RIO DE JANEIRO – Le Brésil, divisé, va élire dimanche son nouveau président, entre Dilma Rousseff, légèrement favorite et l’opposant social-démocrate Aecio Neves, après la campagne la plus dramatique, serrée et virulente de son histoire récente.
Cette élection est largement considérée comme un plébiscite sur 12 ans de gouvernements du Parti des travailleurs (PT), sous lesquels le géant émergent d’Amérique latine a connu de profonds bouleversements économiques et sociaux.
Elue en 2010 dans l’euphorie finissante de l’âge d’or de la présidence de son mentor Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010), l’ex-guérillera Dilma Rousseff avait hérité d’une croissance à 7,5 %.
La première femme présidente du plus grand pays d’Amérique latine a amplifié les programmes sociaux qui bénéficient à un quart des 202 millions de Brésiliens, lui valant un large soutien dans les couches populaires et régions pauvres du Nord-Est.
Sous le PT, 40 millions de Brésiliens se sont extirpés de la pauvreté et ont rejoint les rangs d’une classe moyenne désormais majoritaire. Le fléau de la faim a été éradiqué.
Mais Dilma Rousseff, 66 ans, a affronté des vents adverses: économie en plein ralentissement, revendications d’une classe moyenne dont l’ascendeur social est tombé en panne, scandales de corruption qui ont terni l’image du PT.
Sauvé par un taux de chômage historiquement bas (5 %), son bilan économique est maigre: quatre ans de croissance ralentie jusqu’à l’entrée en récession de la septième économie mondiale, une inflation donnant des signes de surchauffe (6,75 %), des finances publiques en dégradation, un interventionnisme très critiqué.
Le candidat du Parti social démocrate brésilien (PSDB), Aecio Neves, 54 ans, soutenu par les milieux d’affaires, la droite traditionnelle et une partie de la classe moyenne, promet de remettre de l’ordre dans la maison Brésil.
«En finir avec la corruption»
Surfant sur l’indignation des Brésiliens, il a fait de la lutte contre la corruption l’un des axes de sa campagne, même si le PSDB, qui a dirigé le Brésil de 1995 à 2002, a lui-même été dans le passé éclaboussé par de nombreuses affaires.
«Il existe une façon d’en finir avec la corruption. C’est de retirer le PT du pouvoir», a-t-il lancé vendredi soir lors du dernier débat de la campagne, suivi sur TV Globo par des dizaines de millions de téléspectateurs.
Sao Paulo, Rio, Minas Gerais: la victoire finale se jouera au sein des classes moyennes divisées des États les plus peuplés du sud-est industrialisé, où de nombreux déçus de la gauche avaient voté au premier tour pour l’atypique écologiste Marina Silva.
Les mégapoles de Sao Paulo, Rio de Janeiro et Belo Horizonte avaient été à l’épicentre de la fronde sociale historique de juin 2013 contre l’indigence des services publiques, les milliards engloutis dans les stades du Mondial-2014 et la corruption politique.
Aecio Neves était donné largement favori dans ces régions depuis le premier tour. Mais Dilma Rousseff y a regagné beaucoup de terrain ces derniers jours, au prix d’une campagne offensive contre Aecio Neves.
La présidente et son parti l’ont accusé de «népotisme», suggéré qu’il était violent avec les femmes, voire de s’être refusé à un contrôle d’alcoolémie en 2010 parce qu’il conduisait «ivre ou drogué». M. Neves a répondu à l’avenant.
L’embrasement des insultes et invectives des deux camps sur les réseaux sociaux a achevé de radicaliser le clivage droite gauche.
Selon un sondage publié samedi par l’Institut Datafolha, Mme Rousseff l’emporterait avec 52% des voix contre 48% pour M. Neves, un écart compris dans la marge d’erreur de plus ou moins 2 %.
L’Institut Ibope a pour sa part crédité la présidente sortante d’une avance plus confortable de six points, avec 53 % d’intentions de vote contre 47% pour l’opposant, en dehors d’une même d’erreur (plus ou moins 2 %).
L’expérience du premier tour du 5 octobre invite toutefois à la prudence. Les sondages avaient surestimé la victoire de Mme Rousseff (41,59 %) et grossièrement sous-estimé le solide résultat de 33,55 % de M. Neves.
Dilma Rousseff votera dans la matinée à Porto Alegre où elle a effectué une grande partie de sa carrière, avant de regagner la capitale Brasilia.
Aecio Neves votera lui à Belo Horizonte, la capitale de l’État de Minas, dont il a été deux fois gouverneur et où il suivra la soirée électorale.
Les Brésiliens commenceront à voter à 8 h locales (6 h à Montréal) aux quatre coins de ce pays-continent grand comme 15 fois la France.
Les premiers résultats seront connus peu après la fermeture des derniers bureaux de vote à 20 h (18 h à Montréal).
Le vote est obligatoire au Brésil.