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Discours de Jean Eyeghe Ndong lors du point de presse de ce 11 mai 2012

Jean EYEGHE NDONG
Ancien Premier Ministre
B.P : 9755 Libreville

POINT DE PRESSE
(Libreville, le 11 mai 2012)

Mesdames et messieurs,

L’élection présidentielle française constitue à n’en point douter, un évènement politique majeur dans les relations internationales .Un évènement politique majeur parce qu’il s’agit de la cinquième puissance économique mondiale, la deuxième puissance économique d’Europe.

Un évènement politique majeur en ce sens que la France a été une puissance coloniale regroupant plusieurs pays d’Afrique.
La longue histoire coloniale a laissé des traces, souvent indélébiles. C’est cette longue histoire qui fonde aujourd’hui les puissants liens économiques, politiques, sociaux et culturels qui unissent la France à ses anciennes colonies, devenues indépendantes et souveraines.

C’est pourquoi, l’arrivée d’un nouveau locataire à l’Elysée est regardée dans le monde en général et au Gabon en particulier avec une curiosité non dénuée d’intérêts : intérêts politiques, économiques, culturels etc.

Nous venons d’avoir droit, pendant les cinq dernières années à la présidence de Monsieur Nicolas Sarkozy. La majorité du peuple gabonais a-t-elle été satisfaite du regard qu’a porté ce chef de l’Etat Français au Gabon pendant sa mandature ! Sans prétendre me substituer au peuple gabonais, la réponse, à mon avis, est sans ambages : Non .Car, le leader Français après le choix exprimé par le peuple gabonais lors de l’élection présidentielle du 30 Août 2009, s’est rangé résolument dans le camp des auteurs du coup d’état électoral qui s’en est suivi.

« Retirez ce que vous venez de dire, Monsieur, sinon je m’en vais ».
Ainsi avait réagi, en substance, faisant mine de quitter le siège où il était assis, Monsieur Nicolas Sarkozy lorsque l’opposition gabonaise, par la voix d’un de ses membres, lui faisait comprendre qu’il avait, par son soutien actif, permis à Ali Bongo Ondimba d’accéder illégitimement au pouvoir (C’était le 20 Février 2010 à l’hôtel Okoumé Palace de Libreville).

Ancien premier Ministre et le dernier du Président Omar Bongo Ondimba, je me suis demandé sur le moment si j’avais devant moi le chef de l’Etat Français, tellement la réaction de Monsieur Sarkozy était aux antipodes de l’attitude de dignité qu’aurait dû avoir à mon avis le représentant de la France face à pareille accusation. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser au Général De Gaulle, à Mitterrand ou à Pompidou ; et je me suis fait dès cet instant une certaine idée du chef de la France.

Je ne pense pas que les membres de la délégation française présents à la rencontre de l’Okoumé Palace aient gardé le meilleur souvenir de cette étape de la visite du Président français à Libreville.

J’ai aussi en mémoire le comportement pour le moins curieux de Monsieur Sarkozy à son arrivée à Libreville pour les obsèques officielles du Président Omar Bongo Ondimba. Comportement qui m’inclinait à entrevoir déjà une sorte de connivence avec les comploteurs impliqués dans le coup d’Etat électoral en préparation à Libreville. En effet, comment expliquer l’entorse faite au protocole gabonais qui avait prévu que le chef de l’Etat Français, à sa descente d’avion, soit reçu par le Premier Ministre gabonais qui devait ensuite l’accompagner jusqu’à sa résidence ! A mon étonnement, il en a été décidé autrement à la dernière minute sans que j’en sois informé au moment où le président Français s’embarquait dans son véhicule, mettant ainsi le protocole gabonais devant le fait accompli. Sans doute, ne voulait-on pas que j’aie la possibilité d’avoir une conversation avec le Président Français au risque de fausser les plans du complot en préparation.

