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Bénin : Zinsou, le candidat qui aimerait faire oublier la Françafrique

Les Béninois votent ce dimanche pour élire leur nouveau président. Parmi les favoris, l’économiste Lionel Zinsou, proche de Laurent Fabius. Un challenger au profil prometteur, symbole malgré lui du passé colonial.

Un ancien conseiller de François Hollande, proche de Laurent Fabius, sera t-il le prochain président du Bénin, petit pays d’Afrique de l’Ouest qui s’étire, sur une bande étroite, entre le Togo et l’immense Nigéria ?

Sans la candidature de Lionel Zinsou, l’élection présidentielle béninoise, dont le premier tour se jouera dimanche, n’aurait en tout cas pas été la même. Car des 33 candidats en lice (un record dans les annales électorales), c’est bien ce Franco-Béninois de 61 ans, né à Paris, qui suscite le plus de réactions et de curiosité. Son parcours semble, il est vrai, particulièrement atypique et crispe le climat politique dans un pays réputé relativement calme, malgré quelques putschs et une longue période de dictature marxiste-léniniste.

Longtemps, l’ex-banquier d’affaires, passé par Normale-Sup, a été «un Béninois virtuel» comme il l’a lui-même confessé lors d’une interview récente, rappelant que sa famille était interdite de séjour sur les rives de la lagune de Cotonou jusqu’en 1990, date de l’avènement du multipartisme. Son oncle Emile Derlin Zinsou était en effet à la tête du pays lorsqu’il a été renversé en décembre 1969 par un putsch, précipitant l’exil de la famille.

Retour du fils prodigue

C’est donc en France que Zinsou s’est d’abord fait connaître. Universitaire, puis plume de Laurent Fabius lorsque ce dernier entre à Matignon en 1984, il bascule ensuite dans l’industrie et le monde des affaires, passant de Danone à la Banque Rothschild, avant de rejoindre le plus grand fonds d’investissement français, Paribas Affaires Industrielles (PAI) dont il prendra la tête en 2009, un an après y être entré. Economiste brillant, engagé à gauche, ce père de trois enfants, grand amateur d’art africain (il a créé à Cotonou en 2005 une fondation pour les artistes africains aujourd’hui gérée par sa fille), se veut aussi l’inspirateur d’un «afro-optimisme» rationnel, justifié par l’attrait inéluctable de l’économie mondiale pour les marchés émergents du continent à la plus jeune population du monde. En 2013, il rédige ainsi avec Hubert Védrine, un rapport sur les enjeux économiques de l’Afrique, invitant la France à réagir face à la perte de ses parts de marché sur le continent.

Deux ans plus tard, en février 2015, il prend la tête d’une nouvelle fondation AfricaFrance soutenue par le Quai d’Orsay et le Medef, pour relancer justement les relations économiques entre la France et l’Afrique. Quatre mois plus tard, le voilà soudain à l’épreuve du terrain, nommé Premier ministre au Bénin, un poste qui n’existe pas dans la Constitution, par Thomas Boni Yayi, Président sortant qui vient de rendre son tablier après dix ans à la tête du pays. En principe, le retour du fils prodigue, venu se mettre au service du pays, aurait dû susciter des réactions enthousiastes et unanimes. Mais si personne ne conteste les qualités du brillant économiste, son entrée sur la scène politique a suscité les frustrations des autres prétendants à la succession de Boni Yayi, au sein de l’alliance présidentielle, et ravive les soupçons d’une mainmise de Paris sur les affaires africaines.

Boubou

Zinsou, symbole du retour de la Françafrique ? «Ce n’est pas la Françafrique des magouilles et des réseaux. Mais il y a forcément un côté ambigu presque anachronique, en raison de ses relations avec les milieux du pouvoir à Paris», estime le journaliste Antoine Glaser, auteur de plusieurs ouvrages sur les relations entre la France et l’Afrique (1). Pour contrer ces critiques, le candidat Zinsou a multiplié les allégeances au folklore local : lors de ses meetings de campagne, l’ancien banquier d’affaires parisien n’a pas hésité à se présenter en boubou et à parler en langue locale, «avec un indéniable accent parisien», notent ses détracteurs.

Les critiques contre l’économiste n’évitent pas toujours certaines dérives xénophobes, mais c’est bien plus le symbole d’une relation au passif jamais soldé avec l’ancienne puissance coloniale qui est visé et dont Zinsou n’est peut-être que le révélateur involontaire. Pour preuve, l’intervention maladroite d’un ancien ambassadeur de France en poste au Bénin, Jean-Paul Monchau, qui s’est cru autorisé à intervenir dans la campagne électorale pour critiquer la candidature de Zinsou, via un article dans la presse locale.

Reste une question : si Zinsou réussit à prendre le pouvoir, pourra t-il réellement faire décoller le Bénin ? Ses adversaires ont aussi fait remarquer qu’avant d’être Premier ministre, il avait déjà été le conseiller de Boni Yayi entre 2006 et 2011, sans jamais s’exprimer sur les nombreux scandales financiers qui ont émaillé le règne du président sortant, au bilan mitigé. «C’est injuste de faire peser sur Zinsou les échecs de Boni Yayi», tempère Antoine Glaser, «même avec de forts appuis extérieurs, il est très difficile de changer profondément ce pays qui est le royaume de l’informel. Si Zinsou est élu, il va vite s’en rendre compte : il lui faudra procéder au déminage permanent de nombreux intérêts qui domine ce pays de commerçants», ajoute le journaliste, qui note aussi : «sa chance finalement ce sera peut-être moins son réseau français que ses liens avec le géant voisin : le Nigéria, où il entretient de bonnes relations avec Buhari, l’actuel président. Aujourd’hui la France a moins d’importance, que le grand pays anglophone qui jouxte le Bénin.»

(1) Dernier ouvrage paru : Arrogant comme un Français en Afrique (Fayard, mars 2016)

Maria Malagardis

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