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Au Gabon, Cassandre s’est trompée

Un climat politique tendu, des cours du pétrole en berne, des grèves à répétition : il n’en fallait pas plus pour que certains prédisent une explosion sociale. Mais les nuages se dissipent, et le gouvernement maintient son cap.

Paradoxe pour un pays réputé pour sa stabilité. On prédit au Gabon des lendemains incertains. Certaines cassandres avaient même parié qu’avant la fin du septennat en cours, les jeunes descendraient dans la rue pour « balayer » le pouvoir, à la mode burkinabè. Ceux qui rêvent de conquérir le pouvoir ne semblent plus croire en la politique – alors que la prochaine présidentielle est prévue en 2016 -, et ceux qui l’exercent parient sur leur bilan économique et social pour le conserver.

Ces derniers mois, il y a bel et bien eu de l’électricité dans l’air de Libreville, des manifestations non autorisées, un mort, plusieurs blessés… Gouvernement et opposition ont entretenu des relations compliquées. Ils se sont ignorés, dénigrés, invectivés, parfois devant les tribunaux et toujours dans un climat de grande tension. Le débat politique a moins porté sur les réformes électorales que sur l’état civil du président. Et pour cause. Le dernier livre de Pierre Péan (Nouvelles Affaires africaines, publié fin octobre 2014 chez Fayard) a fait l’effet d’une bombe.

Le journaliste français y remet en cause la filiation d’Ali Bongo Ondimba et conteste son éligibilité à la tête de l’État. Même si le brûlot a surtout eu un retentissement dans les médias, l’opposition, réunie à Paris au début de décembre, a tenté d’en tirer un bénéfice politique. Envisageant l’improbable hypothèse d’une interruption du septennat avant son terme, les opposants ont même esquissé les plans d’une transition et le profil de ses acteurs ! Adoubé ambassadeur du congrès parisien, Jean Ping, 72 ans, ex-chef de la diplomatie d’Omar Bongo Ondimba (1999-2008) et ancien président de l’Union africaine (2008-2012), est devenu la figure de proue de cette fronde.

Stratégie hasardeuse de l’opposition

C’était oublier que Libreville n’est pas Ouagadougou et qu’Ali Bongo Ondimba n’est pas Blaise Compaoré. Mais qui parmi les meneurs de la manifestation du 20 décembre dans les rues de la capitale n’a pas rêvé du contraire ? Peine perdue, la stratégie hasardeuse de l’opposition n’a pas produit le résultat escompté. Et le soufflé Péan est retombé. À cause des liens troubles du Français avec le Gabon, des approximations d’une enquête et de l’extrême violence de l’attaque – qui a eu pour effet de susciter de l’empathie pour sa victime.

On avait aussi prédit que les revendications sociales déstabiliseraient le pays, une menace récurrente compte tenu de l’influence des syndicats. Des remous sociaux ont certes été suscités par les puissantes fédérations syndicales des personnels de l’éducation, bien résolues à faire aboutir leurs revendications salariales. Ces grèves de fonctionnaires, auxquelles se sont joints les salariés du pétrole, ont participé à la dramatisation de la situation, mais n’ont pas été suivies dans les autres secteurs d’activité.

Le Gabon n’a jamais été à l’arrêt, en dépit des rumeurs alarmistes de fin d’année. Les plus persistantes ont annoncé comme « imminent » le défaut de paiement des finances publiques. « Il y a péril en la demeure », a alerté l’ancien Premier ministre Raymond Ndong Sima, qui voit tout en noir depuis son départ de la primature en janvier 2014. « La notion de « caisses vides » n’a aucun sens économique pour un État », a répliqué son successeur, Daniel Ona Ondo. Et le chef du gouvernement de poursuivre : « Ce qui compte, c’est de disposer de sources de revenus, et le Gabon en possède. D’avoir des indicateurs macroéconomiques solides, ce qui est encore le cas. De définir des politiques publiques qui servent notre vision du pays et qui soient en cohérence avec nos moyens et nos modes de gestion. Et c’est à cela que nous consacrons nos efforts ! »

Selon le ministre de l’Économie, Régis Immongault, ces « fondamentaux rassurants » vont permettre de poursuivre la politique d’investissements publics adoptée pour accélérer le développement économique, industriel et social. Dans les dépenses totales de l’État, la part moyenne du budget consacrée aux investissements publics est passée de 25 %, sur la période 2007-2009, à 40 % sur la période 2010-2014, ce qui a largement contribué à tirer la croissance vers le haut.