Et que dire du discours mal inspiré et controversé de Dakar, ou même le caractère trivial de la phrase prononcée par Monsieur Sarkozy au salon de l’agriculture en France ! Bref. C’était le nouveau président de la France qui, certes a bien des qualités par ailleurs. Car on ne devient pas Président de la République Française par hasard.

Aujourd’hui, les Français, en peuple libre et souverain, viennent d’élire par la voix des urnes un nouveau président en la personne de Monsieur François Hollande, sans qu’il y ait, en la circonstance une « main étrangère ». Ils viennent de le charger de conduire le destin de leur pays pendant cinq ans, aux termes desquels ils auront à se prononcer à nouveau, à l’occasion d’une nouvelle élection. Nous avons tous été témoins au Gabon du processus sans équivoque et sans contestation de cette élection acquise par la voie des urnes. Cela n’a pas manqué de susciter chez nous quelque interrogation au regard de la manière dont se déroulent les élections dans notre pays.

Les Français ont –ils eu tort ou raison d’accorder leurs suffrages à Monsieur François Hollande ? Il leur reviendra de sanctionner ou de renouveler le mandat de leur élu. Les questions qui se posent à nous gabonais, à cet égard, en raison de la crise politique et psychologique actuelle que connait le Gabon, sont celles de savoir si en 2009 le processus électoral s’est déroulé comme on vient de le vivre en France, c’est-à-dire démocratiquement ? A-t-on vu à cette occasion les chars dans les carrefours de Paris avec les bérets rouges, armes aux poings ? Le ministre de l’intérieur est-il venu annoncer des résultats avant la fin de leur centralisation et leur validation ? Combien de morts a-t-on déploré dans une quelconque ville de France, comme ce fut le cas à Port-Gentil ? Bien sûr la réponse est Non à toutes ces questions.

Mais quel scandale lorsque Monsieur Sarkozy persiste et signe en déclarant récemment lors de la visite de Maky Sall en France que le Président Gabonais avait été élu démocratiquement au même titre que le Président Sénégalais. Quelle insulte au Sénégal, quelle hérésie.

Mesdames et Messieurs,

En 2010, l’opposition gabonaise avait remis un mémorandum à Monsieur Sarkozy en tant que leader d’un pays ami, ami séculaire, partenaire traditionnel du Gabon. Ce mémorandum portait sur les indispensables réformes à engager au Gabon afin de parvenir à la transparence électorale, objet de controverses après chaque élection, la présidentielle du 30 Août 2009 ne faisant pas exception. Malheureusement, ce document est resté sans réponse à ce jour. Mais il est toujours d’actualité pour l’opposition et les populations gabonaises. Celles qui, dans leur majorité, aspirent légitimement à une vie démocratique ponctuée par les élections libres, justes et crédibles.

Les Gabonais demandent et veulent se reconnaitre dans leurs dirigeants. Ce n’est pas faire de la subversion que de revendiquer les valeurs de liberté et de démocratie fort heureusement consacrées par notre Constitution.
Voilà pourquoi nous nous réjouissons de l’avènement de Monsieur Hollande à la tête de la France, car nous sommes persuadés que l’homme politique et le démocrate qu’il est, respectueux des valeurs de liberté et de justice, aura vis-à-vis du Gabon, une attitude qui tranchera avec l’arrogance, voire la cécité politique de son prédécesseur.

Bien sûr, il ne revient pas à la France de s’immiscer dans les problèmes internes du Gabon indépendant, la plupart de ces problèmes naissant d’ailleurs de l’égoïsme, de l’étroitesse de vue, des pratiques et des turpitudes de certains de nos compatriotes. Qui ignore par exemple qu’au Gabon l’ethnie est devenue un véritable virus chez certains.

C’est précisément en raison de ces facteurs négatifs, que la France, dans le cadre bien compris de notre longue histoire commune et de nos intérêts réciproques, soucieuse du progrès de l’humanité, devrait accepter de s’associer à nos côtés, à l’aune de son expérience démocratique et de son niveau d’expertise technique, aux actions de « déverrouillage » des forces d’inertie qui empêchent le fonctionnement démocratique normal de notre pays.

