spot_imgspot_img

L’Émergence est-elle devenue autre chose qu’un slogan?

Il y a un peu plus de 3 ans, apparaissait au Gabon une notion, sous forme de slogan, qui laissa longtemps l’homme de la rue interloqué. Le Gabon allait accéder à “l’Émergence”. Personne alors n’avait la moindre idée de ce que recouvrait ce concept et personne, du reste, ne crut à son arrivée qu’il s’agissait d’autre chose que d’une opération de communication politique.

Dans un pays figé par plusieurs décennies d’engourdissement politique et économique, le décès d’Omar Bongo Ondimba fit l’effet d’un ciel de plomb qui tombe sur la tête des gabonais. Non pas qu’on le pensait immortel, mais personne ne voulait vraiment se projeter vers ce qui se passerait ensuite. La période troublée, pré et post électorale, la redistribution frénétique des cartes entre les diverses personnalités politiques et l’explosion des égos durant quelques semaines semblait avoir balayé toute la sérénité qui caractérisait le citoyen gabonais. Tout devenait possible, le meilleur peut-être, le pire, sûrement.

La victoire, contestée mais avérée d’Ali Bongo n’a pas, non plus, rassuré les gabonais. Non parce qu’il était le fils de son père, ce qui pouvait passer comme une constante politique du moment, mais parce qu’il semblait prêt à tout bouleverser, arborant des mots et des idées qui allaient à l’encontre du consensus, de la stabilité et de la continuation.

En octobre 2009, en fonction de ses idées politiques, de son ethnie, hélas, et de son milieu social, chacun y allait de son interprétation, mais aucun n’était vraiment rassuré et enthousiaste. L’Émergence était déjà dans toutes les bouches, agaçant les oreilles des uns, surprenant les autres.

Prise d’abord comme une promesse de richesse, beaucoup pensèrent que le nouveau “Boss” allait ouvrir la corne d’abondance et chacun dénombrait dans son fort intérieur les proches qui pourraient l’introduire auprès du nouveau maître des lieux afin d’aller percevoir son dû. Las ! Rien ne se passa comme prévu. Petit à petit l’Émergence prenait forme et ses bienfaits s’éloignaient aussi vite du présent que le mot était apparu. C’était pour dans 15 ans. Deux septennats en fait. Or, au Gabon, si on accepte assez facilement l’idée que Dieu peut rendre au centuple ce que l’on a donné sur Terre, on a compris depuis longtemps que ça ne fonctionnait pas ainsi avec les hommes politiques.

La brutalité de certaines mesures, l’éviction rapide des anciens barons, certains du moins, le changement de ton de la présidence, beaucoup moins bon-enfant qu’auparavant, et comble de traitrise, l’impossibilité d’aller chercher son enveloppe sur la base d’une simple demande d’audience, a fini de convaincre la population que tout avait quand même changé. Alors seulement, certains commencèrent à essayer de comprendre ce qu’était l’Émergence.

Qu’est-ce que l’Émergence ?

L’Émergence économique est complexe et multiforme. Elle dépasse la simple accélération de la croissance pour embrasser de profondes transformations économiques et technologiques. Pourquoi certains pays réussissent et d’autres échouent? Pourquoi la Malaisie a réussi à émerger et non la RDC pourtant riche en ressources naturelles? Parce qu’elle impacte sur la nature même des normes et valeurs sociales en vigueur, du fonctionnement des organisations publiques, du cadre réglementaire, des procédures et des politiques publiques.

En observant un pays qui y est parvenu, on comprend comment un leadership politique efficace peut émerger dans un pays, réussir le changement institutionnel et, s’appuyant sur une administration publique performante, mettre en place les bonnes politiques (amélioration du cadre des affaires, développement du capital humain, encouragement à l’adoption des valeurs positives, appropriation de la technologie, promotion du partenariat public-privé et développement de grappes industrielles tournées vers l’exportation) susceptibles de mener vers l’Émergence économique.

