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«La Responsabilité sociétale des entreprises est une véritable révolution managériale», dixit Franck Ndjimbi

franck-NdjimbiAyant donné une communication, le 25 octobre 2013 au Sénat du Gabon, sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), Franck Ndjimbi, consultant-expert en environnement et développement Durable, a été amené à expliciter ce concept. Dans cet entretien, il donne sa définition de la RSE, l’illustre de cas spécifiques du milieu entrepreneurial du Gabon, pays dont il brosse les contours, le fonctionnement, les manquements et les perspectives quant à la mise en pratique de ce qui tend à devenir un standard ailleurs dans le monde.

Gabonreview : Vous venez de livrer une communication sur le Responsabilité Sociétale des Entreprises à un public essentiellement composé d’étudiants. Pourquoi une telle initiative ?

Franck Ndjimbi : Ma communication entrait dans le cadre d’une session d’information organisée par le Rotary Club Libreville au bénéfice des présumés leaders de demain. Intervenant en invité extérieur, je ne puis me prononcer sur les motivations de cette initiative.

Toutefois, face à la mondialisation des échanges, au désengagement continu de l’Etat des secteurs productifs et à la montée en puissance des investissements privés, il est à craindre que le capital ne dicte sa loi à l’ensemble de la société. C’est pourquoi il est urgent et essentiel de contraindre la finance et, par conséquent, l’entreprise à s’astreindre à un minimum de règles. Or, avec la « révolution conservatrice » initiée dans les années 80 sous l’impulsion de leaders tels que Margaret Thatcher, Ronald Reagan ou encore Yasuhiro Nakasone, avec la logique d’intégration qui tend à imposer des critères de convergences dont la valeur normative reste discutable, on assiste aujourd’hui encore à une dérégulation qui prive l’Etat de son principal levier d’intervention qu’est la loi. Censés être protégés par l’Etat, les autres acteurs, notamment les populations, se trouvent donc à la merci des investisseurs. Ici apparaît donc la nécessité d’introduire de bonne pratiques et une dose d’éthique dans les procédures des entreprises. D’où la Responsabilité sociétale des entreprises, entendue comme la transcription des principes du développement durable au niveau d’une entreprise.

Mais, plus concrètement, qu’est-ce que la Responsabilité Sociétale des Entreprises ?

Interprétation des principes du développement durable au niveau de l’entreprise, la RSE entend réconcilier préoccupations sociales, environnementales, et économiques dans les activités et leurs interactions entre l’entreprise et les parties prenantes. C’est un processus volontaire qui fait appel à des notions d’éthique et aux quatre principes directeurs suivants dans sa mise en œuvre. D’abord une concertation permanente afin d’obtenir le consensus le plus large possible en termes de choix stratégiques et tirer bénéfice des expériences, savoir et savoir-faire des parties prenantes que sont les actionnaires, les salariés, l’Etat, les clients, les populations locales, les ONG et tout autre partenaire. Ensuite, une intégration dans l’espace et le temps afin de capitaliser les acquis des activités du passé ou en cours et de construire une dynamique territoriale susceptible d’insérer les activités RSE dans une approche globale, systémique et écosystémique. Puis, la durabilité des actions afin que leurs effets aillent au-delà de l’emprise de l’entreprise aussi bien dans l’espace que dans le temps. Enfin une gouvernance responsable qui va au-delà des aspects légaux ou réglementaires et considèrent que ceux-ci ne doivent concerner que les missions régaliennes. La RSE est une approche dépendant de la « sof law », c’est-à-dire de l’ensemble des outils juridiques non contraignants tels que certaines conventions ou déclarations dont la valeur normative n’est pas avérée. Au total, la RSE va au-delà des aspects légaux ou réglementaires et entend encourager les entreprises à développer des démarches sociétales et environnementales, créatrices de valeur pour les territoires où elles sont implantées et génératrices d’une plus grande équité sociale.

Juste avant votre intervention, on a assisté à une présentation de la politique RSE de Shell-Gabon. Cette présentation correspondait-elle à votre conception, à la vision qu’en a la société civile gabonaise avec laquelle vous travaillez ?

