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Gabon : Polémique pour la suspension du journal « Echos du Nord »

Après l’interpellation de son directeur par la Police judiciaire, le 2 juin dernier, l’hebdomadaire « Echos du Nord » a été suspendu par une décision du Conseil national de la communication (CNC), toujours au sujet de l’article intitulé «D’où vient Ali Bongo ?» relatif à une plainte contre X au tribunal de grande instance de Libreville. La décision du CNC est intervenue dans un contexte marqué par les attaques des médias américains au sujet de la restriction des libertés démocratiques au pays d’Ali Bongo, reçu le 9 juin dernier par Barack Obama.

Il n’a fallu que trois mois à Jean Ovono Essono pour démontrer que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. «Je ne serai pas le père fouettard de la presse», a-t-il en effet déclaré au moment de sa nomination à la présidence du Conseil national de la communication (CNC) en mars dernier. L’actuel locataire de l’avenue du Général De Gaulle à Libreville fait également mentir le président de la République, Ali Bongo, qui déclarait, en janvier dernier lors de la toute première cérémonie de vœux à la presse, «vous pouvez être sûrs que ce n’est pas le Président de la République qui vous parle qui prendra des lois visant à limiter la liberté d’expression.»

La liberté d’expression au Gabon vient pourtant de prendre un sérieux coup : en sa séance plénière du 10 juin dernier, le CNC a prononcé une mesure de suspension visant l’hebdomadaire « Echos du Nord ». Le CNC allègue qu’ «à travers» l’article intitulé « Plainte contre X / D’où vient Ali Bongo », paru dans son n° 90, « Echos du Nord » «s’adonne à la manipulation des consciences des Gabonais en insinuant qu’il y aurait un doute sur les origines du Chef de l’Etat. Il s’agit, ni plus ni moins, d’une insinuation malveillante qui tombe sous le coup des dispositions de l’article 28 du Code de la Communication». La décision du CNC n’était nullement précédée de l’audition préalable du directeur de cette publication. Pourtant, «nul ne peut être jugé sans être entendu dans le cadre d’une procédure contradictoire», ainsi que le stipulent la Déclaration des droits de l’homme et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

Dans un communiqué publié en réaction de cette décision, « Echos du Nord », qui estime que le CNC sort de son rôle de régulateur, «condamne avec la dernière énergie cet acte dont l’objectif inavoué est de bannir un journal qui dérange et d’assouvir des intérêts personnels.»

Zèle et intérêts personnels

Ancien chroniqueur sportif, ancien porte-parole de la présidence de la République et Haut représentant personnel du chef de l’Etat, sous l’ère d’Omar Bongo, Jean Ovono Essono, âgé de 66 ans et donc logiquement à la retraite, a été ramené à la vie publique à la surprise générale. De nombreux journalistes doutaient en effet de la capacité du nouveau président du CNC à tenir son engagement de ne pas être le père fouettard. «On doit plutôt attendre de lui un excès de zèle au bénéfice de ceux qui lui ont redonné du service», assurait alors Laure Patricia Manevy, journaliste indépendante.

S’il en est, le zèle ne devrait pourtant pas érafler l’image du pays ou de ses plus hautes autorités. Car, la suspension de « Echos du Nord » est intervenue alors que le président Ali Bongo venait fraichement d’être reçu par le président américain Barack Obama, qui lui a demandé de prendre d’audacieuses mesures pour la promotion des libertés démocratiques au Gabon, ainsi qu’indiqué dans un communiqué de la présidence américaine. Ali Bono Ondimba était encore sur le sol américain que, dans son pays, un journal était interdit. Comme si le CNC ne se souciait aucunement de l’image du président, et voulait confirmer les reproches des médias américains concernant l’exigüité des libertés démocratiques au Gabon.

D’ailleurs, «pour essayer de se justifier à bon compte, [le CNC] évoque avoir respecté des prétendus « instructions » laissées par le président de la République, avant son récent voyage aux Etats Unis d’Amérique, pour qu’on nous suspende. Nous, nous y voyons plutôt la volonté de certains conseillers, de voir leurs mandats renouvelés, quitte à précéder pour cela, la volonté de certaines autorités de nomination de tordre le cou à notre journal. Même au prix d’une injustice ou d’un abus de pouvoir», a soutenu le directeur de la publication interdite, Désiré Ename, lors d’une déclaration, le 15 juin devant le siège du CNC.

Ali Bongo lui-même…

Dans la même déclaration, le patron de l’hebdomadaire incriminé s’étonnait notamment de ce que «pour avoir relaté un fait réel – la plainte de M. Luc Bengone nsi et un collectif de Gabonais contre X, pour faux en écriture publique -, pour avoir à cette occasion publié les éléments d’un reportage que nous avions fait en avril 2009, lorsque à l’occasion de la journée de la défense de cette année-là, le président de la République, alors ministre de la Défense nationale, avait lui-même mis sur la place publique la question de son origine, le CNC a estimé qu’il ne nous revenait pas d’enquêter sur cette affaire au motif qu’elle relevait désormais de la justice ; qu’il ne nous revenait pas de publier l’acte de naissance du président de la République, objet de la plainte contre X. Même si par ailleurs, ce document circule sur Internet, et qu’un confrère de la place l’a publié quelques jours avant nous sans être inquiété.»

« Echos du Nord » n’a donc fait que relater les faits relatifs à la naissance d’Ali Bongo, racontés par des témoins oculaires. Notamment, Alexandrine Okayi, épouse Otsobogo, qui conforte la version donnée à la télévision, en 2009, par Patience Dabany, mère du président Ali Bongo. L’article est illustré d’un fac-similé de l’acte de naissance problématique qui compte pourtant bien d’antécédents. Une recherche sur Google du groupe de mots «acte de naissance Ali Bongo» donne en 0,24 secondes, environ 70 700 résultats. Daté du 16 octobre 2009, un article du site lvdpg.com, intitulé «Gabon : Télécharger l’acte de naissance d’Ali Bongo dans notre site», offre ce document au public depuis cette date.

Dans sa déclaration, le 15 juin devant le siège du CNC, Désiré Ename demandait à «l’institution – nul n’est infaillible- de revenir sur sa décision le plus rapidement possible», soulignant qu’il «est dangereux de cueillir du miel sans se protéger le visage.»

L’avocat du titre, Me Paulette Oyane, estime que «le CNC se pose carrément en censeur. Il apprécie ce qui est contraire ou non à la liberté de la presse. Et cela constitue une atteinte aux droits fondamentaux. La liberté de la presse est un droit fondamental qui participe de l’expression démocratique, et cette liberté ne doit pas être attentée de la sorte. Si une liberté est trop encadrée, elle n’est plus une liberté. Donc les agissements du CNC constituent un déni de démocratie et une atteinte aux droits de l’homme. Face à cette situation, nous saisissons le Conseil d’Etat au niveau du Gabon, le rapporteur spécial pour la liberté d’expression au niveau de Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et le rapporteur spécial pour les défenseurs des droits de l’homme au niveau des Nations unies. Sans oublier le fait que nous avons saisi Amnesty international, article 19, Reporters sans frontières, etc.»

Mais, le temps pour ces procédures de prospérer dépassera largement le mois de suspension écopé par l’hebdomadaire. «Cela pose le problème de l’accès à la justice au Gabon. Est-il normal pour quelqu’un qui subit un préjudice, que la justice ne puisse pas lui être dite pendant que le préjudice est en train de lui être infligé», s’interroge Me Oyane.

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