Appliquée au Gabon, la recette peut faire rêver. Mais comment convaincre tout un peuple, en outre conservateur, que chacun de ces paramètres qu’il sait défaillant, peut devenir performant en quelques années ? Le leadership politique ? Il fût imposé et non choisi, quoi qu’on en pense. La performance économique ? Cela demanderait de se mettre à travailler. L’État de droit ? C’est une notion si nouvelle que même les juges ont du mal à deviner comment y parvenir. La concurrence assainie ? Elle imposerait d’abandonner la confortable situation de rentier et de se jeter dans une bataille hasardeuse. La limitation de l’intervention de l’État ? Il faudrait se résoudre à ne plus s’enrichir grâce aux marchés publics. Des normes de qualité internationales ? Il faudrait apprendre, se former, devenir accueillant, justifier de la qualité de son travail. Une administration compétente et tournée vers le privé ? Il faudra d’abord la réveiller…

Bref, la nouvelle équipe mise en place à la présidence semblait convaincue qu’elle allait pouvoir faire passer le Gabon du stade d’anté-émergent, qui cumule des handicaps à tous les niveaux, à celui d’émergent.

Trois ans plus tard…

En trois ans, les questions se sont faites moins effrayantes et en fonction de la qualité de survie de chacun, les opinions se sont forgées. Le Gabon, sur bien des points, a changé de visage. Malgré une communication défaillante, pour ne pas dire inexistante, de la part des dirigeants sur l’évolution de leurs travaux, chacun doit reconnaître que les routes avancent dans le pays, que la notion d’hygiène commence à devenir une réalité, qu’un certain assainissement économique a eu lieu, avec beaucoup de douleur parfois, qu’il existe une volonté de changer certains handicaps qui semblaient immuables. Chacun jugera de son niveau de satisfaction ou de déception, mais le Gabon de 2012 n’est plus celui de 2008. Même l’extrême indolence de l’administration, certes toujours présente dans bien des ministères, paraît ébranlée, et il n’est pas rare de voir des fonctionnaires travailler et ne plus s’en cacher. Dans le domaine des finances en particulier, celles de l’État s’entend, il est clair que la compétence a pris le dessus sur le laisser aller.

Les objectifs étant fixés à 2025, il serait vain de vouloir tirer un bilan définitif en pleine période de mutation. Pourtant, une chose est incontestable : tous les secteurs dont on attend des transformations profondes (et positives si possible) ne vont pas au même rythme vers leurs objectifs d’efficacité. Une carte des projets de l’Émergence existe, très bien faite au demeurant. On peut y voir que toutes les promesses sont planifiées et que ces projets s’étendent à tout le pays. Même en faisant preuve de pessimisme, il apparaît clairement que dans quelques années, le Gabon disposera d’atouts nouveaux, parfois originaux, pour prétendre à une convergence économique avec les pays industrialisés. Mais…

Mais le Gabon est déjà, et depuis longtemps, un pays à revenu intermédiaire, c’est à dire que son PIB correspond à une richesse relative de la population la classant dans les classes moyennes au niveau international. Ce serait sans doute vrai aussi pour les gabonais si les richesses produites par le pays étaient à peu près équitablement réparties, ce qui est loin d’être le cas. Le Gabon vit comme un pays pauvre. Et ce ne sont pas les 150 000 F mensuels établis comme un revenu minimum pour un salarié fin 2009 qui peuvent changer quoi que ce soit dans un pays où l’inflation réelle, quoi que disent les chiffres, est inquiétante. La plupart des prix ont doublés en 3 ans, sauf ceux qui servent aux indicateurs économiques. Se loger est devenu un problème dramatique, se nourrir commence a être compliqué sauf à se contenter de racines et de féculents, et si la CNAMGS permet enfin aux plus pauvres et aux agents de l’État de se soigner convenablement, ce n’est pas encore le cas pour les salariés du privé et moins encore pour ceux, innombrables, de l’informel. On ne parle même pas des chômeurs, bien plus nombreux que les chiffres officiels l’annoncent.

L’indice de développement humain (IDH) du Gabon, très moyen, n’a pas progressé, celui de “Doing Business” n’a progressé que de 4 points et laisse le Gabon dans le peloton de queue mondial. Quant à l’Indice de gouvernance, il n’est guère plus glorieux. Or, on ne peut parler d ‘Émergence que lorsque la plupart des critères sociaux, politiques et bien entendu économiques sont dans le vert. Devenir plus riche ne fera pas nécessairement du Gabon un pays émergent.

