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Le scan du Gabon et la thérapie proposés par Paul-Marie Gondjout

Paul-Marie-GondjoutIngénieur économiste spécialiste d’économie pétrolière formé à l’Université du Texas et à l’Institut Français du Pétrole, Paul-Marie Gondjout est également élu municipal de Lambaréné et membre de l’Union nationale. Dans un libre-propos écrit en lettres de feu, il livre sa lecture au laser de la gouvernance d’Ali Bongo et débouche sur la proposition d’un plan d’urgence, si différent de l’exigence d’une conférence nationale, pour sortir le Gabon de ce qu’il qualifie de crise mettant en danger «la cohésion nationale». Le texte intégral.

Gabon : Entre la rue et le coup d’État

Entre la rue et le coup d’État, c’est ce que l’on peut retenir du bilan des 42 premiers mois d’Ali Bongo Ondimba à la tête du Gabon et du climat général qui prévaut. « Ô rage, ô désespoir… n’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie !» (In Le Cid). En effet la situation du Gabon est préoccupante et elle ne peut laisser indifférent les acteurs politiques et les partenaires du Gabon car à terme, elle met en danger la cohésion nationale. Il y a urgence à agir.

Le péché originel et la crise

Aujourd’hui, à mi-parcours d’un mandat usurpé grâce à la complicité de la Cour Constitutionnelle et de sa Présidente, de l’appareil militaire et du pouvoir déchu de Nicolas Sarkozy, le Gabon n’a jamais autant fait l’objet de dérision, de moqueries, et de déception à l’intérieur et à l’extérieur du pays, du fait de la gestion cahoteuse du nouveau pouvoir d’Ali Bongo Ondimba, lequel, à peine installé, faisait accuser et mettre en prison un des siens pour, dit-on, tentative de coup d’état. Déjà !

Oui le Gabon est en crise. Nul ne peut en douter. Une Crise de gouvernance et de mœurs politiques. Une crise de confiance à tous les niveaux. Cette crise trouve son origine dans ce qui est le péché originel du régime d’Ali Bongo Ondimba, le coup d’état du 3 septembre 2009 et les tueries qu’il a occasionnées à Port-Gentil par des militaires, envoyés mater dans le sang, la contestation des résultats par les port-gentillais en courroux. La revendication légitime d’André Mba Obame, par une symbolique prestation de serment, de sa victoire de la présidentielle anticipée qui a découlé sur la dissolution de l’Union Nationale, le boycott massif des élections législatives de 2011 et de bien d’autres mesures de restrictions de libertés publiques ou de monarchisation de la République, sont venus ponctuer ce climat politique pesant fait de nombreuses manifestations de rues engendrant dégâts, arrestations, blessés et morts à Libreville.

Problèmes de gouvernance publique

La crise c’est aussi la gouvernance approximative faite de réformes hasardeuses et de pratiques scabreuses de gestion par le pouvoir en place, débouchant sur une déresponsabilisation de l’administration au profit des nombreuses agences créées pour se juxtaposer à elle en raison de la méfiance que lui voue Ali Bongo Ondimba. La mise au point faite par celui-ci devant les responsables de l’administration en mai 2012, n’a fait que renforcer le scepticisme des uns et des autres à l’égard des intentions réelles du Chef de l’Etat et du véritable rôle des agences. L’exemple frappant est l’Agence Nationale des grands Travaux (ANGT) présidée par Ali Bongo Ondimba lui-même et dirigée aujourd’hui par un général britannique à la retraite. Cette agence qui a dépouillé de ses prérogatives l’administration des travaux publics reçoit à elle seule 30 milliards de francs de subvention annuelle de fonctionnement dont l’utilisation finale n’est ni connue et encore moins contrôlée. Grotesque scandale !

