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Interview de Siméon Ekoga: « Bongo a mené le Gabon à une faillite épouvantable »

National Magazine »: Votre mouvement politique nommé Bongo Doit Partir, pour la construction d’un Gabon nouveau (BDP-Gabon Nouveau), se situe dans quelle famille politique au sein de l’opposition gabonaise ?

Siméon Ekoga : Le BDP se situe résolument dans l’opposition nationaliste gabonaise. Certains parleront de radicalisme, vu que nous nous proposons d’épurer le système de la gangrène que représente le« bongoïsme » au Gabon par tous les moyens possibles.

 Mais notre radicalisme, si on veut, est un radicalisme qui vise au salut national, à la restitution de sa dignité au peuple gabonais. Nous sommes donc pour un changement radical du système politique gabonais et sommes prêts à travailler avec tout autre groupe gabonais qui se réclamerait du patriotisme nationaliste qui nous caractérise. Et quand je dis nationalisme, je ne fais aucune référence à une quelconque idéologie. Je parle tout simplement de l’amour que nous avons pour notre pays et du souhait que nous exprimons de voir ce pays retrouver sa dignité.

Le BDP est né le  9 décembre 1998, à Montclair, dans le New Jersey aux Etats-Unis. Vous considérez-vous comme un mouvement d’exilés politiques ?
 
