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Interview exclusive du Pr. Albert ONDO OSSA: « Jean Ping et Ali Bongo doivent se mettre hors-jeu »

Interview exclusive du Pr. Albert ONDO OSSA
Président de l’USP

« J’en appelle enfin aux deux protagonistes que sont Ali BONGO ONDIMBA et Jean PING, de faire prévaloir l’intérêt supérieur du pays en se mettant tous les deux hors jeu ».

Professeur, quelle appréciation faites-vous de la situation du Gabon au regard du contexte international actuel ? D’abord pouvez-vous nous dire un mot du contexte international actuel ?

Le contexte international actuel est dense, tant on recense plusieurs événements inattendus qui se sont succédé en peu de temps :

1°) en Grande Bretagne : le brexit ;
2°) aux Etats-Unis d’Amérique : l’élection de Donald Trump ;
3°) en France : la décision de François Hollande de ne pas briguer un second mandat ;
4°) en Italie : le référendum qui a mis fin aux fonctions du premier ministre en poste ;
5°) en Corée du Sud : la procédure de destitution du Chef de l’Etat ;
6°) en Syrie : la guerre à Alep ;
7°) en Afrique, une série de faits porteurs d’avenir :
– le débat sur le retrait des pays africains de la CPI ;
– la menace terroriste avec Boko Haram ;
– le rôle de plus en plus actif de la diaspora africaine en Occident ;
– la suprématie des réseaux sociaux sur les médias traditionnels ;
– en Gambie : la surprise créée par le président gambien Yahya Jammeh en reconnaissant sa défaite face à l’opposant Adama Barrow, qui va lui succéder ;
– au Rwanda : Paul Kagamé, le président rwandais, contre toute attente renonce à briguer un 3ème mandat en 2017 ;
– en Angola : José Eduardo dos Santos, l’un des plus anciens dirigeants africains, crée la surprise en décidant de mettre un terme à son règne de 37 ans. Il ne se représentera pas aux élections prévues l’année prochaine.

Tous ces événements montrent que le monde est en mutation. De ce fait, nos appréciations des situations doivent désormais prendre en compte le nouveau cadre de la mondialisation, qui transcende tout, se situe bien au-delà des cadres étriqués, factuels et sectaires dans lesquels nous pataugeons, d’une part, et le développement imposé par la nouvelle économie, celle des NTIC, qui échappe au contrôle des anciennes chapelles, de nombreux lobbies et autres forces d’inertie, d’autre part.

Il est donc judicieux d’intégrer tous ces éléments pour analyser et mieux comprendre la situation actuelle de notre pays le Gabon, ainsi que les perspectives d’avenir qui se présentent.

Justement Professeur, dans quelle situation se trouve notre pays et quelle appréciation en faites-vous ?

Le Gabon est dans une situation catastrophique aujourd’hui, une situation de crise généralisée, multidimensionnelle, une crise systémique dont le point focal est la crise postélectorale. Je ne me limiterai qu’à en présenter deux compartiments essentiels : le compartiment politique et le compartiment social, qui conditionnent tout développement économique parce qu’ils en constituent des externalités importantes.

Au plan politique, la crise actuelle procède fondamentalement du manque de maturité de la classe politique actuelle, de son égoïsme et surtout de son égocentrisme. « En dehors des mêmes en place depuis plus de quarante ans, point de salut ! ». De ce fait, la classe politique gabonaise ne s’est pas montrée à la hauteur des enjeux. Elle s’est contentée des sentiers battus, du plus facile, en évitant les questions de fond, les questions qui fâchent et toutes celles qui, essentielles, auraient dues être épuisées avant l’élection présidentielle, notamment :

