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« Affaire Péan »: Le piège

Capture d’écran d’une page de Google Images, sur la recherche «Pierre Péan-Gabon». © Gabonreview
Capture d’écran d’une page de Google Images, sur la recherche «Pierre Péan-Gabon». © Gabonreview
Comment les institutions ont fait le lit de Pierre Péan et ouvert la voie à une situation qui fragilise Ali Bongo tout en confortant Jean Ping et Jacques Adiahénot

Rien ne lui a été refusé, toute sa vie durant. Rien ne lui a été imposé, tout au long de son mandat : depuis 5 ans, il enjambe les obstacles, surfe sur les événements, prend appui sur les institutions pour imposer sa loi. Cette fois-ci, il semble qu’il soit seul à pouvoir se tirer d’affaire. A moins de 2 ans de la fin de son mandat, alors que les siens échafaudaient déjà des stratégies de campagne, que les plus téméraires allaient même jusqu’à annoncer sa victoire prochaine, le voilà confronté à un débat surréaliste, mélange de droit de politique, portant tantôt sur son éligibilité tantôt sur sa moralité. Une situation qui exhale tant et si bien des effluves d’humiliation qu’Ali Bongo s’est jusque-là muré dans un mutisme éloquent.

En effet, voir, notamment, sa filiation remise en cause, son extrait de naissance querellé, sa scolarité controversée et ses diplômes contestés, se retrouver à observer que ses relations avec son principal collaborateur sont sujettes à interprétations diverses, est quelque chose de pas ordinaire. De toute évidence, le président de la République est face à lui-même et à son devenir. Quelle qu’en soit l’issue, «l’affaire Péan» laissera des traces et des soupçons multiples. Déjà, en privé, certains de ses proches expliquent que la voie judiciaire ouvrirait la porte à un grand déballage alors que le silence ad vitam aeternam finira par donner le sentiment que le contenu de «Nouvelles affaires africaines – Mensonges et pillages au Gabon» est conforme à la vérité. Là réside le piège !

Véritable piège à entrées multiples, la situation actuelle n’est que l’aboutissement d’une succession de fautes. Celle d’un homme qui a tout misé sur sa puissance, celle d’une magistrature qui a abdiqué et celle d’un juge constitutionnel qui s’est laissé politiser. Visiblement, l’homme a tout délégué, y compris la confection de ses pièces d’identité ou de ses actes d’état-civil. Ses mandataires étaient si sûrs d’eux, si convaincus que rien ne peut résister à leur mandant qu’ils ont minimisé tous les écueils, répétant à l’infini leurs phrases préférée : «Il n’y aura rien» ou «Le pays est géré.» Derrière cette arrogance, que de scories, erreurs, fautes et manquements accumulés !

Suspicion

Et pourtant, au plus fort de «l’affaire des Bien mal acquis», une partie de la presse nationale n’avait pas manqué d’attirer l’attention des dirigeants nationaux et des membres de famille d’Omar Bongo Ondimba sur cette tendance à tout traiter par-dessus la jambe, à ne jamais s’encombrer de précautions administratives ou juridiques. Rien n’y fit. «Les vieilles habitudes ont la vie dure», dit un adage bien connu. Aujourd’hui, tout cela crache d’autant plus facilement son venin que le témoignage de la mère du président de la République fut un collector, un modèle rarissime de réaction à l’emporte-pièce, avec des détails et précisons historiques qui ne s’imposaient guère.

Dans ce qui apparaît comme l’épreuve du feu pour Ali Bongo, la magistrature a sa part de responsabilité. Certes, elle pourra toujours dire ne pas être directement concernée. Mais comment l’absoudre de toute responsabilité quand l’un de ses éminents représentants dirige la Commission nationale électorale permanente (Cenap). «René Aboghé Ella, le président de la Cenap, (…), au nom de l’éthique due à son corps de magistrat, se doit (…) de (rendre) public le dossier de candidature mis en cause», assène notre confrère Echos du Nord dans son édition du 3 novembre dernier. Plus que jamais, une suspicion de partialité pèse sur l’organisme en charge de l’organisation des élections. Davantage aujourd’hui qu’hier, des soupons de connivence avec le pouvoir exécutif entachent la crédibilité de l’autorité judiciaire.

Comment croire que nos magistrats sont attachés aux valeurs d’indépendance, d’intégrité, d’impartialité si un doute pèse sur la sincérité d’un des dossiers validés par l’un d’eux à l’occasion de la présidentielle de 2009, échéance majeure dans la vie de tout pays ? Si une interprétation spécieuse de la notion de loyauté peut être brandie en l’espèce, il n’en demeure pas moins vrai que le courage est une vertu cardinale pour tout magistrat. Davantage de courage de la part des responsables de la Cenap aurait sans doute permis d’éviter la situation actuelle. Comment et par quels moyens ? Aux magistrats selon leurs valeurs et qualités personnelles…

Clarification

La responsabilité de la Cour constitutionnelle est aussi engagée dans le vaudeville actuel. Chacun se souvient encore de l’échange vif entre Luc Bengono Nsi et le président de cette juridiction qui, sans réellement battre en brèche la thèse de celui qui était alors candidat du Mouvement de redressement national (Morena), laissait sous-entendre que la contestation de l’éligibilité d’Ali Bongo aurait dû se faire en amont. Quelle image ce spectacle, diffusé en direct à la télévision nationale, avait-il donné de la Cour constitutionnelle ? Comment la haute juridiction a-t-elle pu valider une élection tout en laissant planer le doute sur l’éligibilité du vainqueur désigné ? Les juges constitutionnels croyaient-ils évacuer cette question sans la traiter ? Quelle idée des phrases comme : «La Cour Constitutionnelle n’entend pas se laisser dicter une conduite à tenir» ou «La Cour n’est pas une jungle» avaient-elles donné de notre démocratie et de nos institutions ? Tout cela eut assurément un effet ravageur.

Depuis 1993, année de la première présidentielle validée par ses soins, les populations expriment de sérieux doutes sur l’indépendance et l’impartialité de la Cour constitutionnelle. Désormais, elle n’est plus à l’abri de l’onde de choc de «l’affaire Péan». De Marie-Madeleine Mborantsuo et ses pairs d’alors on est en droit d’exiger clarification. Surenchère? Dramatisation ? Non : juste un appel à la responsabilité et à la cohérence, une invitation au sens républicain et à la conscience historique.

Quel que soit son devenir, son épilogue, il est d’ores et déjà acquis que «l’affaire Péan» est un piège pour le président de la République, la Cenap et la Cour constitutionnelle. Au-delà, elle fragilise tout l’édifice institutionnel. Cette affaire pèsera pendant longtemps sur le jeu politique national. Et, avec l’exploitation qui pourrait en être faite, sur la crédibilité des prochains scrutins. Par le jeu des vases communicants, Jean Ping et Jacques Adiahénot, dont une presse réputée proche de la présidence de la République mettait en doute l’éligibilité, s’en trouvent légitimés, fortifiés, confortés. Comment maintenir la ligne observée jusque-là vis-à-vis d’eux sans atteindre Ali Bongo ? Une fois encore : là réside le piège….

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