Ci-dessous, le Dr. Daniel Mengara répond à l’analyse du Dr. Joel Mbiamany-N’Tchoreret sur Facebook. Il essaie ainsi de restituer le cadre naturel d’application du débat politique au sein de ce qu’on appelle un parti politique. Dans cette analyse à chaud (puisque c’est une réaction sur Facebook retranscrite ici sans modification), il montre ainsi que les Gabonais confondent souvent les débats d’opinion qui font la force d’un parti oolithique et les différences idéologiques qui peuvent causer le chaos dans un parti politique.
Pour lire le texte du Dr. Joel Mbiamany-Ntchoreret intitulé “M. Bruno Ben Moubamba, M. Daniel Méngara et Mme. Paulette Oyane-Ondo, bravo pour l’amorce du débat politique à venir”, repris ici sur le site du BDP (cliquez ici):
Réaction du Dr. Daniel Mengara
Cher ami Mbiamany-N’tchoreret,
Merci pour vos encouragements. Cela confirme l’estime que j’ai toujours gardée pour vous et vos analyses si profondes.
Je dirai néanmoins que je ne me souviens pas avoir mené avec vous quelque débat que ce soit sur la démocratie à l’intérieur des partis politiques. Par contre, je me souviens avoir soumis quelques questions à l’attention de facebookers engagés sur la discussion que vous suscitâtes sur ce sujet.
Pour ma part, je pense que, comme on le voit chez pas mal de Gabonais, il subsiste dans votre analyse une confusion entre “différence d’opinion” et “différence d’idéologie”. Laissez-moi vous faire démonstration de la différence qui existe entre ces deux notions:
Un parti politique se caractérise AVANT TOUT par une IDEOLOGIE. Cette idéologie constitue le cadre qui fixe l’objectif que le parti se propose d’atteindre et les moyens/méthodologies pour y parvenir. Sur cette base, l’idéologie d’un parti n’est, DE L’INTERIEUR, ni sujette à débat ni à opinion puisque c’est cette idéologie qui fait la SPECIFICITE de ce parti et qui le DISTINGUE des autres. Le MILITANT adhère donc à un parti sur la base de l’idéologie de ce parti, c’est-à-dire de sa SPECIFICITE IDEOLOGIQUE. Ceci veut dire que, du DEHORS, l’adhérent potentiel a pris le temps d’analyser l’idéologie proposée, ET donc, en ENTRANT dans le parti, il a signifié son adhésion à 100% à l’idéologie proposée.
L’adhésion à un parti est un peu comme MICROSOFT VOUS VENDANT SON LOGICIEL SUR INTERNET, mais ne vous permettra pas de l’acheter tant que vous n’avez pas ACCEPTE sa notice de CONDITIONS DE SERVICE ET D’USAGE (ce que représentent les Statuts, pour un parti politique)
Pourquoi dis-je ici que l’idéologie d’un parti n’est pas sujette à débat ni à opinion? Tout simplement parce que:
On n’adhère pas à un parti pour aller, de l’intérieur, discuter son idéologie en vue de changer cette idéologie. Ce serait comme un Républicain adhérant au parti Démocrate pour, de l’intérieur, transformer le parti démocrate en partie républicain. Ou comme François Hollande décidant qu’il aime bien l’UMP, mais que pour qu’il puisse adhérer à l’UMP, il faut que l’UMP change pour devenir socialiste.
Cela ne se fait nulle part, sauf peut-être chez nous au Gabon où on confond tout, un peu comme vous le faites quelque peu dans votre analyse.
Dès lors que l’on comprend que l’idéologie d’un parti est précisément la chose que chaque militant se doit de mieux partager avec tous les autres militants, on peut mieux, par la suite, comprendre le sens de la notion de “différence d’opinion”.
Dans un parti, la différence d’opinion consiste, tout simplement à discuter de comment atteindre le plus efficacement l’OBJECTIF du parti tel que défini dans son idéologie. Autrement dit, les questions à débattre ne tournent jamais, dans un parti, autour de l’idéologie et sa remise en question puisque c’est cette idéologie qui est à la base de l’association des militants et c’est elle qui filtre les militants à l’ENTREE tout en guidant leurs perspectives.
