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Mali: le retour de la Françafrique?

François Hollande et Dioncounda Traoré à Tombouctou, le 2 février 2013. AFP / FRED DUFOUR
François Hollande et Dioncounda Traoré à Tombouctou, le 2 février 2013.
AFP / FRED DUFOUR
Depuis le lancement de l’opération Serval au Mali, c’est la lune de miel entre Bamako et Paris. Pour entretenir la flamme, la France n’a pas hésité à sacrifier ses vieux alliés touaregs. Mais attention ! Le forcing de Paris pour que les dirigeants maliens organisent la présidentielle avant la fin du mois de juillet pourrait casser la bonne entente entre les deux capitales. Après Serval, où en sont les relations franco-africaines… Va-t-on vers une Françafrique « new look » ? Ou est-ce une nouvelle page qui s’ouvre ?

De notre envoyé spécial à Bamako
Par Christophe Boisbouvier

Un président français qui déclare à Bamako, le 2 février : « C’est le plus beau jour de ma vie politique ». Son épouse qui est reçue à Bamako, le 15 mai, aux cris de « Merci Maman Valérie ». Des T-Shirts à l’effigie de François Hollande sur le grand marché de Bamako. Des nouveau-nés qu’on baptise « Françoishollande »… Il est loin, le temps où Modibo Keita disait non au général de Gaulle et oui aux Russes, le temps où Alpha Oumar Konaré boudait Jacques Chirac à Dakar, et le temps où Amadou Toumani Touré tenait tête à Nicolas Sarkozy sur le dossier des sans-papiers maliens en France. Aujourd’hui, il ne se passe pas un mois sans que François Hollande et Dioncounda Traoré se jettent dans les bras l’un de l’autre. Depuis le début de l’opération militaire française « Serval » au Mali, le 11 janvier, et plus encore depuis le succès de l’offensive contre les jihadistes dans l’Adrar des Ifoghas – avec, il est vrai, le soutien décisif de l’armée tchadienne –, c’est la lune de miel entre Bamako et Paris.

La question touarègue risque-t-elle de tout gâcher ? Au début de l’opération Serval, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, n’a pas caché que les officiers de son état-major au Nord-Mali avaient des « relations fonctionnelles » avec les rebelles touaregs du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) dans le but de pister l’ennemi jihadiste, et surtout dans l’espoir de libérer les otages français enlevés dans la région. Quelques figures politiques maliennes ont alors haussé le ton. Ibrahim Boubacar Keita (IBK) – l’un des favoris de la présidentielle du 28 juillet – a déclaré : « Pourquoi la France a-t-elle donné l’impression de bloquer la situation en faveur du MNLA ? D’empêcher la réunification du Mali ? Je ne sais pas, mais j’en suis malheureux, moi dont l’arrière grand-père est mort pour la France à Verdun ». Choguel Maïga, un autre candidat à la présidentielle, a lancé : « En quelques semaines, grâce à Serval, François Hollande a réconcilié l’Afrique et la France, là où une action diplomatique aurait pris plusieurs années. Mais il ne faut pas que, par une alliance avec un petit groupe d’aventuriers, la France dilapide ce capital exceptionnel ».

Paris fait du « forcing »

Visiblement, François Hollande a entendu le message. Le 5 juin, en recevant le prix Houphouët-Boigny au siège de l’Unesco à Paris, il a eu cette phrase : « Aucun groupe armé ne peut rester armé au Mali ». Au même moment, l’armée malienne reprenait au MNLA la localité d’Anefis, sur la route de Kidal, sans que Paris s’y oppose. La vérité, c’est que, depuis la reconquête du Nord-Mali et l’échec des tentatives de libération des otages, la France n’a plus besoin de l’aide des rebelles touaregs. En coulisses, elle a donc expliqué à ses vieux amis touaregs que, en cas de conflit militaire, elle serait obligée de choisir le camp de Bamako. Le 18 juin, après de fortes pressions, le MNLA a signé à Ouagadougou un accord qui prévoit le cantonnement de ses combattants et n’exonère pas ses chefs de poursuites judiciaires. Sur ce point, le président de la transition malienne, Dioncounda Traoré, et son négociateur Tiébilé Dramé n’ont pas lieu de se plaindre de François Hollande. L’ami français a pesé de tout son poids en faveur d’un retour des autorités maliennes dans le fief touareg de Kidal.

