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Elections au Gabon: la Cour constitutionnelle dans la tempête

Le recours déposé tardivement par Jean Ping met en lumière la mission cruciale et ô combien délicate qui échoit à la plus haute juridiction du pays et à sa présidente, Marie-Madeleine Mborantsuo.

Cédant, comme le veut la formule convenue, « à l’insistante pression de ses amis », France, Etats-Unis et Union européenne (UE) en tête, Jean Ping, challenger floué du sortant Ali Bongo Ondimba, a donc déposé in extremis, le jeudi 8, un recours devant la Cour constitutionnelle (CC) gabonaise. Et ce malgré les réticences des « faucons » de son entourage.

Ping et la carte du légalisme

L’ex-baron de l’ère Bongo Père ne se berce pas d’illusions pour autant: il sait la plus haute juridiction du pays, surnommée « la Tour de Pise » pour sa propension à pencher du côté du pouvoir en place, inféodée au Palais du Bord de Mer. Ainsi, en 2009, cette institution avait-elle, sur fond de fraudes manifestes, rejeté les onze requêtes en annulation soumises par un autre opposant, André Mba Obame.

Mais voilà: tactiquement, mieux valait pour l’ancien président de la Commission de l’Union africaine jouer la carte du légalisme et ne pas encourir le grief de mépriser les instruments de contestation prévus par les textes.

Ancienne reine de beauté et ex-compagne d’Omar Bongo

Tardive, sa démarche place sous les feux de la rampe la présidente de la CC, Marie-Madeleine Mborantsuo, alias « 3M ». Ce n’est certes pas au titre de « Miss Franceville » -le chef-lieu de la fameuse province du Haut-Ogooué, bastion du clan Bongo- conquis jadis que cette juriste bardée de diplômes doit son statut. Mais bien davantage, dans un Gabon où l’intime et le politique sont inextricablement liés, à sa proximité avec le défunt Omar Bongo Ondimba, qui la plaça à la tête de la Cour dès 1991.

Marie-Madeleine fut en effet l’une des innombrables compagnes du patriarche disparu, et reste la mère de deux de ses 54 enfants reconnus. Une facette de sa biographie vaut le détour. En 2002, désireuse de compléter un bagage universitaire déjà imposant, elle soutient à l’Université Aix-Marseille III une thèse de droit public intitulée « Cours constitutionnelles africaines et Etat de droit ». Et ce sous la direction de l’ineffable Charles Debbash, virtuose du maraboutage des lois fondamentales africaines et aujourd’hui conseiller spécial, avec rang de ministre, du président du Togo Faure Gnassingbé.

On jurerait que ce personnage insolite, juriste brillantissime saisi par la frénésie du pouvoir comme Le Trouhadec le fut par la débauche, a inspiré, quitte à l’adapter, la saillie de Coluche : quarante ans de droit, et tout le reste de travers. Cerveau du « putsch institutionnel » qui, en 2005, permit à Faure de conquérir à la hussarde le trône laissé vacant par son papa Gnasssingbé Eyadéma, le « doyen Debbasch », dont le brio envoûta tant d’amphis, fut condamné la même année à deux ans de prison dont un ferme pour abus de confiance dans la ténébreuse affaire de la succession du pape de l’optic art, le franco-hongrois Victor Vasarely. Clin d’oeil de l’histoire : Federica Mogherini, patronne de la diplomatie d’une UE dont la mission d’observation a dénoncé les « anomalies évidentes » de la version officielle du verdict des urnes, est elle aussi passée sous la bannière Erasmus par la case Aix, au point d’y avoir préparé sa thèse de philosophie politique.

Une présidente aux ordres d’Ali Bongo?

Le 29 janvier 2015, à la faveur de l’audience solennelle de rentrée de la CC, la présidente Mborantsuo émet, en présence d’Ali Bongo soi-même, le voeu que les scrutins présidentiel et législatif millésime 2016 « ne souffrent d’aucun contentieux ». Raté. Seuls l’honnêteté et « le respect des règles électorales », avait-elle alors ajouté, peuvent conduire les citoyens gabonais à se sentir « pleinement confortés dans l’exercice de leur droit de suffrage. » Encore raté. Conclusion de 3M : « Un juge constitutionnel qui n’a pas à intervenir dans le contentieux électoral, c’est peut-être le meilleur indicateur d’une démocratie apaisée et respectueuse de l’état de droit, mais encore et surtout de la maturité d’esprit des acteurs. » On ne saurait mieux dire.

L’intéressée serait-elle, comme le soutient l’opposition, aux ordres d’Ali? Pas si simple. Certes, elle figurait en février 2011 au sein de la délégation pléthorique -70 personnes- qui accompagnait l’héritier d’Omar lors d’une mémorable virée parisienne. Certes, le même Ali l’a reconduite en 2014 aux commandes de la Cour pour sept ans. Il n’empêche: les relations entre l’ex-maîtresse de Bongo Senior et le successeur de celui-ci ne sont pas exemptes de nuages ni dénuées d’ambiguités. Voilà peu, le Palais aurait songé à écarter la protégée du paterfamilias, soupçonnée d’accointances avec les figures de proue d’Héritage et Modernité, courant dissident du Parti démocratique gabonais, formation au pouvoir minée par les défections. A l’heure de rendre ses conclusions, peut-être Marie-Madeleine se souviendra-t-elle des règles d’or enseignées à toute reine de beauté : tête haute, port altier et démarche assurée.

Par Vincent Hugeux

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