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Le blues d’Albertine Maganga Moussavou

Elue du canton Ngounié centre et rare député de l’opposition, Albertine Maganga Moussavou du PSD, a refusé son vote de confiance à Ndong Sima, le 12 avril, préférant, lors des débats, rappeler au Premier ministre ce que nombreux pensent déjà être les dix plaies d’un pays en difficulté. Un diagnostic sans complaisance de la réalité gabonaise. La quasi-intégralité de son intervention.

«Je suis loin de vous plaindre, monsieur le Premier ministre. Mais je plains particulièrement le sort réservé à notre pays, à son peuple qui attendra encore longtemps les fruits de l’émergence, slogan dont on l’abreuve depuis trois ans. Alors, comment ce peuple peut-il envisager «L’avenir en confiance», autre slogan phare du moment.

L’université

Monsieur le Premier ministre, vous demandez au peuple gabonais de vous faire confiance, lorsque vous ne détenez aucune véritable solution aux crises multiformes qui minent le Gabon. Notamment, celles qui secouent le monde de l’éducation, notamment le monde universitaire auquel j’appartiens.

Pour la petite histoire, lorsque j’ai commencé à enseigner à l’Université Omar Bongo en 1978, à 26 ans, j’avais des étudiants de 1ère année de mon âge, et même plus âgés. Alors, si la décision de ne pas accorder la bourse au-delà de 27 ans, pour s’inscrire en Master, avait été prise à ce moment là, beaucoup ne seraient pas aujourd’hui les hauts cadres de l’administration qu’ils sont devenus. Proposer de telles mesures, c’est ignorer la précarité dans laquelle vivent les étudiants gabonais et, plus grave, briser le rêve des familles qui placent leur espoir dans la réussite de leurs enfants.

Au demeurant, monsieur le Premier ministre, une bourse d’études est aussi une façon de redistribuer les revenus, dans un pays où les ressources tirés du sous-sol appartiennent à tous les Gabonais, avec une population très faible, vivant cependant dans une extrême pauvreté quand certains peuvent dépenser plusieurs centaines de millions de francs pour leurs emplettes quotidiennes et le proclamer sans sourciller. Par ailleurs, monsieur le Premier ministre, est-il normal d’infantiliser les enseignants du supérieur comme vous le faites aujourd’hui, simplement parce qu’ils aspirent à un logement décent, indispensable pour leur travail. Ce qui commence par l’octroi d’une parcelle de terrain dans un pays vide d’habitants et dont des espaces conséquents peuvent être viabilisés, pourvu qu’on y mette un peu de bonne volonté. Que dire de la menace d’une année blanche, signe d’un grand malaise dans l’université. Je ne m’étendrais pas sur ce point parce que mes prédécesseurs vous ont souligné l’importance de l’éducation et de la formation.

La santé et de l’action sociale

Deuxième forme de crise, la crise dans le secteur de la santé et de l’action sociale. Le Gabon dit émergent continue à avoir des dispensaires et des hôpitaux sans médicaments et sans infirmiers. Que dire des femmes qui accouchent à même le sol ou qui meurent en donnant la vie ? Que dire de la non-application de la loi n°2/2000 du 2 janvier 2000 portant protection sanitaire et sociale de la femme, de la mère et de l’enfant, promulguée depuis plus de dix ans, qui n’a toujours pas des textes d’application. Une loi visionnaire qui prévoit la libéralisation de la contraception, le paiement des allocations familiales directement aux mères de famille, l’établissement d’une carte aux mères des familles nombreuses, donnant droit à des réductions dans les transports publics, la création de structures adaptées pour la prise en charge de l’enfance en difficulté, etc. etc. Pourrions-nous alors, dans ces conditions atteindre les objectifs du millénaire en la matière ?

Le pont de Kango et la route

Troisième forme de crise, monsieur le Premier ministre : la route. La route, moteur de tout développement, facteur d’unité nationale. Nous venons, monsieur le Premier ministre, de réaliser un prodigieux bond en arrière. C’est-à-dire que nous sommes revenus à une quarantaine d’année plus tôt : dans les années 1960, début 1970, période où, élèves au Lycée Léon Mba, nous passions des semaines et des semaines à Kango à attendre que le bac puisse redémarrer.

On peut se féliciter du démarrage de la route de Medouneu, mais cela aurait pu se faire plutôt, sans attendre qu’une des piles du pont sur la Bokoué ne s’effondre. Et d’ailleurs, nous espérons que les travaux de Medouneu iront à leur terme. Parce qu’on sait que souvent les choses sont initiées avec tambours et trompettes et elles sont étouffées dans l’œuf. Et que dire de l’ensemble du réseau routier du Gabon, pays dit émergent. Le Gabon dans ce domaine est sans doute le pays le plus arriéré de l’Afrique et les Gabonais, stoïques, continuent d’emprunter des pistes d’éléphant, cahin-caha, notamment sur le tronçon Libreville-Kango dont les travaux là aussi, annoncés avec grand fracas, sont aujourd’hui au point mort. Tout cela, monsieur le Premier ministre, représente un véritable frein au développement du transport et, partant, de toute notre économie.

Le travail

La crise du travail, monsieur le Premier ministre, parlons-en. Notamment celui des jeunes qui ne cesse de progresser, chez ceux-là même qui représentent l’avenir, dans un pessimisme noir. Malgré toutes les promesses qui leur sont faites pendant les campagnes électorales, les jeunes restent vulnérables et donc en marge du Gabon émergent ; tout en proclamant que la jeunesse est sacrée.

