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CHRONIQUE: « L’Afrique ne peut rien attendre de positif du nouveau président français »

Pour notre chroniqueur, la « naïveté » affichée par le candidat Macron pendant la campagne sera rapidement broyée par les « rouages de la machine françafricaine ».

C’est fait : sans surprise, Emmanuel Macron est le nouveau président de la France. Du point de vue africain, comme à chaque élection présidentielle française, de nombreux citoyens à travers le continent se demandent ce qu’ils doivent attendre – de « positif » – du nouveau locataire de l’Elysée. Supposons pour les besoins de la cause que cette question soit légitime. La réponse est « rien », pour au moins deux raisons.

La première est que la politique africaine de la France dépend avant tout d’un système. Ce dernier est constitué d’un réseau de conseillers, de lobbyistes, d’experts, qui sont tous, d’une manière ou d’une autre, héritiers d’une école de pensée dont ils ne se déferont pas facilement. En cette matière comme dans d’autres, comme disait Auguste Comte, les « morts gouvernent les vivants ».

Découverte de la tragédie rwandaise

La deuxième raison m’a été révélée par hasard. Dans le cadre de la 23e commémoration du génocide des Tutsi au Rwanda, un débat qui réunissait des chercheurs a été organisé récemment à Kigali. Parmi les participants se trouvait un éminent universitaire français, professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste des crimes de masse, Stéphane Audouin-Rouzeau. Celui-ci avait 40 ans en 1994, au moment du génocide, et c’était déjà un universitaire confirmé.

A priori, si une catégorie de citoyens français devait être informée, à l’époque, de la tentative d’élimination des Tutsi du Rwanda, M. Audouin-Rouzeau en faisait partie. Et pourtant, cet événement lui a totalement échappé. Dans un livre publié en janvier au Seuil, Une initiation.
Rwanda (1994-2016), l’universitaire raconte son aveuglement et par la suite sa découverte, à l’occasion d’un déplacement professionnel dans le pays, de la tragédie rwandaise.

Devant un public interloqué, il a expliqué son aveuglement par ce qu’il a appelé un « racisme inconscient », qui frapperait la communauté des Français. En clair, parce que l’entreprise d’extermination en question concernait des Africains, son esprit n’était pas attentif. M. Audouin-Rouzeau a eu le mérite d’admettre ce qui est à la fois un tabou et une réalité d’autant plus dommageable qu’elle est impensée.

Un terme au soutien des dictatures africaines

Ce « racisme inconscient », qui imprègne en effet les rapports France-Afrique depuis le début, explique en partie pourquoi, à l’instar de celle de ses prédécesseurs, la politique française de M. Macron s’articulera nécessairement autour du triptyque « humanitaire » (aide au développement), « sécurité » (opérations de lutte contre le terrorisme, etc.), et « business ». Plus généralement, il explique pourquoi, peu importe le contexte géopolitique du moment, la vision française de l’Afrique est identique : le continent est perçu comme un problème, un instrument de puissance, une chasse gardée.

Cette dernière dimension s’incarne dans la fameuse Françafrique. Celle-ci obsède les Africains, qui rêvent du jour où arrivera un président français qui mettra un terme au soutien des dictatures africaines, aux réseaux occultes qui alimentent la corruption des Etats, et à toute une série de dispositifs coloniaux – le franc CFA par exemple – qu’ils exècrent. Cela n’arrivera pas, car la Françafrique est une bénédiction pour la France. Elle garantit son emprise sur les pays d’Afrique francophone.

De ce point de vue, en tant que rouages essentiels de la machine françafricaine, les autocrates africains sont les meilleurs alliés des intérêts français en Afrique. Si jamais il est naïf – sait-on jamais –, M. Macron ne tardera pas à s’apercevoir de l’avantage, pour la France, d’avoir à la tête des Etats d’Afrique francophone des dirigeants illégitimes. Il comprendra que la victoire de la démocratie formelle (la succession d’élections inutiles) sur la démocratie réelle (le pouvoir entre les mains des Africains) lui donne une influence inouïe sur les pays du pré carré français.

A la périphérie de l’Histoire

Il se rendra compte que la grande « chance » de la France, c’est que l’Afrique francophone est à la périphérie de l’Histoire : soumise politiquement, soumise économiquement, soumise militairement, soumise intellectuellement. Dans le prolongement de ses prédécesseurs, M. Macron pratiquera donc une politique africaine « réaliste » : il cajolera la grande endormie dans les mots – « partenariat gagnant-gagnant », « relation d’égal à égal », etc. –, pour mieux la dominer dans les faits.

Ce ne sera que l’ordre des choses : en fait de politique étrangère, les grandes puissances n’ont que des politiques de domination. Tout indique que l’Afrique francophone sera de fait sous tutelle pendant encore longtemps. Un signe qui ne trompe pas : dimanche soir, les ministres des affaires étrangères des pays du continent étaient réunis à Kigali pour examiner l’état d’avancement d’un ambitieux projet de réforme de l’Union africaine, dont l’un des objectifs principaux est de rendre cette institution indépendante des grands pays qui la financent. Ce projet est important sur les plans politique et symbolique. Mais c’est peu de dire que la jeunesse d’Afrique francophone a autre chose en tête que le sort de l’Afrique. Dimanche soir, partout dans cette partie du continent, elle célébrait la victoire du nouveau président français. Comme une allégeance au nouveau président de l’Afrique francophone.

Yann Gwet est essayiste camerounais.
chroniqueur Le Monde Afrique

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