D’autres exemples viennent conforter notre propos. Ce sont les financements directs de projets privés par des fonds publics tirées ou non sur le budget de l’Etat depuis 2010, sans contrepartie ni remboursement. Le plus significatif de cette véritable gabegie qui a débuté quelques mois seulement après la prise de fonction d’Ali Bongo est l’achat surprenant pour 100 millions d’euros du palais Pozzo di Borgio à Paris au milieu de l’affaire des biens mal acquis ; elle s’est poursuivie en 2011 par l’octroi de 2,3 milliards à deux hôtels privés dont un est inexistant à ce jour. Que dire encore du financement prévu au budget de l’Etat de la construction de 2 cours de golf pour 4 milliards de francs qui figurent au budget de 2013. Ces pratiques nous édifient, une fois encore, sur les graves carences en matière de gouvernance des finances publiques. Le tout est auréolé dernièrement, par l’exclusion du Gabon de l’Initiative de Transparence des Industries Extractives (ITIE) Publiez Ce Que Vous Payez pour non présentation de ses comptes de revenus pétroliers

Les problèmes de gouvernance économique et la méfiance des entreprises

Les problèmes de gouvernance économique ne sont pas en reste dans le cafouillis de la gestion du pouvoir par Ali Bongo Ondimba. Si le FMI annonce un taux de croissance de 6% en 2013, on le doit essentiellement au maintien de la production pétrolière et des cours des bruts gabonais ; le FMI n’a pas manqué de relever avec insistance cette faiblesse structurelle de l’économie gabonaise tributaire des cours internationaux du pétrole et exposée à leur volatilité.

Cela dénote, s’il fallait s’en convaincre, que malgré les grands effets d’annonce, le Gabon n’a pas encore fait sa mue économique pour s’affranchir d’une économie de rente favorisant l’enrichissement facile et rapide des tenants du pouvoir dont les mauvaises pratiques font de l’économie nationale un jeu de copains coquins pour se partager des prébendes sur fond de méthodes mafieuses, qui ont refroidi nombre d’investisseurs peu enclin à les accepter. Le départ précipité de BHP Billiton, leader mondial dans l’industrie minière, parti pour des raisons mystérieuses participe, on peut s’en douter, de cela.

Les pressantes réclamations dont Total-Gabon a été l’objet de la part du pouvoir pour le règlement d’une discutable facture de 700 millions d’euros (selon la Lettre du Continent) et la saisie arbitraire du champ pétrolier d’Obangué à la compagnie Addax Petroleum sont ici des maladresses qui dénotent de l’incurie d’un pouvoir qui a choisi la méthode du conflit permanent et de la violation de la loi pour s’imposer à tous. Ces procédés ajoutés au refus de l’Etat d’honorer certains de ses engagements vis-à-vis d’entreprises de la place, créent un climat de frustration et de mécontentement dans le milieu du patronat inquiet du climat d’insécurité économique et financière qui se répand progressivement dans le milieu entrepreneurial.

La gouvernance sociale et le ressentiment des populations

Sur le plan de la gouvernance sociale, la sonnette d’alarme est depuis tirée tant les conflits sociaux se multiplient dans les administrations, l’éducation nationale, les universités, les hôpitaux etc. Des grèves récurrentes viennent régulièrement mettre au grand jour, le peu de cas qu’Ali Bongo Ondimba fait de la résolution de ces problèmes qui déstabilisent l’équilibre social, gage de paix. Ali Bongo ne peut faire le choix de la distraction de centaines de milliards de francs pour des futilités, alors que près d’un million de Gabonais (selon les chiffres de l’ONU et du FMI) vivent avec moins de 500 francs CFA (0.75€) par jour (donc en-dessous du seuil de pauvreté), incapables d’assurer un repas décent, de se transporter, de se soigner et de se loger correctement.

On ne peut vouloir laisser s’accroître la paupérisation du peuple sans devoir justifier l’utilisation des deniers publics, dans un pays où l’on ne donne pas d’explications sur un écart d’à peu près 600 milliards de francs, dans l’exécution du budget 2011. La loi de règlement de cette année-là s’est transformée en ordonnance, pour éviter tout contrôle par le parlement. Du jamais vu !

On pourrait en dire bien plus sur la gouvernance d’Ali Bongo Ondimba. La liste est si longue, des récriminations et carences d’un homme qui était prêt à prendre le pouvoir, mais qui a oublié que celui-ci s’accompagnait d’exigences de gestion qui ne s’autorisent pas l’amateurisme et l’impréparation.

A l’analyse, la vérité commande de dire, que ce pouvoir, en plus d’être dangereux pour lui-même, l’est aussi bien pour l’avenir de notre pays. Le Gabon ne peut continuer à souffrir trop longtemps d’un homme, d’un clan, d’un système qui fait passer au second plan, la gestion de l’intérêt général au profit d’intérêts particuliers et personnels.

