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Crise au PDG : Soi-même contre soi ?

Au plus fort de la crise au sein du Parti démocratique gabonais (PDG), désormais scindé en deux depuis la création du «PDG-Héritage et Modernité», Noël Bertrand Boundzanga s’amuse de la situation, y voyant la conséquence d’un mal profondément enfoui, conforté par une servitude souhaitée des militants. Ci-après, l’intégralité de la tribune libre de l’universitaire, membre du «Club 90», précédemment publiée dans l’hebdomadaire La Loupe.

«Ce n’est pas la première fois que le PDG est confronté à des guerres internes. Mais c’est la première fois qu’il est confronté à lui-même, miné de l’intérieur par un choix cornélien : la servitude ou l’émancipation ? Mais la servitude à l’égard de qui ou de quoi ? Et s’émanciper de quoi ? Dans le profond vacarme qui bouscule les certitudes d’hier, il y a pourtant des idoles qui semblent résister, laissant perdurer une servitude désormais stratégique. D’une part, le PDG est resté ce fétiche et, d’autre part, Bongo décliné en une dynastie ressemble à ce roi nu dont le masque est tombé et qui a perdu le pouvoir de faire peur. Le cerveau ne contrôle plus le corps, entre lui et les membres, des nerfs ont lâché. Une manière de crépuscule des idoles, pour faire écho au vibrant essai du philosophe allemand Nietzsche, est manifeste sous le ciel gabonais ; et plus jamais, le roi ne sera plus roi.

Ali Bongo et le PDG : «la souris est dans le sac d’arachides».

Pendant bien longtemps, on avait cru que l’enfer c’était les autres. Ces lectures naïves de Sartre ont bercé l’irresponsabilité des hommes politiques, jusqu’à penser l’infaillibilité du chef de l’Etat. Les Opposants, perçus comme des frustrés, sont devenus des ennemis parce que l’enfer c’était eux. Il a fallu du temps pour comprendre que dans son propre camp, il y avait des adversaires et que même le maître devenait un danger pour lui-même. L’histoire politique au Gabon, surtout son récent développement, montre que l’enfer c’est soi-même. Au sein du PDG, depuis 2009, les militants ont tout fait pour fabriquer un génie ; en réalité, ils fabriquaient un monstre, une mésaventure tragique qui me rappelle le roman de Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne. Le monstre finit par haïr son créateur ; Ali Bongo hait ses serviteurs et pourtant les serviteurs l’appellent encore «maître».

En 2011, malgré le boycott de l’Opposition, BiyogheMba et les siens ont organisé une Assemblée nationale monocolore pour s’assurer le maintien de la pensée unique générée par l’Exécutif. Partout, on s’est assuré son omnipotence. A propos des mandats présidentiels, alors que la Constitution prévoyait un mandat renouvelable deux fois, il en a enlevé la clause limitative. De ce fait, on l’installait dans un pouvoir perpétuel qui lui donne le rêve macabre d’obsèques nationales parce que mort au pouvoir comme son père-prédécesseur. Au sein du PDG, alors que le père était «président honorifique» du Parti, Ali est devenu «président exécutif» avec un cabinet politique. Une telle modification de l’organigramme rend ses décisions supérieures au Congrès extraordinaire. La démocratie ruinée dans un parti qui se donne pour identité la démocratie. Dans l’administration, le gouvernement des agences rattaché à la présidence de la République a fait d’Ali Bongo le Chef du gouvernement en lieu et place du Premier ministre. La déresponsabilisation de ce dernier qui est censé défendre l’Exécutif devant le Parlement a renforcé le pouvoir d’Ali Bongo, puisqu’il est exonéré de rendre des comptes au Parlement. Ainsi, les Agences peuvent dilapider les deniers publics, ne pas atteindre leurs résultats…, elles n’ont de compte à rendre qu’au chef de l’Etat qui n’a lui-même de compte à rendre à personne. Jusqu’à l’armée, il a étendu ses pouvoirs, puisque la Garde républicaine a désormais pour mission de faire des contrôles, concurrençant de fait les Forces de police nationale. Tout ceci pour conclure que le PDG et ses militants ont fabriqué un monstre ; le monstre ayant pris conscience de sa superpuissance, en abuse selon ses caprices. Le PDG et ses militants sont à l’origine de leur mal : concentrer le pouvoir dans la main d’un seul homme débouche sur l’abus de pouvoir. Alexandre Barro Chambrier, Michel Menga, Jonathan Ignoumba et les autres devaient le savoir. Mais même ceux qui se croient sous sa protection doivent savoir que le moindre énervement du monstre qu’ils ont fabriqué peut leur faire mordre la poussière. Comme quoi, l’enfer ce n’est pas les autres. Si les PDGistes avaient été plus attentifs et rigoureux, ils n’auraient jamais laissé faire à ce point.

