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Les limousines du président et la colère des Gabonais

Rolls-Royce_Phantom-bisPar Angélique Mounier-Kuhn (Le Temps)

Le Monde.fr Le 07.01.2015 à 10h52 • Mis à jour le 07.01.2015 à 12h55

Comme son père en son temps, Ali Bongo raffole des automobiles de luxe. Les habitants de Libreville ont tous aperçu leur président un jour ou l’autre au volant, et sous forte escorte, de l’une de ses berlines ronflantes. Les allées du quartier de sa résidence, La Sablière, sont d’ailleurs mieux asphaltées qu’aucune autre rue de la capitale gabonaise. On raconte même qu’il lui arrive de faire fermer l’aéroport pour lâcher sur sa piste les chevaux de ses bolides les plus puissants.

Rolls et Ferrari

Rolls-Royce, Maybach, Ferrari, BMW… le parc automobile du président du Gabon, un pays dont le tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté selon la Banque mondiale, regorge par centaines de véhicules exclusifs. Les plus récents lui ont été fournis par la société suisse SDP Service und Logistik, avec laquelle une transaction a été passée portant sur l’achat de 29 véhicules pour un montant total de 14 882 000 euros. La chaîne d’information France 24 s’en est fait l’écho en décembre en publiant le fac-similé du contrat. La signature de ce dernier remonte à janvier 2010, quelques mois après l’accession d’Ali Bongo au sommet de l’Etat. En 2013, après des fuites, elle avait déjà fait couler de l’encre dans la presse d’opposition gabonaise. Aujourd’hui, SDP Service und Logistik, société enregistrée à Bottighofen dans le canton de Thurgovie, semble s’être volatilisée: son téléphone ne répond plus; son site internet est inaccessible.

L’affaire n’est donc pas nouvelle. Mais elle trouve un écho au Gabon, parce qu’elle ressort dans un contexte social tendu et que l’économie est au bord de l’asphyxie. Au lendemain de Noël, elle a valu à France 24 d’être invectivée par le porte-parole de la présidence, qui l’a comparée à Mille Collines, la radio rwandaise de sinistre mémoire. Quelques jours auparavant, le 20 décembre, une manifestation de l’opposition interdite par les autorités a été violemment réprimée à Libreville. Entre un et six manifestants auraient été tués. Interpellés, 101 d’entre eux sont dans l’attente d’un jugement.

«Climat général de rejet»

«Il n’y a pas que les voitures, il y a aussi les voyages présidentiels qui sont nombreux et coûtent des milliards de francs CFA. Le pouvoir vit dans la mégalomanie, alors qu’à Port-Gentil, la ville qui concentre 80% de l’activité économique, il n’y a pas le moindre scanner dans les hôpitaux. Dans l’ensemble du pays, le système éducatif est en lambeaux», s’emporte Georges Mpaga, une figure de la société civile gabonaise.

D’après ce porte-parole du mouvement citoyen, «Ça suffit comme ça», la lassitude des Gabonais a atteint un seuil critique: cela fait quarante-sept ans qu’ils endurent la dynastie Bongo. D’abord le père Omar, puis le fils Ali, élu à sa mort en 2009 dans des circonstances plus que controversées. «Tout le pays est en ébullition. Depuis six mois, 18 ministères sont en grève. L’appareil de l’Etat ne fonctionne plus. Un climat général de rejet s’est installé contre la gabegie érigée en mode de gouvernance», dit Georges Mpaga. Beaucoup, qui lorgnent du côté du Burkina Faso, où Blaise Compaoré a chu sous la pression populaire, aspirent à l’alternance. La prochaine élection présidentielle est prévue en 2016; la société civile redoute déjà qu’une modification de la loi électorale cantonne le scrutin à un seul tour.

Circonstances aggravantes, alors que plus de la moitié des recettes budgétaires gabonaises dépendent du pétrole, l’effondrement des cours du baril a amené le pays au bord du dépôt de bilan. Partout, les chantiers ambitieux sont à l’arrêt, comme la marina de Libreville, la zone économique spéciale de Nkok ou l’école de commerce de Port-Gentil. Et pour ne rien arranger, les employés du secteur pétrolier sont en grève depuis un mois contre l’instauration d’une nouvelle contribution obligatoire à l’assurance maladie. Le mouvement a perturbé la fourniture en carburant et en gaz domestique. «Quand le pétrole va mal, tout va mal au Gabon», résume Michel Nzoghe, un syndicaliste du secteur pétrolier. Signe de fébrilité au sommet de l’Etat, Ali Bongo a décidé d’accorder dimanche prochain une grande interview à la radio RFI. Les Gabonais ont tous noté le rendez-vous dans leur agenda.

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