– la nationalité de Monsieur Ali BONGO ONDIMBA : la classe politique gabonaise disposait – et c’est prouvé aujourd’hui – des éléments à charge à ce sujet. Ne les ayant pas sortis au moment opportun, elle doit aider le peuple à revenir sur la destitution du Chef de l’Etat pour viol de la Constitution (article 10) et pour faux et usage de faux en écriture publique. Dans le même registre, d’autres ont préféré se faire ridiculiser que de donner les actes de naissances incriminés (tout au moins ceux différents présentés à la CENAP en 2009 et en 2016), retirés malicieusement à temps des dossiers de recours en annulation de la candidature de monsieur Ali BONGO ONDIMBA à l’élection présidentielle de 2016 ;

– la fiabilité de la liste électorale : le flou permettait aux hiérarques et anciens hiérarques du parti démocratique gabonais (PDG) d’user allégrement des bonnes vieilles méthodes (la fraude), qui ont bien fonctionné peut-être même dans les deux camps, aussi bien dans celui de l’imposteur, Monsieur Ali BONGO ONDIMBA, que dans celui de Monsieur Jean PING ;

– le rôle de la Cour constitutionnelle dans la proclamation des résultats des élections qui aurait dû, au regard de l’antériorité, être discuté. A défaut d’une révision des textes tant décriés, qui régissent le fonctionnement de la Cour, la classe politique aurait pu s’arcbouter sur le remplacement des personnalités qui composent cette institution et principalement la présidente qui continue d’œuvrer en toute illégalité. Non contente d’avoir fait cela, elle s’est tapée le luxe d’y déposer (par deux fois) des recours qui n’avaient aucune chance d’aboutir ;

– le manque de vision et de programme crédible, véritablement porteur d’espoir. Les différents candidats ont préféré se complaire et se cantonner dans une critique légère et plate, dans une dénonciation stérile des agissements du candidat Ali BONGO ONDIMBA, au point que le vote a fini par se transformer en un référendum pour ou contre Ali BONGO ONDIMBA et non en un débat d’idées porteur et susceptible de faire rêver le peuple un tant soi peu.

Pourtant, le peuple gabonais lui a montré qu’il était mature et prêt pour le changement, car disposé à opter pour la principale personne qu’on lui présentait, en dehors de tout clivage ethnique, idéologique et autre. Même un chien présenté contre Ali BONGO ONDIMBA passait hauts les mains et à une très large majorité. Le peuple a donc joué sa partition. Il a fait ce qu’on était en droit d’attendre de lui, usant même de tous les moyens – même frauduleux et illégaux (les preuves existent) – pour mettre un terme au règne de Monsieur Ali BONGO ONDIMBA.

Au plan social, le Gabon connaît une crise de confiance généralisée, qui a pour conséquence un climat délétère. Jamais la pauvreté, la détérioration de la santé des populations, les problèmes d’éducation et de formation n’ont atteint un tel niveau. A cela il convient d’ajouter la marginalisation des élites n’appartenant pas aux milieux agréés (franc-maçonnerie, homosexualité, crimes rituels et autres fétichismes de tous bords,…). De plus, le renversement de l’échelle sociale et l’avènement d’une société désormais duale : les rentiers et les repus, qui opèrent généralement la nuit pour se pavaner le jour, d’un côté, et les affamés, qui usent leurs fonds de culotte et rongent leur frein à la tâche le jour, de l’autre.

Enfin, le manque de crédibilité de la plupart des organisations traditionnelles d’encadrement de la société (confessions religieuses, syndicats, cercles d’intelligence , partis politiques, …), rongées le plus souvent par l’ambition démesurée des responsables, par des intrigues, des parricides, des alliances contre nature et autres trahisons, par la corruption, l’enrichissement facile procédant généralement de leur manque de spiritualité. Elles ne se sont pas toujours montrées capables de concevoir de grands projets d’avenir, en vue d’une alternance rassurante, susceptible de changer fondamentalement la société gabonaise et d’améliorer le sort de nos populations.

Ainsi, le pays est au plus bas.

Dans ces conditions, Professeur quelle sortie de crise est envisageable ? Le dialogue dont il est question peut-il à votre avis constituer une issue favorable, qu’en pensez-vous ?