Dans leurs actes, les militants se posent toujours la question: CET ACTE est-il conforme à notre idéologie? SI OUI, on agit, SI NON, on abandonne. Les militants, dans ce cas, ne font que s’activer dans le renforcement de l’idéologie, sa défense et sa promotion.
Pour être encore plus concret, prenons le cas du BDP ancien ou du BDP nouveau qu’est le BDP-MODWOAM. Son idéologie se fixe comme objectif premier de provoquer le changement de régime au Gabon par les voies insurrectionnelles puisqu’il a déterminé qu’aucune voie pacifique ne peut y arriver. Le militant qui adhère au BDP-MODWOAM y adhère spécifiquement parce que le BDP-MODWOAM se sera IDEOLOGIQUEMENT fixé cet OBJECTIF sur la base d’une analyse et d’une position idéologique qui a, ainsi, inspiré sa création. Et c’est cette LIGNE IDEOLOGIQUE qui va, NATURELLEMENT et AUTOMATIQUEMENT, conditionner les MOYENS ET METHODES de lutte politique du BDP-MODWOAM. On verra généralement que, quand on COMPREND BIEN ce que c’est que l’idéologie à laquelle on adhère, il y a généralement COHESION parmi les membres car leurs débats ne se passent jamais sur les FONDAMENTAUX, mais sur les MOYENS/METHODES pour atteindre l’objectif. Un parti politique aura difficilement des conflits internes si ces choses sont claires pour tout le monde.
Par exemple, au BDP-MODWOAM, TOUS les MILITANTS ayant fait acte d’ADHESION savent tous, au moment de l’adhésion, l’objectif poursuivi et les méthodologies attendues. Les discussions internes ne SERONT DONC JAMAIS AUTOUR DE SI ON VEUT FAIRE L’INSURRECTION OU PAS (puisqu’une telle discussion a été déjà évacuée lors du choix idéologique d’origine, ce qui rendrait tout discussion qui viserait à remettre en cause de manière fondamentale l’objectif insurrectionnel du parti CADUQUE); elles se feront, par contre sur le COMMENT ET le QUAND. Vous voyez donc ici que les discussions sur le “SI” concerneraient l’idéologie (sur laquelle tout le monde devrait être d’accord dès l’adhésion) et le QUAND et le COMMENT représente le débat d’opinion (qui ne remet pas en cause l’idéologie puisque la discussion reste forcément dans le cadre idéologique). Le débat ne sera donc jamais sur l’insurrection puisque c’est l’objectif, mais on discutera plus de savoir par quoi on commence et par quoi on termine et quand on commence.
Du coup, si quelqu’un me dit, “Moi je veux bien adhérer au BDP-MODWOAM, mais je n’aime pas trop votre idée de PILONS là ou votre insolence sur les Bongo ou pourquoi vous focalisez sur Bongo, il faut changer ça si vous voulez que j’adhère”, eh bien je dirais à cette personne, le BDP-MODWOAM n’est pas pour vous, ce que vous cherchez existe déjà au Gabon: Allez chez MBA ABESSOLE ou allez à l’Union nationale ou allez au PSD chez Maganga Moussavou.
Comprenez-vous, cher ami Mbiamany? Les associations NE SE FORCENT PAS. Elles doivent être NATURELLES.
Autrement dit, les partis politiques ne sont pas des FOIRES FOURRE-TOUT auxquelles les militants adhèrent pour aller foutre le bordel à l’intérieur sous prétexte de différences d’opinion. En fait, DES QU’il y aurait, à l’intérieur d’un parti, des différences d’opinions basées sur l’idéologie, c’est que, en réalité, les membres ne partagent pas du tout la même idéologie. Ils devraient dissoudre un tel parti car il n’ira nulle part parce que TROP DISPERSE IDEOLOGIQUEMENT. Normalement, l’idéologie d’un parti devrait être la chose la mieux partagée par tous les membres, sinon c’est la CACOPHONIE totale.
Vous semblez donc, ile me semble, encore avoir une compréhension assez naïve du TRAVAILLER ENSEMBLE qui confond les COLLABORATIONS que l’on peut avoir avec des gens idéologiquement différents HORS du cadre d’un parti et la DISCIPLINE IDEOLOGIQUE qui s’impose à l’intérieur d’un parti.
