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Pétrole : le temps de la reprise en main

Suivant l’exemple de l’Angola, l’Etat s’apprête à créer une nouvelle compagnie pétrolière nationale pour défendre ses intérêts. Loin d’être gagné, le pari d’Ali Bongo Ondimba ne suscite pas l’enthousiasme des majors.

C’est sans doute le plus laborieux des chantiers que veut mener le nouveau régime gabonais. A l’instar de la grande majorité, si ce n’est de la totalité des pays africains producteurs de pétrole, le petit « émirat » d’Afrique centrale a décidé de créer sa propre compagnie pétrolière nationale pour, selon son président Ali Bongo, « contrôler la participation de l’Etat dans les sociétés pétrolières, gérer l’exploration et l’exploitation ainsi que la distribution ». Annoncée le 4 mars dernier, elle devrait s’appeler Gabon Oil Company (GOC) et succédera à Pétrogab, tombée en faillite et dissoute pour cause de mauvaise gestion il y a près de vingt ans.

Quatrième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne derrière l’Angola, le Nigeria et la Guinée équatoriale, le Gabon ne dispose d’aucune structure publique pour gérer sa production de brut. Le code minier du pays prévoit pourtant un partage systématique de toute production entre l’Etat et les investisseurs privés. Ainsi, la part d’or noir du pays est jusqu’à présent gérée et commercialisée par les multinationales ou par les sociétés spécialisées dans le trading. En contrepartie, celles-ci prélèvent des commissions dont les montants restent jalousement secrets, mais qui représentent un réel manque à gagner pour l’économie du pays. Plusieurs entreprises ont d’ailleurs été souvent accusées de s’enrichir aux dépens du Gabon. Or depuis trois ans, la croissance du PIB réel du pays, essentiellement tirée par ce secteur, ne cesse de dégringoler, passant de 5,3 % en 2007 à – 1,4% en 2009.

L’enjeu est de taille : le pétrole alimente 65 % des recettes publiques. Il a représenté plus de 1 700 milliards de F CFA (2,6 milliards d’euros) dans les caisses du Gabon en 2008. « La GOC devrait donc défendre les intérêts de l’Etat et lui permettre de maximiser les bénéfices tirés de la manne pétrolière », explique un baron du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir). Seulement, la tâche sera ardue car les majors, qui refusent de s’exprimer sur ce projet, risquent de geler leurs projets d’investissements si elles sentent leurs intérêts menacés. Selon un fonctionnaire du ministère des Mines, du Pétrole et des Hydrocarbures, « l’Etat devrait mener une opération de communication de manière à rassurer ces entreprises ».
Des sommes colossales en jeu.
Autant dire que la partie est loin d’être gagnée vu les sommes souvent colossales en jeu. Un autre fonctionnaire du même ministère soutient que l’idée de création d’une compagnie nationale a germé voilà bientôt une dizaine d’années. Mais la connivence entre certains dirigeants politiques et les patrons des sociétés a toujours empêché sa réalisation. Le sujet reste assez sensible sur le terrain et très peu d’informations filtrent sur l’évolution du projet depuis son annonce. Toutefois, les démarches entreprises et les contacts pris par les dirigeants du pays ces dernières semaines semblent indiquer que la machine est en marche.
Ce n’est pas tout. En mars, le pays a annoncé son intention de mettre en exploration, avant fin 2010 et via un appel d’offres, 42 blocs pétroliers s’étendant sur une superficie de 110 000 m2 dans ses eaux profondes. Et le gouvernement envisage de détenir 62 % de ces blocs (contre moins de 50 % sur les champs opérés jusque-là). Le potentiel du sous-sol maritime du pays est jugé réel car identique à celui des zones où des découvertes ont récemment eu lieu (Ghana, Angola). Les premiers résultats des études sismiques devraient être révélés dans le courant de ce mois. Le début du processus d’appel d’offres qui devrait permettre l’attribution de ces blocs, initialement prévu pour le 5 mai, a été repoussé de quelques mois pour, dit-on du côté gouvernemental, permettre aux entreprises intéressées de mieux se préparer. Les groupes américains et asiatiques sont ceux qui auraient manifesté le plus grand intérêt.
Les autorités gabonaises veulent, grâce à de nouvelles découvertes, maintenir voire accroître le niveau de la production qui piétine depuis quelques années. Elle est passée de 350 000 barils par jour à la fin des années 1990 à environ 250 000 actuellement. Mais le Gabon ambitionne aussi de se positionner en aval, sur le raffinage du pétrole. Ainsi les Coréens se proposent-ils, via leur nouvel ambassadeur dans le pays, Seong-Jin Kim, d’apporter leur savoir-faire dans la construction d’une nouvelle raffinerie à Libreville, comme ils l’ont déjà fait au Ghana. En décembre déjà, le Gabon, qui importe annuellement pour quelque 20 milliards de F CFA de produits pétroliers (30 millions d’euros), et la société sud-africaine Ibani avaient conclu un accord pour la remise sur pieds de la Société gabonaise de raffinage (Sogara).
Au-delà de la volonté du Gabon de prendre une part plus active dans son industrie pétrolière et d’augmenter sa production grâce à de nouvelles découvertes, le défi pour le pays réside dans sa capacité à développer une vraie expertise pétrolière qui, selon un ancien cadre gabonais d’Elf, « est actuellement très faible par rapport au poids que représente le secteur dans l’économie du pays ». « Nous nous retrouvions, explique-t-il, dans une situation embarrassante quand, face aux entreprises pour lesquelles nous travaillions, le gouvernement de notre pays n’avait pas de répondant. »
A long terme, l’exploration
Comparativement aux autres producteurs africains, le Gabon accuse un vrai retard. En Angola, un pays qui a pourtant connu des années de violentes guerres civiles et qui dispute au Nigeria le rang de premier producteur de brut en Afrique subsaharienne, la compagnie nationale, la Sonangol, dispose aujourd’hui d’un véritable savoir-faire aussi bien en amont qu’en aval de la production, qu’elle a même commencé à exporter (lire encadré).

Plusieurs experts estiment que la GOC devrait démarrer d’abord dans la distribution, ensuite dans la production à travers des joint-ventures et, à long terme, envisager l’exploration. Et pour empêcher que le scénario de Pétrogab ne se reproduise, ces mêmes observateurs avertis du secteur estiment que la GOC aura tout avantage à être une société publique mais gérée selon le droit privé. Cela éviterait de tomber dans les déboires des sociétés entièrement nationales et dépendantes du budget de l’Etat. La Nigeria National Petroleum Company (NNPC) avait ce statut : aujourd’hui en pleine restructuration, elle a été très vite minée par la corruption et a plombé les comptes publics avec des dettes abyssales.

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