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BP, Shell, Total… Pourquoi les majors accélèrent leur transition

L’épidémie de coronavirus a accru la pression sur les pétroliers européens pour qu’ils réduisent davantage leur empreinte environnementale.

En février dernier, juste avant que la pandémie mette un coup de frein à la croissance mondiale et à la demande d’hydrocarbures, la compagnie BP annonçait qu’elle visait la neutralité carbone d’ici à 2050. Elle promettait de réduire de 40 % sa production et d’investir massivement dans les énergies renouvelables.

La major britannique emboîtait ainsi le pas aux autres pétroliers européens, l’anglo-néerlandais Shell, le français Total, l’italien Eni et le norvégien Equinor, tous ayant annoncé auparavant des plans de réduction de leur empreinte carbone.

LA CRISE DU COVID-19 A RÉVÉLÉ DES FRAGILITÉS DE NOTRE SYSTÈME GLOBAL

Contraintes par les politiques et les réglementations de l’Union européenne, qui visent désormais zéro émission de gaz à effet de serre (GES) d’ici à 2050, et sommées par les opinions publiques et par une partie grandissante de leurs actionnaires et de leurs partenaires de changer leur mix énergétique, les compagnies pétrolières européennes ont négocié il y a trois à quatre ans un virage « vert », que la situation sanitaire devrait accentuer.

Un choc propice aux prises de conscience

« La crise du Covid-19 a été un choc pour tout le monde, elle a révélé des fragilités de notre système global. Le confinement s’est imposé à tous, indépendamment de la nationalité, du métier, de la richesse ou de la pauvreté, ainsi qu’à toutes les industries. Cette pandémie suscite des interrogations au sujet de la biodiversité, des systèmes de santé, des stratégies de développement économique, des rapports Nord-Sud, du partage de la valeur ajoutée, et pointe nombre de risques, dont ceux affectant le climat », relève Grégoire Cousté, délégué général du Forum pour l’investissement responsable.

CRISES SANITAIRE ET CLIMATIQUE SONT DÉSORMAIS LIÉES

Dans ce contexte, le dépôt d’une résolution climat à l’encontre de Total lors de sa dernière assemblée générale, en mai 2020, est une première. Déposée par onze investisseurs européens, parmi lesquels Meeschaert Asset Management, Crédit Mutuel Asset Management, Actiam, Candriam, La Banque Postale Asset Management (LBPAM), cette résolution avait pour objet de modifier les statuts de Total afin de fixer des objectifs de réduction en valeur absolue des émissions directes et indirectes de GES provoquées par la production et la transformation d’hydrocarbures ainsi que par leur utilisation par les clients finaux, dans le respect de l’accord de Paris.

« Crises sanitaire et climatique sont désormais liées par un nombre croisant de partenaires du secteur énergétique », fait valoir Aurélie Baudhuin, chargée de la recherche ISR chez Meeschaert AM et porte-parole du groupe dans le dépôt de la résolution climat. Celle-ci n’a pas été adoptée mais a néanmoins recueilli 16,7 % des voix, ce qui est un « succès », sachant que des acteurs comme BNP Paribas se sont abstenus parce qu’ils ont choisi un autre canal de dialogue avec le pétrolier français via la coalition Climate Action 100+.

« En France, une résolution déposée en assemblée générale est contraignante. C’est pour cela qu’en général le taux d’abstention est faible, autour de 0,5 %. Pour cette résolution, le taux d’abstention a été de 11 %, ce qui est extrêmement significatif et montre l’intérêt manifeste d’un quart des actionnaires de Total pour cette problématique du climat », pointe Aurélie Baudhuin.

Des dizaines de milliers de suppressions d’emplois

Le Covid-19 aura bouleversé les perspectives pétrolières. La baisse de la demande mondiale et des prix a rogné les revenus des majors, qui prévoient désormais des dizaines de milliers de suppressions d’emplois. Les déclarations et les décisions des compagnies européennes après la première vague de l’épidémie indiquent une réallocation du capital – timide pour l’instant, mais réelle – dans les énergies vertes.

« Le contexte est très favorable pour interroger les plans de développement des grandes compagnies. Avec des prix aussi bas, les entreprises sont dissuadées de produire du pétrole et du gaz non conventionnels, qui ont un fort impact négatif sur l’environnement », se réjouit Luisa Florez, responsable de l’équipe de gestion et recherche thématiques durables à LBPAM.