Les questions de SENSIBILITES dont les gens parlent A L’INTERIEUR DES PARTIS ne doivent jamais être de nature à remettre fondamentalement en cause l’idéologie du parti. Si cela arrive, il faut créer un AUTRE parti car un tel parti ne peut aller nulle part.
C’est comme si aujourd’hui on demandait à Ben Moubamba et Daniel Mengara d’être dans le même parti. Cela ne marcherait pas car les différences idéologiques sont TROP FONDAMENTALES. On peut ainsi facilement VOIR, cher ami, qu’il est possible pour vous et moi d’avoir des discussions franches HORS partis, mais nos DIFFERENCES IDEOLOGIQUES sont si fondamentales que nous ne pouvons être à l’intérieur du MEME parti. Ce que vous dites dans votre analyse n’est donc pas suffisamment pensé car vous pensez qu’il suffirait que Paulette Oyane, Ben Moubamba et Daniel Mengara se définissent comme opposants pour pouvoir faire partie d’un MEME PARTI?
Mais non, cher ami! Cela ne marcherait pas,
Si Daniel Mengara veut l’insurrection, mais Paulette Oyane et Ben Moubamba ne la veulent pas, EN QUOI PENSEZ VOUS POUVOIR LES FAIRE TRAVAILLER EMSEMBLE dans un seul et même parti alors même que leurs fondamentaux seraient si FONDAMENTALEMENT DIFFERENTS? ils peuvent, certes, collaborer sur des choses SIMPLES, mais quand il faut passer à l’ACTION INSURRECTIONNELLE, vous voyez tout de suite que cela va bloquer.
L’idéologie d’un parti, il faut la comprendre comme le PRODUIT que le parti vend. Si vous avez acheté ce produit (au moment de l’adhésion), vous ne pouvez plus dire par la suite, tiens, j’ai acheté une mangue, mais en fait, je préfère une pomme, et comme je préfère maintenant une pomme, il faut que je transforme ma mangue en pomme. NON, cher mi, ce que visu faites dans ce cas, c’est que vous jetez la mangue et s’il vous reste de l’argent, vous achetez une pomme.
L’idéologie d’un parti, c’est aussi la chose la plus objective du parti, qui CANALISE donc tout le monde. Elle représente un CANAL et les militants, l’EAU qui y circule en obéissant aux contours tracés par le canal (l’idéologie)
Quels sont donc les choix d’un adhérent?
1) L’adhérent doit se plier à l’idéologie du parti auquel il adhère. Ceci est obligatoire car si l’idéologie du parti auquel il adhère ne lui plait pas, ce n’est pas la peine d’y adhérer. Son effort ne doit pas être d’adhérer pour aller combattre l’idéologie de son parti de l’intérieur. Cela n’a aucun sens.
2) Le militant qui a des réserves par rapport à l’idéologie d’un parti, soit il renonce à adhérer, soit il crée son propre parti soit il cherche parmi les partis existants celui qui représente le mieux son idéologie, ou alors il reste indépendant car incapable de choisir ou trouvant des imperfections irréconciliables avec ce qu’il veut.
Ce que je crois comprendre, donc, c’est que, en fin de compte, la confusion que vous faites entre “différence d’idéologie” et “différence d’opinion” explique justement pourquoi nos partis et coalitions au Gabon n’ont jamais été efficaces et donc, n’ont jamais pu avancer. Les gens adhèrent aux partis et coalitions politiques chez sur la base de copinages et de notions vagues comme “opposition” et “changement”, et quand on arrive au moment de l’ACTION, on se rend compte que les DIFFERENCES idéologiques sont si VASTES que ÇA TIRAILLE de partout et va DANS TOUS LES SENS et l’on finit soit dans l’immobilisme total, soit par des scissions ou démissions.
C’est la principale raison pour laquelle l’Union nationale était vouée à l’échec. La base de sa constitution c’était les LEADERS COALISES suite à l’élection présidentielle et non UNE IDEOLOGIE précise. Du coup, il aurait suffit que les conviviaux empêchent les actions fortes pour que l’UN devienne une usine à discours et communiqués politiques et non un parti d’alternance. Pour qu’un parti soit efficace, il lui faut une COHESION IDEOLOGIQUE, sinon c’est pas la peine.