Je ne parlerais pas de l’inexistence d’un véritable tissu de PME-PMI gabonaises, lorsque celles qui essayent de résister sont vouées à la mendicité auprès des multinationales pour la sous-traitance des marchés publics. Que dire de l’augmentation du Smig ? Une véritable chimère, monsieur le Premier ministre.

L’habitat et le logement

Autre forme de crise. Celle de l’habitat et du logement. Les Gabonais, particulièrement ceux de Libreville, vivent dans des conditions précaires, dans des quartiers non-viabilisés, sans eau, sans électricité, dans des logements de fortune, malgré la promesse faite par le président de la République de construire 5000 logements sociaux par an. Là aussi, les Gabonais, résignés, attendent toujours. Vous venez de nous dire que, de juillet 2012 à décembre de la même année, vous allez livrer 1000 logements. Monsieur le Premier ministre, qui vivra verra !

Déficit démocratique, crise morale et insécurité

Autre forme de crise : le déficit démocratique, avec l’absence d’une véritable volonté politique pour mettre en pratique la biométrie et accepter la transparence électorale. Nous nous empressons de féliciter monsieur Macky Sall, président Sénégalais démocratiquement élu, comme pour nous dédouaner et essayer de faire bonne figure. Alors que nous n’avons pas la volonté politique pour que les choses avancent dans notre propre pays.

Crise morale, monsieur le Premier ministre. Le Gabon tient malheureusement la tête du hit-parade de la criminalité, de l’insécurité organisée et planifiée par ceux-là même dont le métier est d’assurer la sécurité des personnes et des biens. Je veux parler des forces de sécurité et de défense, de plus en plus impliquées dans des crimes, y compris contre leurs propres frères d’armes. Monsieur le Premier ministre, cette situation est grave et dangereuse car elle place chaque Gabonais dans l’angoisse permanente. A propos des crimes dits rituels, perpétrés, semble-t-il par des politiciens véreux, les Gabonais vous attendent sur cette question, monsieur le Premier ministre. Ils vous jugeront.

La concrétisation de la promesse faite par le président de la République de faire appliquer la loi dans toute sa rigueur et ainsi de punir les lampistes et les commanditaires de ces crimes crapuleux, est attendue par l’ensemble du peuple gabonais, certes sans grand optimisme, parce que vous le savez comme moi : l’impunité a été instaurée en système de société. Il est pourtant temps d’agir pour effacer le scepticisme dans lequel vivent les Gabonais et qui explique le fossé grandissant qui se creuse entre les hommes politiques et les citoyens. Peut-on, là aussi, envisager «L’avenir en confiance» lorsqu’on n’a pas foi en la justice ? Une justice à géométrie variable, qui punit les plus faibles, c’et-à-dire les voleurs de boite de sardines, parce qu’ils ont faim, et laisse libre les puissants, drapés dans leur arrogance, c’est-à-dire les commanditaires d’assassinats pourtant connus.

L’émergence

Monsieur le Premier ministre, l’émergence malheureusement ne se décrète pas, ne se chante pas. Elle se construit pas à pas pour le bonheur du plus grand nombre. Cependant, handicapé comme vous êtes, avec des ministres pour la plupart inexpérimentés, l’émergence est assurément une grande utopie. Le président de la République attendra longtemps, pour le malheur des Gabonais, l’accélération des mesures qu’il vous a prescrites sans vous donner, ni les moyens financiers, encore moins les hommes et les femmes suffisamment outillés pour relever les nombreux défis d’un pays en difficulté et mettre ainsi sur les rails le développement du Gabon.

Monsieur le Premier ministre, il m’est difficile de vous croire lorsque vous dites que vous allez faire en sorte que le Gabon produise 1000 tonnes de légumes. D’où viendront ces légumes, monsieur le Premier ministre, du Cameroun voisin ou des producteurs gabonais ? Vous le savez mieux que quiconque pour avoir été ministre de l’Agriculture, que l’Etat ne met rien en œuvre pour soutenir aussi bien les agriculteurs que les éleveurs. Et d’ailleurs, les spécialistes de ces deux pans de l’économie ont déserté depuis longtemps le terrain pour occuper plutôt des postes de bureau. Alors, avec qui comptez-vous atteindre l’autosuffisance alimentaire.

Monsieur le Premier ministre, parlons bien mais parlons peu. Je vous remercie.»

NDLR : Albertine Maganga Moussavou avait commencé son intervention par la dénonciation d’un Premier ministre sans véritables pouvoirs, confiné dans un rôle de faire-valoir et miné par les nombreuses agences nationales n’ayant pour interlocuteur que le président de la République. Cette partie du discours n’a pu être retranscrite.

Mme Maganga Moussavou remontera un peu plus tard au créneau pour indiquer son refus d’accorder sa confiance au Premier ministre. «Je n’ai qu’une voix. Que représente cette voix dans cet océan d’unanimisme ? Ma voix vaut son pesant d’or parce qu’elle à l’avantage de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Elle porte en elle la détresse, l’indignation, le manque de confiance en la politique de l’émergence que l’on prône depuis près de trois ans sans résultat.» On aura donc compris qu’elle comptait parmi les deux voix contre enregistrées dans le décompte du vote de confiance que l’Assemblée nationale a accordé au Premier ministre, Raymond Ndong Sima.

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