Shell-Gabon est une succursale de la Royal Dutch Shell, l’une des plus grandes sociétés d’énergie et de produits pétrochimiques au monde. Elle a des engagements forts en termes de RSE et soutient diverses initiatives telles que le Pacte mondial, le Global reporting initiative, l’EITI….. Comme vous avez pu le noter, elle mène diverses activités allant dans ce sens. Il serait donc présomptueux de prétendre l’évaluer ou la juger.

Seulement, de ma position et de par mes activités antérieures, je puis dire que l’impact de ses activités RSE sur des thématiques telles les droits de l’homme, l’environnement ainsi que les communautés et le développement local peut parfois être annihilé ou réduit par de trop fortes relations avec les Etats, surtout dans des contextes où la gouvernance étatique prête à débat. Il est ainsi permis de s’interroger sur la capacité de cette multinationale à ne pas succomber à la tentation de demeurer muette face au déni des droits humains, à appuyer l’éclosion de sociétés civiles environnementales ou à dynamiser le développement local. De façon concrète, on note, dans le cas du Gabon, que l’intervention de cette entreprise dans la protection de l’environnement se traduit par un partenariat fort et soutenu avec Smithsonian Institute voire le Worldwide Fund for Nature (WWF) ou l’Etat gabonais à travers l’Agence Nationale des Parcs Nationaux (ANPN). S’agissant du développement local, on ne peut qu’applaudir le soutien apporté au Conseil départemental de Ndougou. Seulement, toutes ces initiatives n’ont nullement contribué, d’une part, à structurer de solides organisations non gouvernementales locales ou nationales à vocation environnementale et, d’autre part, à l’autonomisation des populations locales. Malgré l’investissement remarquable de cette grande entreprise et son fort engagement RSE on note finalement, d’une part, que la quasi-totalité d’ONG environnementales locales ou nationales ont encore des stratégies opportunistes, qui dépendent essentiellement de financements extérieures disponibles notamment auprès des ONG internationales et, d’autre part, que les tentatives de structuration des populations locales en groupes d’intérêt et autres coopératives ont généralement été menées avec d’autres financements et qu’elles ont toutes vécu.

La situation du Complexe d’aires protégées de Gamba permet de répondre à votre question avec précision. Si Ibonga, la principale ONG environnementale locale, apparait toujours comme un appendice du WWF, des initiatives telles que la case Abietu ou la coopérative Mama Mafubu n’ont pas résisté à la fin du Projet sectoriel de valorisation des aires protégées (PSVAP) financé par la Commission européenne, en dépit de l’implication remarquée de Shell. Or, la préférence locale est un axe important de la RSE. S’appuyant, d’une part, sur la formation et l’emploi des locaux et, d’autre part, sur la sous-traitance à des entités locales, la préférence locale est un puissant catalyseur du développement local. Sur cette base, on ne peut que constater que Shell n’ait pas saisi l’opportunité offerte par les acquis du PSVAP pour hâter l’autonomisation des communautés locales en offrant des débouchés nouveaux à des entités telles que la coopérative Mama Mafubu, la Case Abietu ou le Groupement d’intérêt communautaire-Tourisme (GIC-tourisme). Quoi qu’il en soit, de notre point de vue, Shell demeure ce qui se fait de mieux au Gabon en termes de RSE.

Le Gabon dispose d’une entité en charge de la mise en place des normes, l’Agence Gabonaise de Normalisation (AGANOR). Récemment, le directeur général de l’Environnement a été auditionné par le Conseil économique et social (CES) sur la thématique RSE. Cela revient à dire que l’Etat s’est engagé dans le développement d’un standard RSE. Avez-vous une idée de ces démarches ? De quoi s’agit-il ?

Le Gabon semble avoir adopté le standard ISO 26000 comme fondement de sa réflexion. Cela signifie que le Gabon entend aller au-delà des entreprises et élargir sa réflexion à l’ensemble des organisations sociales. Mais, en tant qu’Etat, sa démarche se fondera nécessairement sur la législation et la réglementation. On évoque également une charte qui pourrait être soumise par le gouvernement aux entreprises. Autant d’initiatives qui pourraient sonner aux oreilles de nombreuses entreprises comme des contraintes supplémentaires. Or, le RSE est, par définition, une initiative volontaire et éthique, soumise à la « soft law ». Pour contourner cela, les procédures d’attribution des marchés publics pourraient, par exemple, accorder une forme de préférence aux entités labellisées. Il pourrait aussi être question d’incitations fiscales au bénéfice desdites entités. Bien entendu, un travail préalable d’interprétation nationale des engagements internationaux du Gabon en matière environnementale ou sociale ou de standards internationaux peut être mené en amont. Le patronat gabonais voire la Chambre de commerce pourrait aussi contribuer à la prise en compte de la RSE, notamment à travers la création d’un observatoire indépendant. En tout état de cause, une réflexion de fond sur les démarches susceptibles d’encourager la RSE au Gabon s’impose.