Il faut bien savoir de quoi on parle lorsqu’on appelle au dialogue et lorsqu’on évoque le dialogue. Il ne s’agit nullement :
1°) d’un dialogue qui confortera la position de Monsieur Ali BONGO ONDIMBA et avalisera le coup d’état électoral. Un tel dialogue serait nul et de nul effet car, et je ne le dirai jamais assez, tout jour, tout mois supplémentaire d’Ali BONGO ONDIMBA au pouvoir détruit notre pays en terme réel et concourt à l’affaiblir sur l’échiquier international ;
2°) d’un dialogue qui consiste à propulser Jean PING au pouvoir, car tout ce qui est construit sur des bases fausses finit par s’autodétruire et mourir au bout d’un moment. Le Gabon pourrait connaître, dans ces conditions, une crise encore plus grave ;
3°) d’un dialogue qui conduit au partage de postes et de strapontins entre coquins et copains, ce serait la faillite de notre pays au moment où les caisses de l’Etat sont vides.

Le dialogue qui doit prévaloir, car il constitue le seul moyen de résorber la crise, est un dialogue de réconciliation assortie de préalables dont les caractéristiques essentielles sont les suivantes :

1°) il doit être organisé sous l’égide et la supervision de la Communauté internationale (l’ONU, l’Union africaine, l’Union Européenne) ;

2°) il doit être inclusif et intégrer la diaspora, les jeunes, les politiques, les vieux, les professionnels et les religieux ;

3°) il doit être précédé de l’acceptation par le gouvernement d’une enquête sous supervision internationale sur les exactions postélectorales (évaluer le nombre de morts, le nombre de victimes, les identifier, en déterminer les auteurs), assortie de l’engagement du gouvernement d’indemniser les familles afin de leur permettre de faire le deuil de leurs parents disparus, d’une part, et toutes les autres victimes, d’autre part. Le pays pour être réconcilié doit connaître le nombre exact de victimes des dernières exactions et la nature des dommages subis ;

4°) la relaxe de tous les personnes incarcérées et arbitrairement mises aux arrêts avant l’élection et à l’occasion des violences postélectorales, les faires examiner par des médecins commis par la communauté internationale et assurer, le cas échéant, leur prise en charge et leur indemnisation par le budget de l’Etat.

Ne laissant aucun champ aux aventuriers et autres apprentis sorciers de tous bords, le dialogue doit en définitive, sur le fond, porter sur les conditions de départ de Monsieur Ali BONGO ONDIMBA, un départ négocié et pacifique.

Le dialogue postélectoral devra enfin avoir pour seule issue une transition politique, qui ouvrira droit à une élection présidentielle apaisée, qui redonnerait au Gabon sa crédibilité internationale.

Le mot de fin Professeur ?

Ainsi que je l’ai toujours affirmé, une victoire n’est vraiment exaltante que lorsqu’elle est partagée. Nous avons des divergences de vue, des opinions opposées sur bien des questions. Mais s’il y en a une qui doit nous unir, c’est l’intérêt supérieur de notre nation. De ce point de vue, aucun sacrifice n’est trop grand. J’en appelle alors à la conscience des hiérarques de ce pays qui ont contribué à le mettre sous contrôle en prenant les leaders politiques en otage. J’en appelle enfin aux deux protagonistes que sont Ali BONGO ONDIMBA et Jean PING, de faire prévaloir l’intérêt supérieur du pays en se mettant tous les deux hors jeu. C’est la seule façon de ramener la sérénité dans notre pays et de lui éviter l’image peu reluisante du feuilleton Dallas auprès de la communauté internationale, autrement dit la réduction des problèmes de l’Etat à ceux d’une famille (ce que malheureusement les Gabonais ont vécu au cours des cinquante dernières années). Le Président François HOLLANDE vient de leur en donner la leçon. Ils finiront, s’ils opèrent ainsi, au « Panthéon » des grands hommes de ce pays car les générations futures leur en seront reconnaissantes.

Je vous remercie !

Interview publiée dans La Loupe du vendredi 9 décembre 2016

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