 
L’exil est un terme relatif. Il ne dépend pas de la situation géographique. Bon nombre de groupes politiques qui sont au Gabon aujourd’hui vivent un exil interne. Ils sont bâillonnés par le système Bongo et n’arrivent ni à s’exprimer, ni à fonctionner valablement comme opposition. En cela, nous ne nous sentons pas du tout plus exilés que qui que ce soit. Certes, notre direction se trouve officiellement à l’étranger, mais les tentacules politiques et stratégiques du BDP s’étendent jusque dans les moindres recoins du Gabon. C’est dire que notre présence au Gabon est effective, mais pas forcément sous la forme classique du terme. Un jour, nous surgirons officiellement sur la scène politique gabonaise et beaucoup seront surpris de l’ampleur de notre présence au Gabon. L?histoire nous a montré que pour lutter efficacement contre les régimes aussi dictatoriaux que celui de Bongo, il est bon de se trouver hors de son emprise directe. En cela nous estimons avoir une position avantageuse par rapport à nos compatriotes qui sont sur place au Gabon, et qui par le fait de la répression, ne peuvent avoir la même liberté de mouvement, de parole, et d’action que nous. Et puis ne dit-on pas ; « Si la citadelle ne peut pas être prise de l’intérieur, il faut la prendre de l’extérieur. » 
Comme je le disais tantôt, tout le monde est plus ou moins contraint à l’exil au Gabon. Certains sont contraints à un exil interne, d’autres à un exil externe. Cependant, le fait que la direction du BDP se trouve à l’étranger ne devrait point confondre les gens. Le BDP dispose de membres au Gabon et à l’étranger.
Les Gabonais adhèrent-ils à vos idées ?
La grande majorité des Gabonais souhaite ardemment depuis de nombreuses années le départ de bongo. La preuve nous en a été administrée encore par l’abstention record (plus de  80%) aux dernières élections législatives. Le BDP, qui depuis sa création dit haut et fort sa volonté de voir Bongo quitter les rênes du pouvoir au Gabon, s’inscrit dans la droite ligne du désir des Gabonais. Nous pouvons donc affirmer que l’immense majorité des Gabonais, celle là qui à 80% s’est abstenue de voter aux dernières élections législatives, est Bdpiste. Son refus de cautionner le régime Bongo représente un élan d’adhésion sans équivoque aux idéaux défendus par le BDP.
Votre combat  est pour le départ du président Bongo comme le démontre votre appellation. Le BDP disparaîtra t-il après le départ de  celui-ci ?
 Quand nous disons que Bongo dot partir, nous ne voulons pas dire uniquement Bongo en tant qu’individu. Nous parlons bien ici de démanteler tout un système. Parce que Bongo a institué au Gabon ce que nous appelons le « bongoïsme », c’est-à-dire tout ce qui a mené le Gabon à la banqueroute généralisée.  La suppression du régime ne suffira pas pour faire disparaître le bongoïsme car il nous faudra par la suite nous attaquer aux effets durables. Ce n’est que quand le Gabon aura été nettoyé du bongoïsme que le BDP considérera sa mission accomplie. Alors, le BDP se fondra dans un paysage politique normalisé et il lui sera loisible d’envisager son avenir, en tenant compte de la réalité du moment.
Vos griefs portés contre le régime Bongo ?
La liste serait trop longue à énumérer. Nous disons, nous, que Bongo a assassiné le Gabon dans l’âme et dans le corps. Il a tué le potentiel économique de notre pays en instaurant un système de corruption et de clientélisme qui a laissé le pays totalement exsangue. Aujourd’hui, plus de 60% des Gabonais vivent encore sous le seuil de pauvreté alors que le pays regorgea pendant longtemps d’immenses richesses qui auraient dû en faire un paradis sur terre. A cause de Bongo, le Gabon devient petit à petit un pays cimetière dans lequel le peuple passe plus de temps à enterrer ses morts qu’à fêter des naissances. La preuve, l’espérance de vie des Gabonais se situe aujourd’hui sous la barre de 50 ans, et n’a guère beaucoup évolué depuis l’ère de Léon Mba (le premier Président du Gabon). En fait, nous considérons aujourd’hui que le Gabon vit déjà une guerre civile. C’est le seul pays au monde où plus de gens meurent en temps de paix qu’en temps de guerre civile. Pire, c’est le seul pays au monde où, avec un revenu par habitant supérieur à celui de la Chine, de la Russie et autres pays industriels, des milliers d’enfants meurent de malnutrition et la population meurt de misère. Les 35 ans de pouvoir Bongo ont mené le pays à une faillite inacceptable. Pour nous, il s’agit d’un véritable génocide économique pour lequel le régime Bongo devrait être jugé pour crimes contre l’humanité. Nos griefs contre le régime Bongo sont donc portés à tous les niveaux de la vie sociopolitique, culturelle et économique de notre pays. Voilà pourquoi nous disons que Bongo doit partir si les Gabonais veulent un jour pouvoir reconstruire valablement leur pays.
Concrètement, qu’est-ce que le BDP compte apporter de nouveau sur l’échiquier politique gabonais ?
La décence, la dignité, la responsabilité, le patriotisme et l’amour d’un pays que nous devons servir et non exploiter. Aujourd’hui, la politique telle qu’elle se pratique au Gabon ne répond pas à ces critères, « les politiciens » gabonais donnent plutôt l’impression d’avoir vendu leur âme au diable en s’asseyant à la table des convives dressée par Bongo. Au Gabon, on se lance dans la politique pour se remplir les poches au détriment du peuple. Nous voulons monter qu’au Gabon, on peut faire de la politique pour l’intérêt général et non l’intérêt personnel. Nous voulons montrer qu’une manière compétente de gérer notre pays peut transformer positivement le quotidien des Gabonais. Nous voulons montrer à tous qu’en 5 ans, nous pouvons faire ce que Omar Bongo et son régime n’ont pas pu accomplir en 35 ans. D?où notre insistance sur une réforme politique préalable au Gabon, car rien de bon ne peut sortir du système politique actuel, un système qui se prête trop aux dérapages que nous vivons sous le « bongoïsme » actuel. Nous voulons donc réformer la manière de faire la politique au Gabon en instituant un véritable état de droit, étant entendu qu’un système politique basé sur l’état de droit, le respect et l’application scrupuleuse des lois de la nation sera forcément bénéfique pour tous.