La colère et le ressentiment des Gabonais sont chaque jour plus perceptibles, tout comme l’est l’incapacité de ce pouvoir de répondre aux vrais attentes d’une population qui subit les vexations et humiliations dues aux coupures d’eau et d’électricité, à la hausse incessante du coût de la vie, aux fausses promesses du gouvernement dont la crédibilité est au plus bas, et durablement entaché vis-à-vis des acteurs sociaux, des investisseurs et des bailleurs de fonds.

N’ayons pas peur de dire, qu’à cause d’une situation devenue critique, et d’un désenchantement quasi généralisé, le pays balance entre la rue et le coup d’état. Et il en sera ainsi, aussi longtemps qu’Ali Bongo Ondimba adoptera un comportement de dictateur, qu’il fera preuve d’arrogance face aux problèmes profonds du Gabon, et que la seule satisfaction de lui-même sera sa priorité.

Il est temps pour Ali Bongo Ondimba d’agir et de ne pas chercher à gagner du temps comme il le fait si bien avec les quelques manœuvres politiques en trompe-l’œil qu’il entreprend avec la classe politique sur la question de la biométrie. Ali Bongo Ondimba n’est pas maître du temps, il devrait arrêter de biaiser. Il sait la situation durablement intenable si les problèmes urgents de la nation ne sont pas réglés, pour trouver un début de solution viable à la crise de confiance généralisée.

Proposition de sortie de crise : le plan d’urgence

Nous ne pouvons rester silencieux face à cette situation au risque d’avoir manqué à un devoir. C’est la raison pour laquelle la réflexion nous conduit à rechercher, comme d’autres citoyens, les voies de sortie d’une situation qui devient chaque jour explosive. La proposition qui suit constitue ce qu’on appellerait Le Plan d’Urgence de Sortie de Crise articulé autour d’un audit international de la crise gabonaise avec d’autres points dont l’urgence commande qu’ils soient évoqués pour s’imposer à l’audit comme solutions nécessaires entre autres :

I. Audit international de la gouvernance démocratique et de la gouvernance économique et social au Gabon ;

II. La réhabilitation de l’Union Nationale ;

III. La transparence électorale ;

IV. La dissolution et le renouvellement du parlement ;

V. Ouverture d’une enquête indépendante sur les tueries de Port-Gentil de septembre 2009 ;

VI. Le départ des 3 derniers anciens membres de la Cour Constitutionnelle encore en fonction et leur remplacement ;

VII. La démission immédiate du directeur de cabinet du Chef de l’Etat et son interdiction de quitter le territoire national.

• Pourquoi un audit et quels avantages apportent ils ? Comme pour une entreprise potentiellement viable mais en difficulté lorsque le management peine à cerner les problèmes de fond qui minent le bon fonctionnement et la rentabilité de l’entreprise l’opinion externe et neutre d’un auditeur vient mettre à jour les raisons de sa mauvaise situation et proposer les solutions pour en sortir. Les profondes difficultés politiques, économiques et sociales dans lesquelles est plongé le Gabon nous interpellent tous pour accepter un œil extérieur qui nous aiderait à nous mettre d’accord afin d’éviter la faillite de notre pays.

L’audit international devra être effectué par un ou plusieurs organismes internationaux indépendants à l’expertise mondialement reconnue. L’audit devra aussi être conduit de manière totalement indépendante de l’Etat gabonais. Le cahier des charges sera établi sur la base d’un consensus entre l’Etat, les partis politiques, la société civile, ainsi que les acteurs économiques et sociaux. Les conclusions et les recommandations de l’audit engageront l’Etat et seront actés pour application.

• Indépendamment de tous les points du plan d’urgence la réhabilitation de l’Union Nationale est urgente et immédiate car, en dissolvant ce parti politique de l’opposition, le pouvoir a trouvé dans la prestation de serment symbolique d’André Mba Obame, un prétexte pour se débarrasser d’un adversaire très gênant, le seul capable de l’inquiéter sur l’échiquier politique. La dissolution de l’UN n’a pas grandi le pouvoir d’Ali Bongo Ondimba car, cette mesure, conjuguée à d’autres, le place au rang des régimes autocratiques qui n’admettent que des oppositions bienveillantes et peu regardantes sur les vrais problèmes de développement et de gouvernance.

