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Face aux exigences de l’OPEP, le Gabon à l’heure des choix

Alors qu’il fait face à une crise sanitaire sans précédent, le Gabon est appelé par l’OPEP à réduire sa production de pétrole de près d’un quart: moins de production, moins de revenus pour le pays et pour l’ensemble du secteur pétrolier… les emplois de milliers de Gabonais sont en jeu.

En avril dernier, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, en coopération avec la Russie dans le cadre de l’OPEP+, a pris une décision d’une ampleur sans précédent en s’engageant à réduire sa production de près de 10 millions de barils/jour. Perçue par les marchés à l’époque comme le seul moyen d’enrayer la baisse des cours du pétrole en réduisant l’offre, cette coupe drastique a pourtant des conséquences très lourdes pour les membres les plus fragiles de l’OPEP, tout particulièrement en Afrique.

Le Gabon est l’un des grands perdants de la politique décidée par l’OPEP (autrement dit par l’Arabie saoudite qui représente 60% de la production du consortium). Le pays doit réduire sa production de 23%, soit quelque 50 000 barils/jour, ce pour au moins six mois. Mais ce qui est considérable au niveau du Gabon est en réalité dérisoire par rapport à la production mondiale (environ 100 millions de barils/jour). Avec respectivement 11 et 10 millions de barils/jour produits, l’Arabie saoudite et la Russie sont les véritables maîtres du jeu. Ce qui est encore plus choquant dans la crise actuelle, c’est qu’elle résulte d’abord de la guerre commerciale que se sont livrées la Russie et l’Arabie saoudite début 2020, avant même que les effets dévastateurs du Covid-19 ne soient pleinement perçus.

Aujourd’hui, le Gabon est sommé de participer à l’effort de réduction de l’offre, dans l’espoir – illusoire car la baisse est si petite au niveau mondial – de faire remonter les prix du baril. Mais quel intérêt a-t-il à le faire ? Aucun et ce pour quatre raisons essentielles.

La première est macro-économique. Tous les producteurs de pétrole ne sont pas égaux. Tandis que des pays comme l’Arabie saoudite ou la Russie ont des réserves de change abondantes et peuvent équilibrer leur budget pour un baril à des prix relativement bas, le Gabon est, comme d’autres pays producteurs de pétrole en Afrique, extrêmement dépendant de ses exportations d’hydrocarbures pour financer ses dépenses publiques et son économie. Alors que le prix du pétrole s’est effondré, l’auto-imposition de baisses drastiques de la production relève du suicide économique et social, tout particulièrement dans le contexte de la pandémie de Covid-19.

Deuxièmement, c’est le secteur pétrolier gabonais, fleuron de l’économie nationale, qui est gravement mis en danger. Ceci alors que le gouvernement affichait encore récemment son ambition de redresser la production, avec déjà une reprise à la hausse constatée en 2019. Ce qu’il faut comprendre ici, c’est que les investissements consentis par les compagnies pétrolières, notamment dans l’exploration et les campagnes de forage, sont réalisés sur plusieurs années. Si elles se trouvent dans l’obligation de réduire leur production, elles n’ont d’autre choix que d’interrompre leur programme d’investissement, avec des effets négatifs à long terme sur la production et sur le niveau des réserves, lequel est un paramètre essentiel pour le financement de leur activité auprès des banques. S’engage alors un cercle vicieux où la baisse des investissements entraîne par ricochet une diminution des réserves, un durcissement des conditions de financement et donc, in fine, des investissements.

La troisième raison concerne tout particulièrement les sociétés gabonaises de service au secteur pétrolier. Confrontées à des perspectives baissières, les compagnies pétrolières vont pour la plupart d’entre elles arrêter de recourir aux fournisseurs locaux. Ces derniers, déjà très fragilisés par les précédentes crises de 2014 et 2016, sont au bord de l’asphyxie – comme le prouve l’exemple de la société Caroil qui vient de licencier 51 employés. La décision de l’OPEP, qui s’ajoute à la crise du Covid-19, à la crise économique mondiale et à la chute des cours du pétrole, va porter un coup fatal à ces acteurs essentiels de l’économie réelle et provoquer la perte de milliers d’emplois qualifiés. C’est toute une politique de promotion du local content qui est compromise, sans compter la crise sociale de grande ampleur qui va en découler.

Enfin, le brutal ajustement imposé par l’OPEP compromet les efforts de diversification économique du Gabon, alors même que l’on constate à quel point la dépendance aux hydrocarbures est un piège dangereux. Le pays s’est engagé avec détermination dans des réformes de fond afin de réduire sa dépendance aux hydrocarbures. Mais ce plan nécessite de réinvestir la manne pétrolière pour soutenir d’autres industries et investir dans les infrastructures du pays. Comment financer des plans de développement à long terme si l’on est dans l’obligation de réduire ses recettes ?

Le Gabon ne peut plus se payer le luxe de jouer le jeu des grandes puissances au détriment des intérêts à long terme du pays. La question des quotas imposés par l’OPEP a des implications tellement plus lourdes que la stabilisation à court terme du prix du pétrole qu’il est légitime de se demander ce qui pousse le gouvernement à poursuivre cette politique. Il est à craindre que les liens personnels et financiers entre les dirigeants gabonais et saoudiens ne soient en train de faire passer l’intérêt des citoyens gabonais au second plan.

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