Évidemment, une telle hausse des dépenses d’investissement a mis à l’épreuve les capacités administratives de l’État en matière de planification, de programmation et d’exécution des projets. La création de l’Agence nationale des grands travaux (ANGT), en 2010, a permis de corriger ces insuffisances, mais pas assez pour éviter des retards dans la livraison de certains ouvrages. Pour rationaliser encore plus ce secteur sensible, le gouvernement a pris la décision, le 29 janvier, de fusionner l’ANGT et le Fonds routier pour donner naissance à une seule entité, l’Agence nationale des grands travaux d’infrastructures (ANGTI), toujours rattachée à la présidence de la République et placée sous le contrôle du Bureau de coordination du plan stratégique Gabon émergent (BCPSGE).

Pourtant, ceux qui jouent les pythies n’ont pas tort sur toute la ligne. Quelques nuages pourraient en effet venir ralentir la marche du pays vers l’émergence. Le premier est lié aux conséquences de l’effondrement des cours du pétrole. « Dès le départ, la loi de finances 2015 était discutable, tance Raymond Ndong Sima. Elle tablait notamment sur une baisse du prix du pétrole de 20 % et une appréciation du taux de change du dollar américain de 2,1 % par rapport au franc CFA. On sait ce qu’il en est… Et rien n’indique que ce mouvement soit terminé », prévient-il. Même diagnostic au gouvernement, où l’on travaille à l’élaboration d’une loi de finances rectificative qui tienne compte de la réalité des cours du brut.

114 milliards de F CFA en six mois pour la PIP

Autre défi, interne cette fois, la réduction des dépenses publiques – hors investissements dans les infrastructures et le pacte social, que le gouvernement exclut de raboter, puisqu’ils sont au coeur de sa stratégie de croissance et de développement. Comment atteindre l’émergence sans mettre en oeuvre la douloureuse réforme des subventions sur les produits pétroliers ? Ces dernières s’élevaient à près de 200 milliards de F CFA (environ 305 millions d’euros) et permettaient de stabiliser les prix du carburant à la pompe à 470 F CFA/litre pour le gasoil et 595 F CFA/litre pour l’essence. Le 29 janvier, le gouvernement s’est finalement résolu à supprimer ces subventions, hormis pour le butane et le pétrole lampant.

L’autre épineux problème à résoudre est de contenir la masse salariale de la fonction publique, qui devrait représenter 750 milliards de F CFA dans le budget 2015. Cela suppose que le gouvernement renonce à « acheter » la paix sociale en résistant face aux syndicats, qui exigent la généralisation de la prime d’incitation à la performance (PIP) instaurée mi-2014 et octroyée pour l’instant à certaines catégories de fonctionnaires. Un objectif difficilement envisageable dans la conjoncture actuelle. Sur les six premiers mois, la note a déjà été salée : 114 milliards de F CFA.

Reste aussi à réduire le taux de chômage, qui atteint un niveau très élevé (20 %), en particulier celui des jeunes (30 %). Outre les dispositifs mis en place l’année dernière dans le cadre du pacte social, le gouvernement sait qu’il doit donner davantage d’oxygène au secteur privé pour rendre l’économie plus attractive et créatrice d’emplois.

Réconciliation fiscale avec Total

Les relations entre l’État gabonais et le groupe Total se normalisent. Signal fort de cet apaisement, la nomination, le 7 janvier, d’Henri Max Ndong à la tête de la filiale locale du groupe français. Ce cadre du groupe, polytechnicien, est le premier Gabonais à occuper ce poste. Par ailleurs, le conflit fiscal qui opposait Total Gabon (dont l’État détient 25 % du capital) au Trésor est en passe d’être réglé.

Fin décembre, Total Gabon a effectué un premier versement, d’une soixantaine de milliards de F CFA (plus de 90 millions d’euros), dans le cadre de l’accord trouvé avec l’administration fiscale pour le paiement des sommes que cette dernière lui réclamait. D’autres versements sont prévus, selon un échéancier arrêté par les deux parties. C’est un nouveau départ, après la crise qui avait éclaté il y a un an.
En février 2014, à la suite du contrôle fiscal portant sur ses exercices de 2008 à 2010, Total Gabon, premier contributeur au budget de l’État, recevait un avis de redressement de 805 millions de dollars (environ 711 millions d’euros au cours actuel), assorti d’un avis de mise en recouvrement partiel. La procédure fut suspendue le mois suivant, l’entreprise ayant engagé un recours auprès de l’administration fiscale. L’affaire était alors remontée au plus haut niveau de l’État, au Gabon comme en France.

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