Maintenant que la France a un nouveau président qui dit placer la Justice et la Démocratie au cœur de son action politique, quoi de plus normal à nos yeux. Ce sont là des valeurs que nous souhaitons promouvoir au Gabon et que les populations, légitimement, revendiquent sans cesse : c’est-à-dire élire le Président de leur choix, les députés de leur choix, les conseillers municipaux et départementaux de leur choix, les sénateurs et les maires de leur choix, sans vivre des lendemains d’élections, dans le doute et la perplexité, en se demandant où sont passés les suffrages qu’ils ont exprimés dans les urnes. Ou même bouder le scrutin à plus de 80% comme nous avons eu à le vivre lors des dernières législatives, les conditions de transparence électorale n’étant pas réunies. Faut-il rappeler les évènements de Libreville et Port-Gentil qui ont rythmé les lendemains de l’élection présidentielle.

La requête introduite à l’ONU par l’opposition gabonaise sous forme de mémorandum était justifiée par cette situation. Rappelons en passant que l’ONU a dépêché à Libreville une mission pour s’enquérir sur place de ce qui s’était passé lors du scrutin présidentiel et au lendemain de ce dernier. C’est ce même mémorandum qui avait été remis au président Sarkozy lors de son passage à Libreville. La continuité de l’Etat étant la règle, nul doute que Monsieur François Hollande trouvera ce dossier sur sa table de travail.

De quoi s’agissait-il ? Il était question de solliciter l’ONU et l’autorité Française pour qu’elles assurent la médiation dans le cadre du nécessaire toilettage de certaines de nos institutions, principalement celles qui concourent à l’expression de la démocratie, valeur constitutionnelle faut-il le rappeler.

N’étant pas adepte de la politique de la » terre brulée », j’ai espoir que Monsieur le Président François Hollande, ouvrant en France une ère nouvelle marquée par des valeurs de respect, de démocratie et de justice, se penchera avec l’ONU sur ce mémorandum qui porte essentiellement sur la Démocratie et les Libertés dans notre pays, qui sont des socles de notre développement économique et de notre épanouissement humain.

Je crois fermement qu’il en va de l’intérêt de nos deux pays, unis par une amitié séculaire et conscients des intérêts économiques auxquels, de part et d’autre, nous attachons tous la plus haute importance.

Le président Omar Bongo Ondimba, qui avait en son temps reconnu dans son discours, désormais historique, les graves faiblesses ayant jalonné son long règne, et qui recommandait aux uns et aux autres, au soir de sa vie, que dans le cadre de la transition du pouvoir, seule devait compter la Constitution, rien que la Constitution. Il doit aujourd’hui se retourner dans sa tombe, si j’en juge par le virage institutionnel opéré par les tenants actuels du pouvoir.

Oui, virage institutionnel rétrograde s’il en est, quand on sait l’arsenal des dispositions anti démocratiques que le pouvoir actuel a introduit en si peu de temps dans des textes de loi, y compris la Constitution, texte de loi qui sont de nature à réduire les libertés publiques, à rétrécir le champ de la démocratie, à museler l’expression politique de l’opposition. En somme, à donner un visage monarchique du pouvoir. Ce qui est le vécu des gabonais aujourd’hui.

A l’exemple de la révision constitutionnelle qui a renforcé les pouvoirs du président en matière de défense et de sécurité ; comme si le dispositif jusque-là en vigueur ne lui conférait pas tous les pouvoirs dans ce domaine. L’Assemblée Nationale, dont il n’est pas besoin de dire qu’elle est aux ordres a adopté par ailleurs des modifications de loi iniques à l’exemple de celle qui interdit à tout dirigeant d’un parti dissout d’en créer un autre avant une période de cinq ans ou de figurer comme membre dirigeant d’une autre formation politique.