Du coup, si la confusion que vous faites, de SUPPOSER une sorte d’UNITE ou d’AFFILIATION AUTOMATIQUE tout simplement parce que Paulette Oyane, Daniel Mengara et Ben Moubamba se définiraient comme “OPPOSANTS”, je dirai tout de suite que, comme tant de Gabonais, vous êtes quelque peu naïf. Et je comprends finalement pourquoi TOUS nos partis et TOUTES nos COALITIONS échouent au Gabon. TOUTES LES COALITIONS gabonaises depuis 1990 ECHOUENT parce que les gens ne se posent jamais les questions suivantes AVANT DE FORMER LE PARTI OU LA COALITION:
1) Qu’est-ce qui nous unit et que recherchons-nous?
2) comment comptons-nous atteindre l’objectif que nous partageons?
Ce sont là, chers amis, les leçons que j’ai apprises au cours de mes 13 ans d’analyse du contexte politique gabonais. Je ne ferai jamais ce type d’erreurs.
Prétendre vouloir constituer un parti avec à sa tête des conviviaux et des radicaux est la recette de l’IMMOBILISME TOTAL. Tout le monde finit tellement DILUE que plus personne n’est efficace. Les radicaux diluent leur radicalité et les conviviaux diluent leur convivialité et à la fin, on n’atteint ni l’objectif radical ni l’objectif convivial.
La seule recette du succès est donc toujours de ne réunir dans un parti ou dans une coalition se voulant AGISSANTE que des gens aux mêmes idéologies. Sans cela, on tourne en rond et on produit UN DISQUE POLITIQUE rayé comme celui qui est joué par l’opposition depuis 1990 (opposition de conférences de presse et de communiqués).
Par simplisme, on parlera de combat d’égos entre leaders ou on dira que tel ou tel leader est dictateur parce qu’il ne permettrait pas de supposées différences d’opinion dans son parti, alors que, en fait, ce ne sont pas les différences d’opinion qui les opposent, mais des différences idéologiques VERITABLEMENT FONDAMENTALES, si fondamentales qu’on se demande comment ils ont même fait pour être dans le même parti!! Simplement parce que TOUT LE MONDE N’EST PAS AU MEME NIVEAU de compréhension car il y en a qui ne savent même pas ce que c’est qu’une idéologie.
L’éducation citoyenne dont vous parlez souvent, cher ami, c’est aussi cela. Il faut que les gens comprennent qu’on n’adhère pas à un parti sur la base de notions vagues comme “opposition”, “changement” ou de copinages ou juste parce qu’on aime un leader ou parce que le frère de la soeur du petit frère de l’oncle de la tante y est, ou parce qu’on est de la même ethnie, MAIS PLUTOT parce qu’on comprend l’idéologie, SURTOUT AU NIVEAU DE L’ELITE DU PARTI.
Dernier exemple: si je décide un jour de me rallier à Ali Bongo, je serais exclu par mon parti car je me serais écarté de la ligne idéologique de mon parti. Si je disais, je ne crois plus en l’insurrection, je serais exclu de mon parti parce que je serais en contradiction avec son idéologie qui, ACTUELLEMENT, tient ces positions RADICALES pour PRINCIPES FONDAMENTAUX. Si donc, je disais à quelqu’un, “Ce n’est même pas la peine de discuter ce point,” serais-je un DICTATEUR fermé aux débats d’opinion ou quelqu’un qui comprend la futilité d’un tel débat pour son parti parce qu’il sait la base idéologique de son parti CLAIRE sur ce point?
Il me semble donc, cher ami, que nous avons une différence d’opinion ici sur ce qui constitue la base du TRAVAILLER ENSEMBLE dans un parti politique, c’est-à-dire ce qui fait son SOCLE ET SA STABILITE. Ce sont, HELAS, les gens qui ne savent pas ce que c’est qu’une IDEOLOGIE qui iront DE PARTI EN PARTI, DE COALITION EN COALITION, cherchant quelque chose qui, en fait, se trouve en eux-mêmes: PARCE QU’ILS N’ONT AUCUNE CONVICTION REELLE POUR QUOI QUE QUE CE SOIT, ILS NE SAVENT PAS A QUOI ILS CROIENT ET, PAR CONSEQUENT, ILS SONT CONFUS PARCE QU’ILS NE SAVENT PAS CE QU’ILS VEULENT.
Dr. Daniel Mengara