Les heurts s’enchaînent à Dakar. Mercredi soir, c’est l’Université Cheikh Anta Diop, au centre de la capitale sénégalaise, qui était le théâtre d’affrontements entre les forces de l’ordre et des étudiants. Ils protestaient contre la mort, la veille, de l’un des leurs lors de la dispersion d’une précédente manifestation. La mort de ce jeune homme, qui aurait été renversé par une voiture de police, porte à cinq le nombre de victimes des heurts. Un bilan lourd pour un pays peu habitué aux violences politiques.
La colère des étudiants et d’une large partie des Sénégalais fait suite à la décision d’Abdoulaye Wade, 86 ans dont douze passés au pouvoir, de se présenter à sa succession moyennant un tour de passe-passe constitutionnel lors du scrutin du 26 février prochain. Le président se dit malgré tout serein, réduisant la contestation à une simple «brise». «Une brise est un vent léger qui secoue les feuilles des arbres, mais elle ne devient jamais un ouragan», a-t-il expliqué.
Son entourage mise sur un essoufflement des manifestants. Le Mouvement du 23 juin (M23), qui regroupe les partis politiques d’opposition et la société civile, a comme seul mot d’ordre l’hostilité à une nouvelle candidature Wade et il tarde à rebondir. Ses responsables promettent une nouvelle stratégie pour les jours à venir mais ils peinent à définir un objectif précis.
Les divisions au sein du M23, composé de plusieurs leaders eux-mêmes candidats à la présidentielle, se font plus patentes. La campagne, qui commence officiellement dimanche, ne devrait pas arranger les choses.
Pour Abdoulaye Wade, les soucis se concentrent paradoxalement hors du Sénégal. Washington a ainsi très clairement exprimé son mécontentement face à la tournure prise par les événements dans un pays considéré comme l’une des plus stables démocraties d’Afrique.
«L’attitude digne d’un chef d’État serait de céder la place à la prochaine génération. La démocratie sénégalaise est assez mûre pour se tourner vers la génération suivante», a réaffirmé lundi Victoria Nuland, la porte-parole du département d’État américain.
Positions tranchées
La France, ancienne puissance coloniale, est longtemps restée plus réservée, voire conciliante. Mais mercredi, le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, s’est fait plus direct en demandant, lui aussi, que «le passage de générations soit organisé», ajoutant regretter que «certaines sensibilités ne soient pas représentées» au scrutin – allusion au rejet de la candidature du célèbre chanteur Youssou Ndour.
Ce duo accentue l’impression que l’Occident prend ses distances avec le vieux président. Un coup dur pour Abdoulaye Wade, qui durant ses quarante années d’opposition passait pour le favori des capitales européennes. La presse ne s’y est pas trompée. «La France ne veut plus de Wade», «Sarkozy liquide Wade», «Après les États-Unis, la France lâche Wade», titraient jeudi les quotidiens.
Mercredi, Dakar a réagi par la voix du ministre des Affaires étrangères, Madické Niang, qui a qualifié les recommandations internationales de «diktat». «Le vote ne se fera ni aux États-Unis, ni en France, ni ailleurs», a-t-il dit. Pour Abdoulaye Wade, ces pressions sont d’autant plus délicates qu’il ne pourra sans doute pas compter sur un soutien sans faille de ses pairs africains.
Au cours des dernières années, le président a multiplié les positions tranchées, comme en Libye ou en Côte d’Ivoire, n’hésitant pas à s’aligner sur les points de vue occidentaux, quitte à choquer certains grands d’Afrique.
Isolé, Abdoulaye Wade doit désormais jouer de son seul talent politique pour convaincre le pays et l’étranger de sa bonne foi. L’Union européenne a déjà fait savoir qu’elle surveillerait de très près le déroulement de l’élection.
Mis à jour le 03/02/2012 à 09:16 | publié le 02/02/2012