Après une perte record de 21,6 milliards de dollars au second trimestre de 2020 et des dépréciations d’actifs passées pour 13,5 milliards de dollars, BP a annoncé à la fin de juillet que les dividendes distribués seraient divisés par deux par rapport au trimestre précédent.

LA DEMANDE DE PÉTROLE METTRA PLUSIEURS ANNÉES À SE REDRESSER, SI ELLE SE REDRESSE UN JOUR

Dans le même temps, son PDG, Bernard Looney, a réitéré son engagement d’investir 5 milliards de dollars par an dans les énergies renouvelables et de multiplier par vingt, d’ici à 2030, les capacités installées dans l’éolien, le solaire et l’électricité. Et continue de parier sur le gaz naturel liquéfié (GNL), avec l’entrée en exploitation de son mégaprojet gazier offshore de Grand-Tortue, à cheval sur la frontière maritime entre le Sénégal et la Mauritanie, aux réserves estimées à 450 milliards de mètres cubes de gaz, attendu en 2023.

« Résilience du modèle économique »

De son côté, soucieux de la « résilience de son modèle économique », Royal Dutch Shell entend devenir le « numéro un mondial » de l’électricité tout en misant également sur le GNL. Malgré de sérieuses pertes de 17 milliards de dollars au bilan du second semestre, le groupe anglo-néerlandais a pris la décision, aux côtés de ses partenaires, d’investir pour augmenter ses capacités de production de GNL au Nigeria, avec l’ajout d’un septième train de liquéfaction pour porter sa production à 30 millions de tonnes par an.

TOTAL VA CONTINUER D’INVESTIR DANS LES ÉNERGIES RENOUVELABLES ET L’ÉLECTRICITÉ BAS CARBONE

Le directeur de Shell, Ben Van Beurden, estime que « la demande de pétrole mettra plusieurs années à se redresser, si elle se redresse un jour » – contrairement à celle de GNL, appelée selon lui à doubler d’ici à 2040.

De la même manière, Total, qui accuse 8,4 milliards de dollars de pertes nettes au second trimestre de 2020, se retire de projets pétroliers matures au Gabon, et a abandonné l’acquisition des actifs africains d’Anadarko au Ghana et en Algérie, croit beaucoup au GNL. En pleine crise sanitaire, Total semble marquer son engagement en faveur du climat avec de nouveaux investissements dans les énergies renouvelables (à l’image de sa ferme solaire sud-­africaine de Prieska), ainsi que dans l’électricité bas carbone pour 2 milliards de dollars, soit 15 % des dépenses totales en capital (Capex).

Le projet mozambicain de Total fait controverse

Au début de juillet, le français a rejoint la « Coalition pour l’énergie de demain » aux côtés de dix autres grandes entreprises internationales, dont CMA CGM, Engie, Faurecia, en vue d’accélérer la transition énergétique du transport et de la logistique. Cette coalition planche sur le développement de l’utilisation du GNL – présenté comme une alternative durable et bien moins émettrice de GES que les autres carburants fossiles –, de l’hydrogène vert, des biocarburants et du biogaz.

Malgré la crise, le géant français piloté par Patrick Pouyanné a obtenu à la mi-juillet un financement de 14,9 milliards de dollars pour le développement à terre d’une usine de production de GNL au Mozambique, qui comprendra la construction de deux trains de liquéfaction d’une capacité totale de 13,1 millions de tonnes par an.

POUR ATTEINDRE LEURS OBJECTIFS DE NEUTRALITÉ CARBONE, LES MAJORS DEVRAIENT INVESTIR AU MOINS 10 MILLIARDS DE DOLLARS PAR AN

Total détient déjà des participations relativement modestes dans des usines de liquéfaction au Nigeria, en Égypte et en Angola, mais le développement de son projet mozambicain fait controverse. Dans un rapport paru en juin, l’ONG Les Amis de la Terre s’interroge sur l’empreinte carbone de l’exploitation du GNL mozambicain, « véritable bombe climatique », et qui pourrait selon elle « générer autant de gaz à effet de serre que sept années d’émissions de la France ».

Si elles sont plus avancées que leurs rivales américaines Exxon et Chevron, qui continuent de croire au pétrole et au gaz de schiste, les majors européennes ont encore un long chemin à parcourir. Selon un rapport publié à la fin de juillet par l’Institute for Energy Economics and Financial Analysis, pour atteindre leurs objectifs de neutralité carbone d’ici à 2050, Shell et Total devraient investir au moins chacun 10 milliards de dollars par an dans les énergies renouvelables, soit 50 % de leurs dépenses en capital, contre aujourd’hui 5 % et 10 % respectivement.

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