Mais il reste une autre question : le forcing de Paris pour l’élection à la date du 28 juillet peut-il casser la belle entente franco-malienne ? Rien n’est exclu. Comme le révèle Jeune Afrique ce 22 juillet, Dioncounda Traoré a décidé, fin juin, de repousser le premier tour au 28 octobre, et le second au 10 novembre. Selon une bonne source recueillie par RFI, le 28 juin, il a voulu alors dépêcher son Premier ministre, Diango Cissoko, à Abidjan et Paris pour en informer ses partenaires. Et ce n’est que sous la forte pression de la France et de la Côte d’Ivoire qu’il a renoncé à son projet et confirmé finalement la date du 28 juillet. Le président de la transition le dit publiquement : « L’élection à cette date sera imparfaite ».

Faute de temps pour réviser les listes et distribuer les cartes, beaucoup de Maliens du nord et de l’étranger ne pourront pas voter. Face à l’insistance des partenaires du Mali, le président de la transition et les 27 candidats actuels se sont fait une raison. Mais Tiébilé Dramé, lui, dénonce depuis plusieurs semaines un scrutin qui ne sera « ni libre ni équitable ». En signe de protestation, il s’est retiré de la course. Le 10 juillet, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a lâché avec son ironie mordante : « Je ne suis pas sûr que les candidats qui disent qu’il y a tel ou tel problème soient les principaux ».

Evidemment, Tiébilé Dramé s’est senti visé. « Cela veut dire que monsieur Fabius s’immisce dans la vie politique intérieure de notre pays, qu’il détermine à l’avance qui sont les poids lourds et qui ne le sont pas », a-t-il répliqué. Et avec le même mordant, il a lâché : « Je constate que Laurent Fabius est devenu le directeur des élections au Mali ». Pique contre pique. Le ton monte, et la réponse du Quai d’Orsay – « La date des élections a été fixée par les Maliens eux-mêmes » – ne convainc personne à Bamako. Tous les Maliens ont en mémoire cette petite phrase de François Hollande, le 28 mars : « Nous voulons qu’il y ait des élections au Mali avant la fin du mois de juillet, et ça, nous serons intraitables là-dessus ».

« Le vrai Hollande l’Africain »

Pourquoi ce forcing de Paris ? Parce que François Hollande a une hantise : l’enlisement. Depuis le 11 janvier, la France a déjà perdu six hommes au Mali. A la fin de l’année, il restera encore un millier de soldats français sur le terrain. L’Elysée ne veut pas que ce pays devienne pour la France ce que l’Afghanistan est devenu pour les Etats-Unis. Un piège sans fin. François Hollande cherche donc une solution politique au plus vite. Selon lui – et selon la Maison Blanche –, seul un président élu aura la légitimité nécessaire pour faire la paix avec les groupes armés du nord et neutraliser définitivement les ex-putschistes de mars 2012. D’où cette élection au pas de charge. Sans doute la France fait-elle aussi le calcul qu’il vaut mieux tenter de régler le problème malien avant la rentrée scolaire de septembre et le retour au Mali de plusieurs centaines d’expatriés qui sont actuellement en vacances… Comme Tiébilé Dramé, International Crisis Group craint que cette précipitation ne conduise à un scrutin « bâclé et chaotique » et n’ajoute de la crise à la crise. Si l’élection se passe bien, cette polémique sera vite oubliée et François Hollande aura réussi son pari. En revanche, si elle se passe mal, le gain politique de Serval risque d’être « dilapidé », comme dit Choguel Maïga.

Cette affaire malienne est-elle révélatrice ? Le vrai « Hollande l’Africain » est-il mitterrandiste et conservateur ? C’est ce que croient certains mouvements anticolonialistes. Le 14 juillet, en voyant des troupes africaines défiler sur les Champs-Elysées, l’association française Survie s’est écriée : « C’est de la Françafrique new look. Paris veut relégitimer sa présence militaire en Afrique ». Mais beaucoup répliquent que, face à la menace jihadiste sur Bamako, François Hollande n’avait pas d’autre choix que d’intervenir. D’ailleurs, au Mali comme en France, tout le monde ou presque a applaudi. Et sur la scène internationale, seul le président égyptien de l’époque, le Frère musulman Mohamed Morsi, s’y est opposé. « Le cas malien est exceptionnel », dit un conseiller du président français. « Le vrai Hollande l’Africain, c’est celui qui refuse d’envoyer des troupes en Centrafrique pour sauver le régime de Bozizé menacé par les rebelles de la Seleka ». De fait, François Hollande ne veut plus que la France soit le gendarme de ses anciennes colonies. « Ce temps-là est terminé », a-t-il lâché à la fin de 2012. En décembre prochain, le chef de l’Etat français invitera tous ses homologues africains à Paris pour assister à un sommet sur la sécurité en Afrique. Y verra-t-on l’Afrique de papa ou une nouvelle relation nord-sud ? C’est sans doute à ce moment-là que le vrai Hollande se dévoilera.

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