Mais inversement, en abusant de son pouvoir, il se plante une balle dans le pied. En fait, comme s’il était pris de folie, le monstre tape sans distinguer ; il a perdu le sens du discernement. Il est devenu son propre enfer. Son omnipotence est son principal ennemi. Dans cette liberté sans borne, il peut violer la loi. Voyez la vice-présidence de la République restée vacante depuis 2009 ou la présidence du CES restée longtemps vacante depuis que BiyoghéMba a été ramené au gouvernement. Depuis 2009, il a appris à n’en faire qu’à sa tête. Tout a commencé par un acte de naissance qu’il savait faux ; et il savait que la baronnie du PDG le savait, mais tout est passé sans heurts. Aujourd’hui, cet acte de naissance et les licences qu’il s’est autorisées vont le condamner. Parce que les esclaves d’hier, avec leur «oui-ouisme», ont pris conscience que le génie est devenu un monstre qu’il faut liquider. Alors de qui ou de quoi faut-il s’émanciper ?

De la nécessité de se défaire de la servitude

«Héritage et Modernité» affirme qu’il faut s’émanciper de Bongo-fils, pas du PDG. Se réclamant héritière de ce patrimoine, cette nouvelle aile du PDG prétend que c’est le roi qui est nu, et que le parti a gardé sa noblesse. C’est une manière de voir qui montre qu’il subsiste en eux quelques traces de servitude. Car le PDG n’est pas une référence en matière de démocratie, ni en interne ni dans la gouvernance publique. S’il convient de les saluer pour la liberté qu’il recouvre à l’égard de Bongo-fils, il faut les encourager à assumer leur entière liberté. Même à l’égard du PDG. Ali Bongo est un rejeton aussi bien d’Omar Bongo que du PDG, si les Barro et autres révoltés en sont également des rejetons, rien ne dit qu’ils n’ont le même ADN du mal. Le «Moi» est ici haïssable ; il doit devenir «Autre». Il faut se donner une alternative par rapport à cette identité historique. C’est du moins ce qu’il convient d’entrevoir, au moins pour contester la candidature d’Ali Bongo et participer à la modernisation du pays. Le logiciel du PDG n’est pas en cela une référence, malgré le fétichisme à l’égard de son président-fondateur.

Opposition et alternative PDG : pour un mariage de raison

En ce sens, même la part la plus en vue de l’Opposition porte l’ADN du PDG et porte donc la même identité politique que les Ping, approximativement, et Myboto plus lointainement. On voit ici que le débat sur l’alternance est bridé, débordé par celui du personnel politique et sans doute également par celui de l’éviction d’Ali Bongo. Sur le côté du personnel politique, le thème de l’égo sera amplement au cœur du dispositif dialogique. Sur le côté de l’éviction d’Alain Bongo, qui peut taire les égos, va se révéler un mariage de raison des intérêts bien compris. On se déteste, mais pour s’en sortir, on est obligé de travailler ensemble. C’est comme le prisonnier Mackaya qui se retrouve enfermé dans la même cellule que Mayombo, qui a tué il y a quelques années son fils. Or sa mère est gravement malade ; lui seul sait comment retrouver le remède à l’endroit où il a été dissimulé. Le projet de Mayombo est de s’évader. Si Mackaya veut sauver sa mère, il est obligé de s’entendre avec Mackaya pour mettre en œuvre un plan d’évasion. Dans les deux cas, ils sont tous des malfaiteurs qui se haïssent ; mais le succès de leur évasion dépend de leur relation. Il en est ainsi dans notre espace politique. L’intérêt commun devrait obliger les adversaires d’hier à s’entendre aujourd’hui. Une fois le projet réalisé, ils pourraient remettre à jour leurs inimitiés. Le frauduleux acte de naissance, l’abus de pouvoir et la ruine où nous conduit Ali Bongo sont des points de convergence grâce auxquels le peuple de l’Alternance ainsi que les héritiers déclarés du PDG peuvent s’entendre pour conduire un projet commun.