L’Émergence de la classe politique est sans doute le problème qui sera le plus difficile à résoudre. Pour le moment, elle est essentiellement composée de ce que le Gabon produit de plus incompétent comme citoyens. La plupart n’ont pas l’expertise, ni la volonté, pour juger des dossiers qu’on leur demande de traiter. Que ce soit dans l’opposition déclarée ou dans l’immense fourre-tout de la majorité, on trouve principalement des vanités à satisfaire, du clientélisme à outrance, des professionnels de la corruption et de l’affairisme, parfois même des illettrés. Tous considèrent la politique comme une rente et il ne leur viendrait pas à l’idée de devoir un jour laisser leur place à un autre. C’est un jeu d’enfant de les piéger sur leurs capacités logiques, souvent même sur leur niveau de français. Nombreux sont ceux qui n’ont jamais travaillé et sont convaincus qu’ils n’auront jamais à le faire. Les exceptions sont rares et remarquables, mais elles sont loin de faire le poids face à l’inertie que constitue cette masse ignorante.

Et l’environnement ?

Reste l’environnement, un élément central du discours présidentiel et gouvernemental. Là aussi, il serait mal venu de ne pas reconnaître les efforts déployés, et certaines réussites, pour parvenir à réaliser les objectifs du Gabon Vert. Dans ce domaine en particulier, le temps nous dira si la politique menée porte ses fruits mais certains détails sont tout de même troublants. Les plus gros investisseurs, tout du moins ceux qui sont mis en avant, sont avant tout des producteurs de fertilisants chimiques, comme Olam, des pétroliers dans une moindre mesure, et quelques acteurs de second ordre financier. Développer des plantations géantes d’hévéas et de palmiers à huile a détruit l’Indonésie et causé du tort à d’autres pays asiatiques. On peut au moins se poser la question de savoir s’il en sera autrement ici.

Mais le point le plus gênant dans le choix politique de mettre en avant le Gabon Vert est sans doute le retrait récent, rapide et total de la plupart des pays riches de ces secteurs, ceux sur lesquels le Gabon aura besoin de s’appuyer pour parvenir à l’Émergence. Les USA, la Chine, et de plus en plus clairement l’Europe, abandonnent leurs rêves de protection de l’environnement (certains comme la Chine n’y ont jamais vraiment adhéré) pour se contenter du minimum requis à leur survie. La crise financière dans ces pays leur a fait abandonner toute velléité de lutter contre le réchauffement climatique et ils semblent prêts à s’en accommoder. Dans ce contexte, le Gabon fait un peu office de David s’opposant à Goliath, sauf que dans la vraie vie, c’est Goliath qui gagne en général.

Alors qu’en est-il de l’Émergence fantasmée des premiers mois du septennat d’Ali Bongo Ondimba ? Pour certains, cela n’a toujours été qu’un slogan et le restera sans doute, soit qu’avec ferveur ils n’y croient pas, soit qu’ils n’y comprennent rien. Pour d’autres, la grande majorité, le concept reste à démontrer et les résultats à devenir tangibles, tant une CAN menée à bien et quelques animations populaires ne font pas une politique réussie. Les autres objectifs n’étant qu’en construction ou en projet, le scepticisme reste de mise pour une large part de la population gabonaise. Pour quelques uns, enfin, sans doute ceux qui pensent que l’utopie est réalisable, le chantier est en route et ne pourra plus être arrêté. C’est à ceux-là, peut-être, qu’il faudra dire merci si l’entreprise réussit. En attendant que l’avenir révèle les gagnants et les perdants de ce jeu de (re)construction géant, il semble manifeste que les obstacles sont encore très nombreux, certains semblant même insurmontables…

Exprimez-vous!

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

spot_imgspot_img

Articles apparentés

spot_imgspot_img

Suivez-nous!

1,877FansJ'aime
133SuiveursSuivre
558AbonnésS'abonner

RÉCENTS ARTICLES