Alors que Benoît XVI effectuait, jeudi 19 mars, la troisième journée de sa visite au Cameroun, le Vatican a tenté de désamorcer les critiques suscitées par les propos du pape sur les méfaits des préservatifs dans la lutte contre le sida.
Selon le Vatican, le pape avait souhaité mettre l’accent sur « l’éducation à la responsabilité, les valeurs du mariage et l’attention aux malades ». Dans le même esprit, Benoît XVI a, de manière imprévue, rencontré une association d’aide aux malades du sida à Yaoundé, la capitale, pour leur exprimer sa « sollicitude ». Ces gestes n’ont pas empêché plusieurs pays d’exprimer leur indignation et leur incompréhension. A l’inverse, des évêques africains ont récusé apporter leur soutien au pape, jugeant notamment que « l’Occident et son hédonisme » cherchaient à imposer à l’Afrique une « seule manière de voir ».
La journée de jeudi devait constituer le temps fort du voyage avec la messe célébrée au stade de Yaoundé devant 50 000 personnes. A l’issue de celle-ci le pape devait remettre aux évêques africains un document de travail en vue du prochain synode sur l’Afrique, prévu en octobre à Rome.
Cette feuille de route est censée donner aux quelque 600 évêques les pistes de réflexion pour améliorer le rôle de l’Eglise dans les sociétés africaines, et y promouvoir « la réconciliation, la justice et la paix ». Le précédent travail de ce genre, mené en plein drame rwandais et conclu par Jean Paul II en 1995, n’a pas porté les fruits escomptés.
Au-delà de ses considérations, le texte d’une cinquantaine de pages, synthèse des réflexions des conférences épiscopales locales, constitue un état des lieux de l’Afrique du point de vue de l’Eglise. Il détaille les maux d’un continent marqué par l’instabilité politique et la pauvreté, drames « dont les sociétés africaines sont en partie responsables et en partie victimes ».
POLITIQUES « CLIENTÉLISTES »
Il met en cause les gouvernements locaux, les puissances étrangères et les multinationales, qui pillent « les ressources naturelles et portent atteinte à l’environnement », et n’épargne pas non plus les dérives observées dans le clergé local, même si « l’Eglise a servi de médiation » dans les conflits et s’est voulu « la voix des sans voix ». « Les problèmes sont non seulement dans la société mais dans l’Eglise elle-même », souligne le document.
Plutôt pessimistes sur la nature humaine, les évêques rédacteurs de ce texte fustigent « l’égoïsme », qui « alimente la corruption, l’avarice, pousse au détournement de biens et richesses destinés à des peuples entiers. La soif du pouvoir provoque le mépris d’une bonne gouvernance, manipule les différences politiques, ethniques, tribales et religieuses et installe la culture du guerrier comme héros ». Les « forces internationales » sont accusées de « fomenter des guerres pour écouler des armes ». Selon les responsables de l’Eglise, les politiciens africains ont perdu « le sens des principes démocratiques et élaborent des politiques clientélistes, ethnocentristes, violant sans état d’âme les droits humains ».
Au niveau politique, si les évêques sont appelés à faire entendre leur voix, notamment dans les pays sans réelle opposition démocratique, il leur est aussi reproché de s’engager trop ouvertement aux côtés de partis politiques au pouvoir ou de procéder eux-mêmes à des nominations « ethniques ».
Le texte condamne aussi « les prêtres, religieux et religieuses qui se livrent à des pratiques occultes et des luttes de positionnement social » et, sans plus de précision, évoque des hommes d’Eglise « coupables d’abus », en écho aux propos du pape qui a déclaré dans l’avion qui le menait en Afrique que « le péché et les déficiences étaient aussi présents dans l’Eglise ».
Enfin, le document s’inquiète à la fois de la perte de l’identité culturelle africaine, qui conduit au « relâchement moral, à la corruption et au matérialisme », et des conséquences de certaines croyances traditionnelles « négatives », comme la sorcellerie ou le sort réservé aux femmes. Dans ce contexte, les religieux reconnaissent « une baisse de la pratique chrétienne ». L’Eglise actuelle aura-t-elle les ressorts pour aller au-delà de ce constat sévère et de sa volonté affichée de se tenir aux côtés des plus pauvres ?