L’évitement du chaos

Les licences que s’est données Ali Bongo et le mur qu’il voit s’ériger devant lui l’obligent à envisager une stratégie de chaos. De ce point de vue, l’amour prononcé à l’égard de Paul Kagamé sur son modèle économique et la langue anglaise n’est peut-être pas anodin. Il ne serait pas étonnant que des mercenaires établissent pignon sur rue au Gabon pour mater les révoltes populaires à venir. Car dans l’atmosphère actuelle, Ali Bongo n’a pas d’autre issue que le coup de force. Pour lui, il faut boucher les oreilles à toutes les plaintes, au dialogue national, à la transparence des élections, à sa situation administrative ; il faut aller aux élections. L’armée va mater les contestataires, car il en a toujours été ainsi ; et soit il installe directement son pouvoir, soit il va dans des discussions qui accoucheront d’un consensus qui préservera son pouvoir. Dans tous les deux cas, il resterait au pouvoir. Or ce qui pose problème aujourd’hui, ce sont essentiellement deux choses : l’invalidation de sa candidature à cause de l’acte de naissance frauduleux et la transparence électorale. La finalité de la querelle étant l’instauration d’un régime démocratique, d’un Etat de droit et d’une nation prospère. Pour éviter l’usage de la force, il faut obtenir l’abdication d’Ali Bongo. Mais comment y parvenir sans dialogue national ? Le monstre que le PDG a fabriqué est-il encore en mesure de comprendre l’intérêt de ce dialogue pour lui-même et ses compatriotes ?

Le rôle de l’armée pour les responsabilités de demain

Le rôle de la grande muette ainsi que des Forces de l’ordre est à scruter de très près. Jusqu’à présent, elles ont été des forces répressives. Ce faisant, elles ont rompu l’attache républicaine qui les liait au peuple. Comme s’il y avait, pour le moindre mouvement populaire, une raison d’Etat d’intervenir, l’armée et la police ont frappé les populations, jusqu’aux élèves. On attend d’elle qu’elle soit désormais une force progressiste. A présent, l’armée, la police et la gendarmerie doivent s’interroger sur l’ordre qu’elles défendent : l’ordre républicain ou l’ordre monarchique ? Dans le conflit politique actuel, y a-t-il matière à provoquer des effusions de sang alors que tout nous donne des raisons de nous en séparer ? Notre pays n’a-t-il pas une tradition de paix susceptible de rédiger une rupture de contrat avec le système Bongo ? La pauvreté ne touche pas que les civils. Le coût de la vie, les coupures d’électricité et d’eau, l’école gaspillée… ne calculent pas seulement les civils. Les militaires, en majorité, subissent les affres de la monarchie qui nous dirige depuis un demi-siècle. Soit l’armée reste la grande muette, soit elle accompagne les mouvements progressistes ; mais dans tous les cas, il lui faut retrouver son sens républicain.

En toutes ces lignes, se dégagent non seulement l’impérieuse nécessité de parvenir à l’émancipation du peuple, mais également l’idée que la baronnie PDG et Ali Bongo lui-même ont scié la branche sur laquelle ils étaient assis. L’enfer ce n’est pas toujours les autres…»

Par Noël Bertrand Boundzanga, universitaire/membre du «Club 90»

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