Charte Africaine des droits de l’Homme et des Peuples, aucun individu ne peut être nommé à des fonctions judiciaires s’il ne justifie pas d’une formation et de qualifications juridiques  suffisantes lui  permettant de remplir convenablement ses fonctions,

Il en résulte qu’une personne nommée juge en dehors de ce critère ne pourra jamais agir de manière indépendante et ne sera mue que par la reconnaissance qu’elle estime devoir à son bienfaiteur qui l’a nommé.

Question : tous les membres da la cour constitutionnelle remplissent-ils ce critère ?

IL est établi sans aucun doute possible que tous les membres de la cour constitutionnelle n’ont pas une formation de juriste. Ce manquement contrevient  à ce critère d’indépendance tel que prévu par la Charte.

Selon la Charte, le critère d’indépendance tient aussi au mode de nomination du juge. Les membres de la cour constitutionnelle sont tous nommés par les dirigeants du parti au pouvoir : le Parti Démocratique Gabonais (PDG).

 Ainsi la Présidente de la Cour constitutionnelle est nommée par le Président de la République qui est aussi le Président du PDG. Et les autres membres de la cour sont nommés par le Président du Sénat et le Président de l’Assemblée nationale, tous membres dirigeants du PDG.

Par surcroit, la Présidente de la cour jouit d’un statut particulier. Elle a des liens matrimoniaux avec  le Président de la République. En effet, la Présidente de la Cour constitutionnelle a vécu une union avec feu le Président Omar Bongo, et de cette union sont nés des enfants qui sont les frères de l’actuel Président de la république, Ali Bongo, lui même également fils d’Omar Bongo.

En Cote d’Ivoire, l’indépendance du président du Conseil constitutionnel avait été mise en doute, à juste titre, au motif qu’il était un proche du Président sortant Laurent GBAGBO. Le reproche était fondé sur une amitié présumée.

En l’espèce, il s’agit carrément de liens de famille. Ce qui fait que l’indépendance que la Charte exige des juges vis-à-vis de l’Exécutif n’est absolument pas respectée. La présidente de la cour  va d’ailleurs jusqu’à accompagner le Président de la république dans son voyage pour  le conseil des ministres décentralisé qui a eu lieu à Franceville. Pour la réussite de cet évènement, elle n’a pas hésité à organiser publiquement des réunions pour qu’un accueil chaleureux soit réservé au Président de la République, jouant ainsi le rôle d’un  militant très actif du PDG.

4-Le droit à un procès équitable selon les dispositions de la Charte repose enfin sur la possibilité d’un recours devant une autre instance contre la décision que l’on conteste.

Or, la cour constitutionnelle est en amont et en aval des élections. Ses décisions ne sont  susceptibles  d’aucun recours et s’imposent en l’état aux pouvoirs publics. Ce qui en fait une instance totalitaire, inconcevable dans un système démocratique.

Paulette Oyane Ondo
Avocate et députée gabonaise

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