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Aux sources des crimes dits rituels

Bwiti, Mwiri, Ndjobi, Okukwé, Franc-maçonnerie, faymen et féticheurs urbains, mais aussi promotion des élites autrement que par le mérite, tentative de remontée aux déterminismes des crimes dits rituels, apparus au Gabon avec l’ouverture démocratique il y a une vingtaine d’année.

Dirigée par Jean-Elvis Ebang Ondo, l’Association de lutte contre les crimes rituels au Gabon (ALCR) a dénombré, en 2008, 40 cas d’homicides comportant des ablations d’organes, 42 cas en 2009 et 37 en 2010. En 2011, ces pratiques ont atteint leur pic avec 62 cas recensés. Quel sera donc le score de 2013, année électorale, avec les locales qui seront certainement organisées en mai prochain ? Bien évidemment, l’horrible assassinat du Camerounais Amadou Yogno n’est qu’un signe avant-coureur.

À l’observation, en effet, l’approche d’élections politiques au Gabon s’accompagne systématiquement d’une prolifération des opérations de magie noire avec, nec plus ultra, l’usage du sang ou des organes humains. C’est à cet effet que bien de dépouilles mortelles retrouvées à Libreville et dans certaines villes de l’intérieur du Gabon, comportent des soustractions d’organes, surtout génitaux. Comment donc, en ce début du 3e millénaire, pourrait-on expliquer l’ancrage dans la société gabonaise de pratiques inconnues ou marginales avant la réinstauration du multipartisme, il y a deux décennies à peine ?

Quasi introuvables dans les rites traditionnels du Gabon

Interrogés à ce sujet, de nombreux maîtres ou grands prêtres de rites traditionnels gabonais soutiennent qu’il n’a jamais été question, dans leurs cercles initiatiques, de tuer physiquement un être humain pour accéder au pouvoir social ou spirituel. Que ce soit dans le Bwiti, le Mwiri, le Ndjobi, l’Okukwé et bien d’autres rites du sud Gabon, les cas de «nécrophagie» ne s’observaient qu’à la mort d’un grand maître qui d’ailleurs savait de son vivant qu’il en sera ainsi : après putréfaction de sa dépouille mortelle, un petit cercle de hauts initiés qui détenait seul le lieu de la sépulture, se partageait ses ossements pour en faire de soi-disant puissantes amulettes ou puissants égrégores. Un principe qu’on retrouve, schématiquement, dans le Bièri du nord Gabon. Il n’est nulle part question d’ôter la vie mais seulement d’entretenir des reliques humaines. Ce dont on ne saurait vraiment s’offusquer, du moins pas plus qu’on ne s’indignera pour le Panthéon français qui sert «à la sépulture et au culte des grands hommes de la liberté française» et à «l’esprit» duquel on fait appel «pour commémorer un événement, ou quand on estime l’intégrité de la France en danger». Chacun ses dilections et sa subjectivité civilisationnelles.

Prêtre Bwitiste de notoriété nationale, maitre Atome Ribenga, a confié à Gabonews il y a six mois : «Je me suis préparé à la pétrisse Bwitiste pendant 20 ans et en aucun moment on ne m’a jamais parlé de tuer un être humain, par contre, on m’a donné des connaissances pour permettre d’aider un être humain sans avoir à faire couler une seule goûte de sang. Je l’affirme sans risque de me tromper car je le pratique tous les jours.» En effet, si des cas de mort d’homme ont été enregistrés dans les temples Bwitistes du Gabon, il s’agit bien souvent d’accidents d’initiation, d’overdoses à l’Iboga.

D’ailleurs les organes humains, communément dénommés «pièces détachées», ne restent pas dans les temples de l’arrière-pays. Ils sont bien souvent ramenés en ville dans des glacières, parce que demandés par des ngangas (féticheurs) urbains.

Ngangas urbains et faymen

Dans la plupart des cas, ces ngangas urbains ne tiennent pas leur métier d’une tradition ou de l’apprentissage chez un maître. Bien souvent ce sont des anciens malades qui, par observation, ont appris à soigner le seul mal dont ils étaient atteints mais qui finissent par étendre le catalogue de leurs prestations à des pratiques apprises sur le tas ou alors ils se livrent, par audace et cupidité, à des expérimentations dont ils ont seulement entendu parler, sans en connaître le vrai modus operandi.

Qu’ils viennent de l’intérieur du pays ou de l’étranger, la plupart de ces féticheurs fonctionnent comme des faymen, ces arnaqueurs qui prétendent savoir multiplier l’argent ou qui ont toujours des formules d’enrichissement rapide : il faut frapper fortement l’esprit du pigeon, ce qui permet de le plumer ensuite le mieux possible. Souvent, sachant bien qu’il ne connait rien à l’art de manipuler les forces occultes, le nganga urbain prend les devants et demande quelque chose de compliqué. Un féticheur ayant requis l’anonymat a raconté : «Parfois, afin de pouvoir justifier, à terme, l’échec d’une opération qui a été fortement facturée, nous leur demandons des choses quasi impossibles ou, du moins, que nous les croyons incapables d’effectuer. Par exemple, trouver de l’urine de lion, le tibia d’un Coréen ou un clou de cercueil ayant déjà servi. A notre étonnement, ils ramènent ce qui leur a été demandé.»

