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Paulette Oyane : le premier des droits de l’homme, c’est de pouvoir manger à sa faim

Dans une intervention à l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation et de la faim dans le monde, Maître Paulette Oyane, avocate et présidente du Comité des droits de l’homme au Gabon, a donné son analyse sur le désastre agricole gabonais. Une opinion politiquement engagée, certes, mais qui a le mérite de rappeler que la volonté politique est le terreau d’une alimentation saine et suffisante comme celui de la misère et de la faim.

«En dépit des apparences, et abstraction faite des quelques gabonais ayant des revenus élevés leur permettant de s’alimenter à peu près normalement selon leur choix, une immense majorité de gabonais est encore confrontée aux difficultés résultant soit d’une malnutrition, soit d’une sous-alimentation, d’une alimentation insuffisante et inadaptée compte tenu des besoins culturels, ou tout cela à la fois dans certains cas. Une situation insupportable, inacceptable et inadmissible pour un pays comme le nôtre qui était encore auto-suffisant sur le plan alimentaire à la fin des années 1960. Entre-temps, il s’est produit une régression sociale et agricole rondement planifiée pour priver volontairement les gabonais de toute autonomie personnelle, économique et sociale sans autres raisons que le besoin, le plaisir de les rendre dépendant d’un pouvoir politique qui ne prospère que dans la misère et la mendicité qui constituent en eux-mêmes, les murs de fortification de l’inertie du peuple face à la dictature. Car, aussi paradoxal que cela puisse paraître, il faut bien convenir qu’aucun “droit n’a de sens ou de valeur lorsque la faim (et la misère) frappe”, privant ainsi l’être humain de sa possibilité à développer et conserver ses “capacités physiques mentales et intellectuelles”».

Maître Oyane poursuit en rappelant que la situation alimentaire au gabon est loin répondre aux nécessités, au droits de la population : «Combien de nos concitoyens souffrent de la faim ? Combien d’hommes, de femmes et d’enfants du Gabon ont physiquement et économiquement accès à tout moment à une nourriture suffisante, riche et complète? Combien de gabonais, même en ayant de l’argent en poche, n’arrivent jamais à trouver des produits alimentaires disponibles, accessibles, acceptables du point de vue nutritionnel et adaptés quantitativement et qualitativement à leur épanouissement psychosomatique ?»

Après avoir rappelé que le droit à une alimentation saine et équilibrée est un droit fondamental, mis en avant dans de multiples conventions signées par le Gabon, et en particulier une obligation envers les femmes et les enfants, elle énumère les freins, engendrés, d’après elle, par la politique gouvernementale, à la libre jouissance de ce droit. «L’État gabonais viole scandaleusement le droit à l’alimentation lorsque volontairement il refuse de prendre des mesures sérieuses pour lutter contre les dégâts causés à l’environnement dans le cadre de l’exploitation des industries extractives. C’est le cas en l’occurrence de Mounana et de Moanda où l’exploitation de l’uranium et du manganèse a durablement pollué les sols au point où l’eau est devenue impropre à la consommation. À quoi il faut ajouter l’impossibilité d’ériger des plantations dans le secteur. Une rivière comme la Moulili, très riche en poissons il y a encore 50 ans, est aujourd’hui sortie de son lit laissant les habitants de ces zones sinistrées dans l’impossibilité d’assurer efficacement leurs approvisionnements en nourriture adéquate et appropriée.

L’État gabonais viole le droit à l’alimentation lorsque, en conscience, il invite les populations du Woleu-Ntem sinistrées par la mise à mort du Cacao et du Café à céder leurs forêts ancestrales à l’entreprise Olam qui s’accapare de ces terres pour faire la culture de l’hévéa et du palmier à huile – deux industries nocives qui appauvrissent les sols, assèchent les rivières et polluent les eaux – au détriment d’une agriculture alimentaire et vivrière.

L’État gabonais viole le droit à l’alimentation lorsque volontairement il s’interdit de garantir le droit d’accès des populations rurales ou autochtones au sol par des régimes fonciers adéquats. C’est le cas à ce jour des populations Fang et Mpongwé de la rive gauche de l’Estuaire qui ont vu leur cadre de vie incorporé dans le Parc National de Pongara dont la création nie l’existence en ces lieux de populations qui y vivaient au moins depuis le 18e siècle. Au prix de quoi ces populations ne peuvent plus ni chasser dans leurs forêts ancestrales, ni ramasser des coquillages et encore moins faire des plantations qui leur permettraient de satisfaire leurs droits à une alimentation suffisante et culturellement adaptée.»

Ces remarques sont d’autant plus opportunes qu’elles son formulées à un moment où semble se mettre en place une politique agricole d’envergure au Gabon, destinée à revenir à l’autosuffisance alimentaire, bien que, pour le moment, rien n’ait encore dépassé le stade des discours et des promesses. Car ce que révèle cette critique acerbe de Maître Oyane, c’est la primauté des choix politiques sur les aléas de la nature. Sans politique agricole ambitieuse et volontaire, rien ne permettra d’inverser la tendance actuelle.

Maître Oyane délivre à ce sujet un certain nombre de propositions concrètes, qui, sans être d’ailleurs très éloignée des annonces gouvernementales, insiste sur le statut des agriculteurs, indispensable selon elle au redémarrage d’une activité moribonde. Elle propose surtout une vision moins libérale, plus solidaire de la politique agricole qui, selon elle, doit passer par une protection des producteurs gabonais. «Il n’y a pas de fatalité. La possibilité pour chaque gabonaise et chaque gabonais d’avoir accès à la nourriture et manger à sa faim de façon appropriée est possible. La première réflexion qui vient à l’esprit est de dire qu’il suffit de muscler notre appareil productif obsolète et d’accroître ainsi notre capacité de production pour surmonter notre déficit alimentaire. Cela passe naturellement par la réflexion et la mise en mouvement d’une réelle politique agricole conduite par l’État. Celle-ci passe simultanément et compétemment par la création et la valorisation d’un vrai statut de l’agriculteur qui viendrait donner un vrai sens à un ministère de l’agriculture composé quasi-exclusivement de fonctionnaires dont très peu ont mis les pieds dans un champ agricole, alors que le pays n’a pas d’agriculteurs dignes de ce nom. Cela passe aussi par le développement des circuits de crédits pour permettre aux agriculteurs de disposer des outils et des intrants agricoles en vue d’optimiser leur productivité. Mais surtout il faut subventionner nos agriculteurs en faisant en sorte que leur travail soit rémunérateur, qu’ils vivent des revenus tirés de leur travail. Cela permettrait d’endiguer le déversement des invendus (à la traçabilité floue) en provenance d’Europe et d’Amérique latine notamment qui, en raison qu’ils sont subventionnés à coup de millions de dollars par les gouvernements de ces pays importateurs de nourriture chez nous, sont plus compétitifs sur le marché gabonais que les produits locaux, tuant au passage la capacité d’initiative et les énergies locales. Mais cela passe aussi par la construction d’équipements de transport acceptables et fiables pour permettre un approvisionnement régulier et suffisant de la nourriture à proximité des centres de consommation.»

On remarquera que cette déclaration de Maître Oyane, bien que plus radicale dans l’expression, est assez proche des conclusions du forum de la révolution verte en Afrique d’Arusha en Tanzanie le 27 septembre dernier, mais aussi des déclarations du président du Fonds international de développement agricole (Fida), le Nigérian Kanayo F. Nwanze.

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