Si vous parvenez au pouvoir, comment comptez-vous gouverner le Gabon ?
Gouverner un pays comme le Gabon peut se faire les yeux fermés. Il s’agit d’abord d’instaurer un état de droit dans lequel personne ne se situera au-dessus de la loi. Il y a état de droit quand, par exemple, un ministre qui vole son pays encourt la prison tout autant que le policier qui soutire des sous au taximan dans la rue. Le BDP a un plan de gestion du Gabon qui fera qu’en 5 ans, nous aurons supprimé la corruption, restauré l’état de droit et relancé le pays sur la voie du progrès économique. Il nous faudra donc appliquer un certain nombre de mesures politiques qui consolideront la démocratie au Gabon et mettre en place des mesures économiques qui amèneront le plein emploi, les investissements étrangers et la construction d’un tissu économique digne de ce nom dans lequel les Gabonais eux-mêmes joueront un rôle de premier plan. Ceci veut donc dire que le BDP ne s’intéresse pas au pouvoir avec le but de s’y éterniser. Au contraire, nous verrions notre accession au pouvoir au Gabon comme une transition. Cette transition, nous la fixons à 5 ans car nous pensons que c’est largement suffisant pour réformer le pays et assurer la relance économique. Nous laisserons alors le pouvoir à ceux qui le veulent, après nous être assurés qu’aucun régime ne pourrait plus jamais manipuler le pays à son profit. C’est cela la force de l’état de droit. L’état de droit assure une stabilité exemplaire car tout régime qui arrive au pouvoir est forcé de se plier à la loi de la nation et ne peut donc négativement manipuler, comme Bongo le fait aujourd’hui, la loi du pays.
Après ces 5 ans, les Gabonais se seront rendus compte que ce n’est pas en politique qu’ils s’enrichiront, mais plutôt dans le privé. Le tissu économique que nous aurons développé et la politique de monétarisation que nous mettrons en place leur donneront de grandes opportunités dans le secteur privé, et ceci leur permettra d’utiliser leur génie individuel pour s’accomplir. A terme, l’effervescence économique que nous provoquerons profitera au pays tout entier.
L?objectif de tout parti politique est la conquête du pouvoir. Votre formation n’a jamais participé à une seule élection au Gabon. Comment comptez-vous évincer le président Bongo ?
Cette maxime n’est pas forcément vraie. Ce sont les Africains détournés de la « droiture » des choses qui pensent que la politique se résume à la simple quête du pouvoir. Au BDP, nous ne voyons pas les choses de la même manière. La politique est avant tout une vocation de service, un contexte dans lequel le citoyen décide de servir sa nation. S’engager dans la politique est donc avant tout un acte solennel désintéressé qui signifie le désir par un citoyen de servir son pays. Or, servir son pays peut se faire de diverses manières. L’on peut insuffler un changement politique positif dans un pays sans forcément prendre les rennes du pouvoir. Pour le BDP donc, peu importe qui est au pouvoir pourvu que cette personne ou ce groupe travaille véritablement pour le bien du Gabon. Nous pouvons donc évincer, avec le peuple gabonais, Omar Bongo sans forcément conquérir le pouvoir. En d’autres termes, il appartient uniquement au peuple gabonais et à lui seul de décider de qui devra jouer le rôle de serviteur de ce peuple.
Or aujourd’hui, nous savons très bien qu’aucune élection ne peut être gagnée par l’opposition dans le contexte de flou constitutionnel qu’Omar Bongo entretient au Gabon. Participer à des élections, dans ce cas, n’est pas une garantie de succès. Il faut donc, au préalable, réformer de fond en comble le système constitutionnel et légal du pays, afin d’établir, une bonne fois pour toutes, les règles du jeu sur la base des injonctions constitutionnelles et légales de notre pays. Une fois les règles établies et leur respect assuré par les dispositions légales, participer à des élections devient alors quelque chose de faisable car il y a à ce moment la garantie que seul le meilleur gagnera. Or, à ce que nous sachions, Omar Bongo n’a jamais brillé par son respect des dispositions légales et constitutionnelles de notre pays.
Le BDP dit donc qu’il ne participera à aucune élection au Gabon tant que le système politico juridique de notre pays n’aura pas été réformé. Notre combat actuel vise donc à obtenir la réforme par tous les moyens possibles. Il va alors sans dire que Bongo serait forcément évincé dans un tel contexte vu que son régime ne peut survivre dans un cadre réformé où l’état de droit affirme ses prérogatives. Réformer le Gabon veut donc forcément dire éviction de Bongo et de son régime. Il va aussi sans dire que tous ceux qui s’opposeront à la réforme seront balayés par l’élan de changement qui secouera bientôt le Gabon.
Votre préambule parle de faire partir le président Bongo par tous les moyens. Même par la force à l’instar de ce qui s’est passé au Congo avec le retour inattendu au pouvoir de Sassou, son gendre qui a chassé par les armes Lissouba, le président démocratiquement élu ?