La biométrie réclamée par l’opposition, rejointe et à contre cœur par le PDG, les faux semblants d’Ali Bongo à ce sujet, les positions ouvertement opposées du Premier Ministre de l’époque à l’introduction de la biométrie dans le système électoral, sans oublier le jeu ambigu auquel s’est adonnée la Cour Constitutionnelle dans ce dossier. Rien qui puisse laisser entrevoir un espoir de démocratie avec ce nouveau pouvoir.

Et lorsqu’on en arrive à la dissolution de l’Union Nationale, on est dans le déni total de démocratie. Plutôt que d’accepter d’affronter selon les règles démocratiques un nouveau parti qui devait apporter une offre politique nouvelle dans le paysage politique gabonais, mais non, on profite de ce que l’on détient les rênes du pouvoir pour dissoudre une formation politique, sous le prétexte fallacieux que son secrétaire exécutif a revendiqué, à juste titre, son élection à la Présidence de la République.

Un tel usage du pouvoir qui se traduit par des réflexes obscurantistes de cette nature ne peut laisser sans réagir tout citoyen digne, animé de l’ardent désir de promouvoir des valeurs humaines, faites de dignité, de patriotisme, de liberté et de progrès.

Mesdames et messieurs,

Je m’adresse à vous chers compatriotes. Si l’opposition gabonaise souhaite la présence d’une médiation onusienne et française au sujet de la crise politique au Gabon, c’est parce que la confiance est rompue entre gabonais qui, les uns confisquant le pouvoir politique par la force, l’argent et les armes, les autres réclamant la liberté d’expression politique et la justice électorale, le dialogue devient impossible. Autant d’éléments sur lesquels s’est assis volontiers Monsieur Nicolas Sarkozy alors que la nature des liens historiques qui unissent le Gabon à la France l’autorisait à peser de tout son poids lorsqu’il fallait bien trouver une solution à la crise post électorale qui aurait pu déboucher sur une explosion sociale, mettant à mal les activités économiques et rompant la paix sociale.
Si au Gabon la vérité oblige à reconnaitre qu’il ya eu des manifestations de joie dans les chaumières à l’annonce de la victoire de Monsieur Hollande, c’est parce que les populations se sont mises à espérer à une ère nouvelle dans les relations franco-gabonaises.

Chers compatriotes,

Ne croisons pas les bras avec l’espoir que la France seule règlera nos problèmes. Loin de là. Luttons sans relâche avec toutes les armes que le combat pour la démocratie exige. Ainsi la France et les instances internationales nous apporteront leur solidarité dans le respect de notre dignité.

C’est le lieu de répondre à tous ceux qui, avec toute la mauvaise foi du monde se répandent à travers la presse pour dire que l’opposition gabonaise, qui a dénoncé hier l’immixtion de la France dans l’élection présidentielle gabonaise, fait appel aujourd’hui à cette même France.

Mais non, il n’est nullement question d’appeler la France qui inspire ou participe aux coups d’Etat électoraux par le biais des officines bien connues. Il ne s’agit pas d’appeler une certaine France des réseaux parallèles qui sont spécialisés dans le système des basses besognes. Non.

– L’appel est lancé à la France, amie du Gabon et des gabonais.
– L’appel est lancé à la France qui se respecte et est respectueuse des autres peuples.
– L’appel est lancé à la France attachée à une politique de coopération saine avec les autres Etats.
– L’appel est lancé à la France de solidarité.
– L’appel est lancé à la France qui gère ses intérêts économiques en prenant en compte les intérêts économiques bien compris du Gabon.
– Le Gabon fait appel aujourd’hui à la France militante de la paix entre les peuples.
– Le Gabon fait appel à la France ouverte au multipartisme.
– Le Gabon fait appel à la France qui proscrit la dissolution des partis politiques et est favorable à la possibilité de s’ouvrir à des offres politiques nouvelles.
– L’opposition gabonaise fait appel à la France des médiations justes.
En somme, l’opposition gabonaise fait appel à la France des Droits de l’Homme et du citoyen, ici et maintenant.
C’est possible. Nous y croyons.

Je vous remercie.

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