Le rapport 2013 de la très respectable organisation indépendante américaine «Freedom House», fondée par Eleanor Roosevelt, confirme ce qui précède en classant le Gabon dans le groupe des pays non libres. Elle avait par ailleurs contesté la désignation du Gabon au sein de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU, pour les mêmes raisons.

• Les résultats de l’audit seront importants pour orienter la résolution des problèmes de la transparence électorale, nœud gordien de la gouvernance démocratique. Pour mémoire, il faut rappeler qu’en raison de son caractère autocratique, le pouvoir a verrouillé le système politique au point qu’aucune alternance démocratique n’est possible au Gabon.

Les élections sont pipées à tous les niveaux du processus électoral, particulièrement en amont de celui-ci, avec un fichier électoral totalement faussé, qui permet au pouvoir de se donner un collège électoral de remplacement, par le truchement d’inscriptions multiples sur les listes électorales, pour découler sur des votes correspondants.

Le processus électoral est aussi verrouillé en aval avec une Cour Constitutionnelle omnipotente et au jugement souvent biaisé, sous la dictée de sa présidente, véritable fossoyeuse de la démocratie gabonaise. Ces deux aspects du système électoral au Gabon suffisent pour maintenir au pouvoir un système archaïque, corrompu et totalement décalé des préoccupations de la population, et qui justifie la caractéristique de démocratie bananière dont est affublé notre pays.

• La dissolution de l’Assemblée Nationale est de toutes les options, pour éviter la faillite politique du Gabon, celle qui revêt le caractère le plus urgent. Si les Gabonais ne se reconnaissent pas en Ali Bongo Ondimba dans leur très grande majorité, ils reconnaissent moins l’actuelle Assemblée Nationale élue par moins de 10% du collège électoral, à la suite du boycott massif des dernières élections législatives de 2011.

La dissolution de l’Assemblée entrainerait de facto, la démission du gouvernement, pour ouvrir la voie à la nomination d’un gouvernement d’union nationale, dirigé par une personnalité de l’opposition. Ce gouvernement sera chargé de gérer et d’exécuter le plan d’urgence jusqu’à l’élection d’un nouveau parlement. Par ailleurs, pour éviter un déséquilibre institutionnel, le Sénat devra démissionner en bloc, pour prévenir l’impossibilité de sa dissolution. Son renouvellement se fera en même temps que celui de l’Assemblée Nationale, impliquant de fait, la tenue préalable des élections locales.

Les risques de l’enlisement

L’application de ce plan d’urgence sera un pas de géant pour commencer à solder l’important déficit de gouvernance qui a entrainé le pouvoir dans une situation à cheval entre la rue et le coup d’état. Après de nombreuses années de gabegie, d’injustice, de captation et de personnalisation à outrance du pouvoir par un clan politico familial, la tentation est énorme pour les exclus et les déçus de celui-ci, d’agir légitimement par d’inavouables moyens, pour se libérer de l’oppression et rétablir des équilibres nécessaires.

Gageons que les tenants du pouvoir auront toute la lucidité et l’intelligence de se donner le choix de la bonne fin, pour éviter que cela ne leur soit imposée. Rappelons pour cela les exemples, des présidents Laurent Désiré Kabila et Henri Konan Bédié, qui, pourtant avertis des forts mécontentements et des velléités affirmées de ceux qui voulaient en finir avec eux, ont fait la sourde oreille. On connait la suite. L’un y laissa sa vie, alors que l’autre eut la chance d’être dans son village, comme par prémonition.

En proposant entre la rue et le coup d’état ce plan d’urgence pour le salut de la nation dont l’audit international est un point majeur, j’ai à cœur que nous nous donnions une chance et plus, pour explorer une voie de transition démocratique moins douloureuse, qui nécessite des différents acteurs et leaders, le courage d’accepter de s’asseoir et définir tous ensemble les grandes orientations pour sortir le Gabon d’une situation devenue chaque jour plus dangereuse.

Ce sera notre fierté à tous de réussir la transition et de mettre le Gabon résolument en marche pour son essor autour des idéaux de «La Concorde». Le peuple gabonais ne demande pas mieux en souhaitant que lui soit montrée la direction qui fait défaut depuis longtemps. Donnons-la-lui pour qu’il se réapproprie son pays afin de le servir honorablement. Nous y sommes condamnés.

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