Lorsqu’il n’est pas parvenu à se faire élire ou à entrer au gouvernement, le client se fait ensuite raconter qu’il n’a certainement pas respecté telle ou telle consigne. Il n’est donc pas garanti qu’on gagne une élection ou qu’on entre au gouvernement en faisant tuer et dépecer un être humain. Ainsi qu’on pouvait le lire sur une affiche d’une campagne en Ouganda contre les sacrifices d’enfants, «Le sacrifice d’enfant n’apporte pas la richesse, condamnez cette pratique».

Présupposés métaphysiques, contexte gabonais et promotion des élites

Comment donc expliquer que l’élite locale, puisqu’elle est toujours mêlée à ces affaires morbides, se laisse manipuler par des plaisantins mus par leur seule voracité du lucre et du péculat et, surtout, moins instruits qu’elle.

On n’a certainement pas oublié ce président gabonais qui disait «Je peux faire d’un chien un ministre et d’un ministre un chien». Des niakoués sont en effet devenus ministres tandis que des ministres ont été réduits au néant, malgré qu’ils aient eu le profil de l’emploi. Dans ce contexte qui a tué le mérite et rendait possible même les rêves les plus fous, dans ce contexte où un «chien» peut devenir ministre, tout est permis. Il suffit dès lors, comme dans l’ouvrage de Camara Laye, de capter le «Regard du Roi» et de l’envoûter pour espérer sinon entrer au gouvernement du moins accéder aux sphères les plus hautes de la société.

L’érection des sociétés philosophiques et initiatiques en vivier pour la cooptation des élites administratives et politiques a parachevé l’idée qu’on ne peut devenir quelqu’un qu’en entrant dans ces cercles initiatiques ou en s’appuyant sur les forces occultes. Et même, a-t-on remarqué durant les trois dernières décennies au Gabon, ceux qui s’empressaient d’adhérer à la Franc-maçonnerie, booster social de notoriété publique, et qui n’y trouvaient pas l’ascenseur social escompté, se sont pour la plupart initiés aux rites traditionnels, notamment au Bwiti. L’appartenance à une société secrète et la pratique de la magie noire sont devenues ce qu’il y a de mieux pour tous ceux qui aspirent à occuper le haut du pavé, même lorsqu’ils ont été formés dans les meilleures universités du monde.

À partir de 2009, notamment avec la diffusion sur Internet de la vidéo de l’intronisation maçonnique du nouveau président de la République, dans laquelle les visages de l’élite politique, administrative et entrepreneurial ont été dévoilés au public, la nécessité de rejoindre les écoles de mystère s’est exacerbée au Gabon. Et jamais, le pays n’a autant recruté de francs-maçons et jamais cette confrérie ne s’était autant banalisée. Par voie de conséquence, ceux qui n’y trouveront pas le Saint Graal iront le chercher dans les rites traditionnels ou chez les féticheurs urbains et autres faymen qui les poussent bien souvent aux crimes dits rituels.

Le Gabon est donc revenu à ce qu’Auguste Comte nommait l’âge théologique. Celui-ci est un état mental dominé par la référence au surnaturel, un état où l’on pense que les phénomènes sont produits par l’action directe et continue d’agents surnaturels plus ou moins nombreux. Un âge qui renvoi à l’enfance de l’humanité.

Un autre Etat africain a été ainsi : le Bénin, terre d’origine du Vaudou. Mais, avec l’avènement du multipartisme et de la démocratie dans ce pays, l’élite a révisé ses considérations. Il faut avoir fait des études et avoir surpassé les autres durant celles-ci pour prétendre au moins être au dessus d’eux dans la vie active. Il faut tel parcours, tel nombre d’années de service avant de devenir directeur. Il faut tel cheminement, telles réalisations, tel background avant de se porter candidat à un poste électif. Si tout n’est pas parfait dans ce pays, on y «note un retour progressif et rapide vers la méritocratie», indique un Gabonais ayant fait ses études supérieures au Bénin. Le retour à la promotion par le mérite, le retour des loges à leur rôles initiaux et leur abdication de ce qu’elles sont devenues les centres de gestion des ressources humaines du pays et, bien sûr, la non protection de ceux qui seront reconnus coupables d’homicide, contribueront à éradiquer ce phénomène honteux des crimes dit rituels qui donnent du pays l’image d’un Etat sauvage

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