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Stade Rennais. Du Gabon à Rennes, la saga Do Marcolino

Le papa, Fabrice, a débarqué du Gabon au centre de formation du Stade Rennais en 1999 avec l’obsession de devenir professionnel en Europe, ce qu’il a fait. Vingt-et-un ans plus tard, son fils aîné, Alan, vient de signer stagiaire pro au SRFC. Et deux autres petits Do Marcolino suivent. Une saga familiale rare, racontée par le premier de cordée.

C’est Fabrice qui parle fort, qui fait des grands gestes à la table d’un café du centre-ville de Rennes, sa ville, au loin les fourgons des CRS en faction qui se préparent à une nouvelle manifestation contre le racisme et les violences policières. Il dit : Le racisme ne date pas d’aujourd’hui. On a juste la chance que la parole soit libérée. On veut que ça change. Il n’y a qu’une seule race sur notre planète : c’est la race humaine. Tout le monde doit comprendre cela.

Lui est arrivé à Rennes en 1999, il avait seize ans. Il fut l’un des premiers joueurs gabonais à gagner l’Europe après Shiva N’Zigou qui avait rejoint Angers puis le FC Nantes, et Yannick Mendame (Bordeaux), deux amis de la famille. C’était son obsession d’enfant, dans ce quartier populaire de Libreville où dès qu’il a pu capter la télévision, il se goinfrait des matches de Ligue des Champions et du FC Nantes de Coco Suaudeau, du jeu à la nantaise des Pedros, Loko, Ouédec, Makélélé. Il ne vivait pas dans la pauvreté, il vivait avec sa mère employée de banque et son frère Arsène, milieu modeste, un papa international gabonais et connu dans le pays, assez peu présent.

Il jouait sur un terrain de terre rouge. Je jouais au FC 105 de Libreville, club le plus titré du Gabon, dont mon père était le cofondateur. Et je rêvais d’Europe mais c’était quasiment impossible, inaccessible. Le Gabonais vivait bien chez lui. Le championnat était d’un bon niveau, la vie n’était pas trop chère à l’époque, les mecs étaient à l’aise au bled.

Il partait le matin, rentrait le soir, jouait jusqu’à l’épuisement. Contre des grands, des seniors, je n’avais peur de rien ni personne. Ça créait des problèmes avec ma maman, elle serrait la vis. Au niveau scolaire, j’étais capable, mais je n’aimais pas ça. Je n’attendais qu’une chose : les week-ends et les vacances. Je me levais le matin, je prenais mon petit-déjeuner, je faisais ma toilette, je me brossais les dents et je partais. J’enchaînais les tournois, quatre ou cinq par jour, 10 h, 14 h, 16 h, 18 h. Je rentrais le soir, je dormais, je repartais le lendemain, tôt.

Il inquiétait donc sa mère, qui un matin, après quelques avertissements, décida de l’enchaîner à son lit pendant son sommeil. Ordre donné au cousin, alors qu’elle partait travailler, de ne le détacher que pour la toilette, puis de l’enchaîner à nouveau à une chaise. Ça a duré un mois. Tout un mois de juillet. Je me déplaçais avec la chaise toute la journée collée aux fesses. Je regardais les gars jouer sur le terrain, en face, depuis la fenêtre. J’étais fou. Elle lui répétait : Le football, Fabrice, c’est compliqué ici au Gabon, encore pire pour aller jouer en Europe.

Avec son argent de poche, Fabrice Do Marcolino achetait Onze Mondial et France Football. Dedans, il y trouvait les annonces des stages « Jean-Michel Larqué ». Et puis toutes les adresses postales des clubs français. Alors je poussais mes livres sur le côté de la table et j’écrivais des lettres, en cachette. Je candidatais. À la main, sur des feuilles blanches, avec des fautes. Et je les envoyais au Stade Rennais, au FC Nantes, au Havre, à Auxerre, partout. Je faisais ça tous les mois. Sans jamais recevoir de réponse en retour.

Enchaîné à une chaise pendant un mois

Fabrice Do Marcolino avait du talent et a fini par se faire une petite réputation locale. Meneur de jeu, gaucher, fin, efficace devant le but. On résume : il intègre la sélection qui doit participer au Mondial minimes de Montaigu. Sa mère commence à comprendre que peut-être… Avant de décoller, elle lui dit que ce sera sa seule et unique chance, contracte un prêt pour lui payer les billets d’avion. Lui s’est acheté à la friperie du coin des chaussures rouges à crampons parce qu’il voulait se faire remarquer en Vendée, devenir ce joueur aux souliers rouges qui marque des buts.

Ce qu’il fera. Deux passes décisives en ouverture contre la France de Faty et Aliadière. Un but et une passe décisive contre l’Angleterre pour son compère Stéphane N’Guéma. Une photo devant le car du Stade Rennais avec Shabani Nonda peint en grand dessus, en guise de souvenir. Retour à Libreville, content de lui. Un certain Guy Hillion, recruteur au FC Nantes, avait déjà appelé alors qu’il était encore dans l’avion. Il l’apprend. S’assoit dans le canapé face au téléphone fixe de la maison figé pendant des heures jusqu’à ce qu’il sonne à nouveau. On résume : un derby Nantes – Rennes se joue alors sur son avenir. Rennes lui demande de venir faire un essai. Il refuse. Hillion lui promet qu’il va venir le chercher. Rennes double finalement Nantes et envoie un émissaire au Gabon. Il signe le contrat deux jours plus tard et c’était parti pour l’Europe, un centre de formation, un vrai, la séparation, un mode de vie, des codes à appréhender.

Sa carrière le mènera à Angoulême en prêt, à un contrat pro en 2003, à un second prêt à Amiens, barré par Pierre Dréossi et une concurrence faste, puis des signatures à Vannes, Angers, Laval, plus de quarante sélections en équipe national du Gabon, etc…

Vingt-et-un ans plus tard. Son fils aîné, Alan, vient de signer un contrat de stagiaire pro au Stade Rennais. Il est grand, droitier, fin, capitaine des U18. Suivent Henrick et Jonathan Do Marcolino, plus jeunes, dont les contrats sont verrouillés jusqu’en 2024. Il dit : J’ai débroussaillé la route. Lorsqu’Alan a signé, il s’est passé beaucoup de choses dans ma tête. De l’émotion, de la fierté. Mes fils sont bien encadrés, ils emprunteront leur propre chemin. Les choses ne seront pas faciles, surtout quand on a un papa qui est déjà au club (il est recruteur pour le centre de formation sur l’Ille-et-Vilaine). Les gens peuvent penser que c’est du piston. Non, je considère que mes enfants sont mis à l’épreuve comme les autres.

Alentours, les fumées et l’odeur des gaz lacrymogènes. Lui : Je ne me suis jamais senti Noir à Rennes et si ça avait été le cas, je n’aurais jamais amené mes enfants. Rennes a été une magnifique terre d’accueil. Il dit : Quand je pense que cela a commencé par les rêves d’un enfant gabonais, loin là-bas, par des petites lettres écrites à la main en classe, des adresses piochées dans Onze Mondial et France Football…

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