Vous parlez beaucoup d’entreprises. Quel intérêt une entreprise aurait-elle à faire de la RSE ?

La RSE met l’accent, entre autres, sur l’efficacité économique, c’est-à-dire les rapports coûts/bénéfices et la capacité à obtenir un rendement maximal avec un minimum de ressources. Il s’agit de produire des biens et répartir les retombées de cette production de manière équitable et durable, dans un souci de renouvellement des ressources et de protection personnels.

De manière concrète, cela peut se traduire par : Une meilleure performance financière et des profits plus élevés ; De meilleures relations avec les institutions financières ; Une meilleure réputation et une meilleure image de marque ; La capacité d’attirer des nouveaux clients ; Une rentabilité accrue et une plus grande valeur pour les actionnaires ; La capacité de recruter des employés de premier choix et ; De meilleures relations avec les collectivités environnantes et une meilleure acceptabilité sociale.

Conjugué au respect de l’environnement, à l’équité sociale et à l’efficacité économique, la RSE est une véritable révolution managériale qui implique la prise en compte des droits et préoccupations des personnels ainsi que le développement des relations et de synergies avec les acteurs du territoire dans lequel l’entreprise est implantée, notamment les communautés locales.

Vous parlez beaucoup des communautés locales. Quel rôle ont-elles dans le cadre d’une démarche RSE ?

La RSE commande que l’entreprise prenne en charge l’impact de ses projets sur son environnement au sens large. Or, la plupart des grandes initiatives, notamment les projets miniers, énergétiques, agricoles ou d’infrastructures se mènent en zone rurales. De ce fait, ces projets ont indubitablement des répercussions sur les populations et leurs modes de vie. Les impacts les plus courants sont la transformation des modes d’organisation et structures sociales en ceci que ces projets obligent les populations à s’organiser différemment. Du fait de la tendance des projets à occuper l’espace, ces impacts se traduisent aussi par des conflits fonciers, la perte des droits d’accès aux ressources naturelles et les difficultés à maintenir les pratiques culturelles et cultuelles. Vous comprenez donc que, dans la plupart des projets industriels, les populations rurale sont les premières impactées. D’où la nécessité pour les opérateurs de les impliquer le plus en amont possible.

Et comment se fait cette implication ?

Généralement, elle se fait au moyen d’une concertation. De plus en plus, de nombreuses entreprises utilisent certains outils reconnus au plan international tels que le CLIP (Consentement libre informé et préalable) qui, comme son nom l’indique, permet d’obtenir leur aval, les HVC (Hautes valeurs de conservation) qui permet d’identifier les zones sensibles ou celles sur lesquelles elles ont des prétention, la cartographie sociale ou certains référentiels. Dans tous les cas, il s’agit pour les entreprises de respecter certains droits, notamment l’accès à l’information, l’accès aux voies de recours, la participation au processus décisionnel, les droits de propriété, les usages coutumiers et le partage des bénéfices.

Avez-vous, au Gabon, des exemples d’entreprises engagées dans la RSE ?

Le Gabon n’ayant pas toujours procédé à une transcription de ses engagements internationaux en droit national, les droits des populations n’étant pas toujours reconnus, très peu d’entités s’engagent dans ce processus, en dépit d’une tendance observée à obtenir les différentes certifications ISO. Dans la plupart des cas, les entreprises engagées dans un processus RSE avéré sont des filiales de multinationales. Elles ne font donc que se conformer aux politiques leurs maisons-mères. Comme je vous l’ai déjà affirmé, sans nous ériger en évaluateur ou en contrôleur, il n’est pas risqué de dire que Shell apparaît, à ce jour, comme l’entreprise ayant la démarche RSE la plus pertinente au Gabon.

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