 Oui, par tous les moyens possibles. Il n’y a rien de plus clair que cette formule. Elle veut tout simplement dire que c’est Bongo et son régime qui eux-mêmes décideront du sort qui leur sera réservé. S’ils se réforment, ils se sauveront tout en sauvant le Gabon. Le choix est donc le leur: ils peuvent partir dans la paix ou partir dans la débâcle généralisée. Ce sont-là les deux seules options qui leur sont offertes. Il y a donc dans notre formule un message de paix et de réconciliation nationale important. Il appartient donc au régime d’accepter, dès maintenant, la main tendue du peuple.
En  avez-vous les moyens ?
Nous au BDP, nous travaillons pour le peuple et avec le peuple. Mais sachez que Bongo, le « pyromane-pompier » (regardez au Congo-Brazza, au Cameroun en 1984, au Bénin en 1978, en RCA, et même en Côte d’Ivoire en 2002?), que certains médias pour des raisons économiques ont surnommé le « patriarche », va créer des foyers de tension et de guerre, il va récolter ce qu’il a semé. Il ne peut continuer impunément à déstabiliser l’Afrique au profit de l’occident. Qu?il commence par balayer devant sa porte au lieu de le faire chez les autres. Nos moyens pour répondre à votre question, c’est le peuple Gabonais, et tous les peuples qui aspirent à plus de dignité, de responsabilité, de patriotisme, et d’amour pour un pays, voire un continent que nous devons servir et non exploiter au détriment des puissances, acteurs économiques, et lobbies occidentaux. Bongo n’aime ni son pays, ni son continent l’Afrique.
L?on assiste à une recrudescence de prise du pouvoir par les armes. Cette pratique fait école en Côte d’Ivoire et en Centrafrique où une partie de l’armée à la solde d’officiers revanchards ou d’hommes politiques sans visages s’insurge contre les régimes respectifs en place. Quelle est votre opinion sur cette situation ?
C’est la conséquence directe du déficit démocratique qui existe actuellement en Afrique. Dans la plupart des pays Africains, des élections faussement appelées démocratiques ont été organisées, mais le socle sociopolitique est resté le même. Cela veut donc dire que dans de tels régimes, des méthodes de gestion hautement anti-démocratiques sont la norme parce qu’il n’y a jamais eu de réforme réelle au niveau des institutions. Pire, les politiciens dans les pays Africains passent plus leur temps à faire des calculs de survie politique qu’à formuler les politiques de développement qui permettront au peuple de pouvoir enfin voir le bout du tunnel. Bref, l’amateurisme politique reste le problème majeur de nos pays car très peu de leaders africains comprennent vraiment ce que c’est que l’art de faire de la politique. Ils ne comprennent pas que c’est quand on travaille pour le peuple que l’on se garantit un avenir politique réel. A la fin, élu ou pas élu, les leaders africains ne savent pas trop pourquoi ils s’engagent en politique.
Cependant, il y?a des pays en Afrique qui sont des véritables laboratoires de démocratie, et de bonne gouvernance : c’est là que rentrent en compte les acteurs économiques, les puissances occidentales en s’impliquant dans le jeu politique, en finançant des guerres civiles, des rebellions, et tout cela pour préserver des contrats commerciaux? Les assaillants seront par exemple: logés, nourris, blanchis et même entraînés dans un pays limitrophe, avec le soutien de certains pays occidentaux, pour mettre en selle un homme voire un régime à leur solde.
Les « réseaux françafriques » très actifs, sont là pour organiser le chaos, les guerres civiles et la désolation. Ils s’activent pour remettre en selle qui leur plait : cette époque est révolue, et nous  devons combattre avec la dernière énergie ce gangstérisme politique qu’ils veulent nous faire subir. Ils ne veulent pas de nationalistes à la tête de nos Etats, mais des marionnettes à leur solde, et ça nous l’avons compris.
Selon vous, quels rôles devraient jouer l’Union Africaine et les regroupements sous régionaux ?
L?union Africaine, comme la défunte OUA, est composée des mêmes leaders qui aujourd’hui appauvrissent et assassinent leurs peuples. Bref, on ne peut attendre d’eux quoi que ce soit de positif pour l’Afrique. L?on ne peut pas construire une Afrique forte et respectable quand des dictateurs comme Bongo se mêlent à des présidents démocratiquement élus. Nous, au BDP, pensons que les régionalismes représentent la vague du futur. Seulement de tels régionalismes ne peuvent marcher quand dictateurs et démocrates s’assoient sur la même table. Si l’Union Africaine veut se montrer sérieuse, elle doit boycotter et exclure de sa structure tout leader dont l’élection a laissé des doutes.
Interview réalisée à Paris par Clément Yao ? Le National Magazine No. 0012, Décembre 2002-Janvier 2003, pp. 32-33

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